CLERMONT-FERRAND 2025 – Panorama Swirl et The Fishbowl Girl, 2 vues sur le court-métrage sinophone contemporain

Posté le 4 mars 2025 par

Le Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand a proposé en 2025 à son public comme chaque année de nombreux courts-métrages du monde entier. Attardons-nous sur deux d’entre eux : le court chinois Panorama Swirl de Wei Bohan et le court taïwanais The Fishbowl Girl de Hung Yi Wu, pour lesquels nous avons pu nous pu nous entretenir avec leurs auteurs.

Les films courts chinois et in extenso sinophones sont un laboratoire à idées formelles et thématiques pour les jeunes réalisateurs de la culture sinitique, de ce continent culturel et artistique. Pour s’en faire une idée, l’évènement Coming of Age, organisé par le Festival Allers-Retours chaque automne, a permis d’en découvrir une bonne centaine depuis sa création en 2021. Certains atteignent de hauts standards de qualité – c’est le cas de nos sujets d’étude présent.

Panorama Swirl de Wei Bohan (21 min), travail de fin d’étude du réalisateur à la Beijing Film Academy, pourrait être présenté comme une fable du virtuel, ou le coming of age d’un jeune homme geek. En vacances d’été dans sa province, il baigne dans les jeux vidéos et les bandes dessinées. Sa chambre est colorée et comporte toutes sortes d’objets hauts en couleur, comme une poupée d’un alien façon Roswell. Un jour, sa mère lui demande d’effectuer une randonnée avec elle. Il est alors témoin d’un phénomène incroyable : seul dans un grand champ, le ciel est coupé en deux, comme la limite d’un décor de jeu vidéo, et cette limite s’efface devant ses yeux comme une « baguette magique » sur un logiciel de retouche d’image. Il retrouve sa mère avec une jambe foulée et il prend alors conscience qu’il est devenu adulte et qu’il doit prendre soin de son aînée. Nous sommes pleinement en présence d’un film art et essai, de par la texture argentique de l’image, les plans qui s’écoulent avec une certaine retenue. Pour autant, Wei Bohan ne renie pas ses influences et son goût pour la culture populaire – il cite Matrix parmi ses influences principales. A cet effet, le portrait de son personnage est délicat et rempli de bienveillance quant à ses loisirs. Pour autant, le coming of age nécessite d’effectuer un rite de passage pour accéder à une certaine forme d’âge adulte ou de réalité (voir Âges inquiets, thèse de Corrado Neri sur la représentation de la jeunesse dans le cinéma sinophone). À ce sujet, Wei Bohan déclare : « On voit bien dans la vie du personnage, sa chambre, sa mère, tout relève du jeu vidéo. Mais lorsque sa mère a un accident, même si son univers est factice, il doit résoudre ce problème. La marge entre le virtuel et la réalité est énorme chez lui. Le problème n’est pas de choisir entre ce qui est faux et ce qui est vrai, mais d’accepter la réalité. Il ne sait pas expliquer cet évènement surnaturel qu’il a vu, mais ce qu’il voit, c’est sa mère qui a eu un accident. » Cette difficile acceptation de l’âge adulte résonne avec des films chinois très récents, tels que Frankenfish by the River de Chen Yusha, où les très jeunes héros s’appréhendent dans un monde de jeu et d’amusement et placent la ville et les problématiques d’adultes dans un hors-champ étrange et déstabilisant. La jeunesse portraiturée par Jia Zhang-ke dans Platform semble bien lointaine, et celle décrite par Wei Bohan ou Chen Yusha parait extrêmement différente, avec ses propres enjeux et dangers, dont celui d’un repli sur soi. Du reste, Panorama Swirl est un court charmant qui peut compter sur son effet spécial de ciel qui s’efface pour faire valoir une belle originalité.

The Fishbowl Girl de Hung Yi Wu (17 min), présente, lui, des moyens de production encore plus fournis. Tourné un pied à Taïwan, avec des scènes d’intérieurs à néons si appréciés des cinéphiles, et un pied en Thaïlande, pour trouver le lieu adéquat, écrit et produit par Bernd Chen, également militant à la Taiwan Tonghi Hotline (LGBTQ+) Association, et produit par Hui-chen Huang (réalisatrice de Small Talk), il dépeint les frustrations d’une jeune taïwanaise lesbienne en vacances de fin d’études en Thaïlande avec son crush, une camarade étudiante bisexuelle avec laquelle elle ressent un mur se former entre elles deux, et un groupe de copains hommes hétérosexuels. Les garçons et notre héroïne décident d’aller dans une maison close, où les filles massent les clients dans des bains (pendant thaï du soapland japonais) et plus si nécessaire. Les clients choisissent les filles qui sont « exposées » sur des marches (on peut voir précisément ce genre de scène en Thaïlande dans un film comme Bangkok Nites de Tomita Katsuya), mais dans certains cas particuliers, les filles peuvent s’arroger le droit de refuser… comme lorsque le client est une cliente. Notre héroïne parvient à être acceptée par une masseuse. S’en suit une relation originale, complexe et nuancée, entre sororité et expression du désir sexuel. Le film est marquant pour une scène de sexe, simulée mais explicite, première du genre pour un cout-métrage taïwanais. L’écriture comme la réalisation, avec les vues croisées de Bernd Chen et Hung Yi Wu, révèlent une forte précaution sur le regard à adopter et un soin très prononcé pour ce qui est de décrire cette relation particulière entre ces deux jeunes femmes. Bernd Chen est d’une part préoccupé par la représentation de la nudité et du sexe dans le cinéma, en particulier dans le cinéma queer. Il remarque que si le cinéma LGBTQ+ centré sur les relations entre hommes est en avance, la description du désir lesbien est beaucoup plus rare. Hung Yi Wu quant elle, souhaite retirer le male gaze, et peindre une relation particulière qu’on peut difficilement décrire avec des mots. Il émane de cette collaboration un métrage d’une grande intelligence, à la qualité narrative dense, pour seulement 17 minutes. Là aussi, notre héroïne subit un rite de passage, en se confrontant à une étrangère, qui pourtant est la seule à pouvoir entendre ce qui l’habite à ce moment. En retour, son interlocutrice peut faire de même, à d’autres sujets, qui sont les siens. Minutieusement écrites, les protagonistes sont valorisées par la description de leurs enjeux personnels, et par l’échange qui en résulte.

Ce qu’il y a à retenir dans la vue de ces deux courts-métrages, c’est à quel point le versant auteur du cinéma sinophone se porte bien. Avec des formats différents, des originalités propres, des audaces formelles, il trace son chemin à travers les festivals internationaux et trouve son public, aussi bien des Chinois ou des Taïwanais expatriés que des publics de tous horizons présents sur place. Le coming of age est une thématique extrêmement représentée, encore parfaitement fraîche malgré ses nombreuses itérations depuis quelques années.

Maxime Bauer.

Panorama Swirl de Wei Bohan. Chine. 2024.

The Fishbowl Girl de Hung Yi Wu. Taïwan. 2024.

Courts-métrages projetés au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand 2025.

Interview de Wei Bohan réalisé par Zoom le 12/02/2025. Remerciements à Xueyin Li et Yuxuan Zhang d’Inwave Films.

Interview de Hung Yi Wu et Bernd Chen réalisée par questions écrites en février 2025. Remerciements à Hui-chen Huang.