VIDEO – Burning Paradise de Ringo Lam

Posté le 12 février 2022 par

Nombreux sont les cinéastes des trois Chine à s’être un jour intéressés, de près ou de loin, au wu xia pian. Si Ringo Lam acquiert sa renommée grâce à l’heroic bloodshed et autres CAT III urbains cinglants de réputation, il réalise en 1994 ce qui restera son seul pas dans le film d’épées. Burning Paradise, aussi connu sous le nom de Temple du lotus rouge, revient en Blu-Ray chez les éditions Spectrum dans un splendide master 2K.

Le temple Shaolin a été détruit par les Mandchous de la secte du Lotus Rouge. Les moines survivants tentent de s’échapper à travers le pays. Combattant intrépide, le jeune Fong Sai-yuk est capturé puis envoyé comme esclave dans le temple du Lotus rouge. Décidé à organiser la révolte des prisonniers, il devra d’abord échapper aux innombrables pièges de cet immense dédale dirigé par un fou sanguinaire.

L’année 1994 est à bien des égards particulière pour le cinéma de Hong Kong. Wong Kar-wai rompt les codes du film d’arts martiaux avec Les Cendres du temps, et Ringo Lam se lance à la conquête du wu xia pian pour la Golden Harvest. Tous deux n’ont pas l’expérience de leurs pairs dans ce domaine, et reçoivent un accueil critique mitigé – quand ils ne font tout simplement pas un four au box-office, mais bénéficient aujourd’hui d’une totale réhabilitation par la sphère cinéphile internationale, qui voit en ces propositions le renouveau d’un genre éteint depuis près d’une décennie (exemple The Bare-Footed Kid). Tsui Hark poursuivra sur cette lancée avec The Blade (1995), qu’il serait, bien entendu, un affront de présenter. Aussi, deux ans plus tôt, Corey Yuen portait à l’écran le héros martial de légende de la Chine ancienne, Fong Sai-yuk, maintes fois incarné dans le cinéma hongkongais, des années 1940 au protagoniste intrépide du Burning Paradise de Ringo Lam. Ce dernier est alors reconnu pour ses films de Catégorie III, dont l’illustre saga des On Fire, qui témoignent d’une violence au combien exacerbée, et d’un propos politique, s’il n’est pas radical, attestant d’une fureur caractéristique des cinéastes de l’ex-colonie britannique à l’approche de la rétrocession. Cette brutalité-signature, Ringo Lam la transpose à l’époque dynastique où les balles et les calibres deviennent poings et épées.

Burning Paradise joue dès son prologue sur plusieurs fronts. De course poursuite dans le désert à combats armés dans un temple maudit comblé de pièges, il se mue par la suite en semi-thriller carcéral empreint d’une généreuse dose de fantastique et d’horreur gothique. Pléthore de duels savamment découpés viennent ponctuer l’ensemble du tableau, et récompenser le spectateur d’une nervosité esthétique sans pareille. Le sang fuse, les cadavres jonchent le sol et les têtes tranchées se comptent par dizaines, vestiges d’affrontements survoltés entre les Shaolin et les sbires de la secte du Lotus Rouge gouvernée par le tout aussi cruel Maître Kung, qui répond sans mal à l’adage selon lequel l’antagoniste est essentiel à la qualité d’un film. Le palais de tous les supplices où se déroule l’action, à la fois harem et cimetière intra-muros, en devient presque un être à part entière, une arme redoutable et cauchemardesque qui corrompt autant l’esprit que le corps des malheureux qui osent s’y aventurer. Ringo Lam oblige, la présence d’adversaires mandchous inscrit la fiction dans un certain rapport politique à la résistance que symbolise celle des Shaolin, destitués de leur grandeur par l’ennemi. Nulle place n’est permise à la morale en des lieux si infernaux, et c’est bien ce qui fait la force de ce film, héritier spirituel de Lam Ngai Kai (Riki-Oh: The Story of Ricky, 1991) ou de Kuei Chih-hung (The Boxer’s Omen, 1983). Les facilités d’écriture ne manquent pas et le faible budget se fait souvent ressentir, de même que la caractérisation parfois comique du héros (interprété par Willie Chi) semble en désaccord avec l’atmosphère essentiellement sombre des décors, mais Burning Paradise réussit à travailler ses personnages tout en gardant le cap, et en instaurant cette fameuse ambiance dont raffolent les amateurs du cinéma hongkongais bis.

Bonus

Présentation par Arnaud Lanuque : l’auteur de Police vs Syndicats du crime (aux éditions Gope) revient sur la renaissance du wu xia pian dans les années 1990, de Tsui Hark aux tendances nouvellement réalistes de codes préétablis. Un regard d’expert mais ludique est porté sur l’évolution du genre, de ses influences et de ses paradigmes esthétiques, afin d’au mieux inscrire Burning Paradise dans la galaxie des films d’arts martiaux hongkongais. Arnaud Lanuque met aussi l’accent, par exemple, sur l’art martial du Hung Ga Kuen de Fong Sai-yuk, héros mythique à qui l’on prête la célébrité contemporaine du temple Shaolin, et que Ringo Lam fictionnalise en marge d’éléments historiques et politiques réels.

Essai Vidéo – Eschatologie d’un genre par Alex Rallo : génèse passionnante du wu xia pian, de la représentation du temple du Lotus Rouge à l’écran, et du contexte de production de Burning Paradise. S’en suit une série d’analyses de séquences du film de Ringo Lam (notamment portée sur l’antinomie éthique et morale entre les différents protagonistes, ou sur le caractère surnaturel des combats) qui ne se refuse pas après le visionnage. Enfin, Alex Rallo démontre en quoi ce wu xia pian traîne dans la boue jusqu’aux archétypes les plus fondamentaux du genre.

Présentation par Tsui Hark : précieuse archive de Tsui Hark en entretien datant de 1994 à propos de Burning Paradise, dont il fut le producteur exécutif. Pensées spontanées et anecdotes de tournage, tout ce qu’il faut pour ravir le plus curieux des spectateurs (et, au passage, l’occasion de se rendre compte que parler anglais fait partie des innombrables habiletés du cinéaste hongkongais).

Richard Guerry.

Burning Paradise de Ringo Lam. Hong Kong. 1994. Disponible en Blu-Ray aux éditions Spectrum Films le 04/02/2022.

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