Kinotayo 2015 : Entretien avec le réalisateur Okabe Tetsuya (Haman)

Posté le 12 décembre 2015 par

Le Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo a aussi pour vocation de faire découvrir de nouveaux auteurs, comme Okabe Tetsuya, qui est venu présenter lors de cette 10ème édition son premier film auto-produit : Haman (lire notre critique ici). Interview d’un réalisateur représentatif des nouveaux cinéastes japonais indépendants, signant leurs films en marge de l’industrie cinématographique.

PODCAST

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J’ai cru comprendre que vous êtes assistant réalisateur, à la base. Avec quels cinéastes avez-vous travaillé ? Quels sont ceux qui vous ont le plus influencé ?

J’ai travaillé avec beaucoup de réalisateurs dont Ishii Yuya (The Great Passage) et Yamashita Nobuhiro (La La La at Rock Bottom). J’ai beaucoup travaillé avec lui. Forcément, ces deux réalisateurs m’ont beaucoup influencé.

Comment est née l’idée de Haman ?

J’aime beaucoup le film Edward aux mains d’argent. Je voulais faire un film qui ressemble un peu à celui-là. J’ai aussi été inspiré par L’empire des sens. Haman est donc un peu un mélange de ces deux films.

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Vous passez facilement du registre horrifique à la romance noire. Etait-ce un choix délibéré de votre part ?

C’était intentionnel. Au départ, je voulais tourner une histoire d’amour. Mais il y en a déjà tellement que je ne voulais pas en faire une trop simple. Du coup, j’ai ajouté quelques aspects horrifiques et comiques. Mais vu qu’il y a aussi beaucoup de films d’horreur et de comédies, je ne voulais pas que Haman soit noyé dans la masse. Je voulais qu’il soit différent.

L’idée d’associer l’amour et la mort, Eros et Thanatos, est très présente dans le genre ero guro au Japon. Etes-vous familier de cet univers ?

Effectivement, la thématique Eros et Thanatos est utilisée depuis longtemps, surtout dans le passé. Mais je trouve que les réalisateurs contemporains en font des comédies. Je préfère la façon dont était traité ce sujet autrefois. J’ai voulu me rapprocher de cela.

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Vous êtes donc plutôt plus proche des œuvres de Ranpo Edogawa ou du mangaka Maruo Suehiro ?

Quand j’étais à l’école, je lisais des œuvres de Ranpo Edogawa mais elles sont plutôt destinées aux enfants. Je n’ai pas du tout pensé à lui en réalisant Haman. C’est pareil pour Maruo Suehiro : je connais ses dessins mais je n’ai jamais lu ses livres.

Les relations hommes-femmes au Japon connaissent des bouleversements depuis quelques années. On parle notamment d’hommes végétariens et de femmes carnivores. Or, l’héroïne de Haman a des attributs carnassiers. Est-ce une façon, pour vous, de représenter l’évolution des relations hommes-femmes au Japon ?

Je n’ai pas du tout pensé à ça ! Quand j’ai commencé à travailler sur Haman, il y a plus de dix ans, les termes « hommes végétariens » et « femmes carnivores » n’existaient pas. Mais maintenant que vous me parlez de ça, je me rends compte que c’est peut-être vrai !

Comment avez-vous découvert la jeune actrice Baba Nonoka ?

J’ai mis une annonce sur Internet et le manager de Baba Nonoka m’a contacté. Je l’ai ensuite rencontrée dans un café. J’en ai profité pour y amener aussi l’acteur Nakamura Mukau, qui joue le rôle du premier petit-ami de l’héroïne. J’ai demandé à Baba Nonoka de jouer un peu avec l’acteur pour voir comment elle se débrouillait. J’ai rencontré d’autres actrices mais c’était la meilleure. Et son physique m’a plu.

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Comment l’avez-vous dirigée pour les scènes intimes ?

Déjà, la caméraman était une femme, ce qui l’a mise à l’aise, je pense. L’équipe était réduite donc ça a facilité le tournage des scènes difficiles. J’étais forcément un peu inquiet pour elle et je m’étais préparé à la réconforter mais elle n’a pas eu besoin de ça. Elle s’est dénudée facilement pendant le tournage et n’a jamais montré son angoisse. C’est une actrice culottée !

La scène de viol est très dure et réaliste. Cependant, dans le contexte du film, on a envie, en tant que spectateur, que l’agresseur pénètre l’héroïne pour entendre le fameux « crack » ! Etait-ce l’effet recherché ? 

Je voulais que le bourreau devienne victime et inversement donc c’était tout à fait intentionnel.

Saudade a ouvert les portes vers le cinéma indépendant auto-financé au Japon. Comment avez-vous produit votre film et comment s’est déroulée la période de l’écriture du scénario à la sortie du film ?

Concernant le matériel, la caméraman l’a emprunté pour pas trop cher. Et j’ai investi l’argent que j’avais gagné en tant qu’assistant réalisateur.

J’ai mis un mois 1/2 pour écrire le scénario et environ un mois 1/2 également pour le casting et le repérage. Le tournage a duré 11 jours. J’ai ensuite ajouté quelques plans comme celui des mantes religieuses. Et là, je n’avais plus d’argent. J’ai donc repris mon poste d’assistant réalisateur pendant presque un an. Et je voulais aussi un peu m’aérer l’esprit avant de commencer le montage. J’ai montré à quelques personnes la première version du montage. Il y a eu quelques critiques donc j’ai retravaillé dessus. Il s’est écoulé une ou deux semaines entre les deux versions du montage. Je voulais proposer Haman au Festival de Yubari donc j’ai accéléré pour finir le film et notamment la musique, le son et l’étalonnage. Cette étape a été faite environ six mois après le montage.

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Dans quel circuit de salles est sorti votre film ?

Haman n’est pas encore sorti au Japon. J’aimerais bien qu’il sorte d’abord dans une seule salle. On verra la suite !

En raison du faible budget de Haman, avez-vous coupé des scènes incluses dans le script initial ? Si oui, lesquelles ?

Il y a deux scènes coupées qui l’ont été parce que je les trouvais un peu ridicules. La première est une scène où Haruka prend rendez-vous chez le dentiste vu que son corps connaît des phénomènes un peu étranges. La deuxième se déroule après la séparation avec Yusuke : elle circule en vélo dans la nuit. La caméra est fixée sur le phare de son vélo qui n’arrête pas de bouger et on se rend compte qu’elle pleure.

La fin du film est pour le moins ambiguë. Haman semble se conclure sur une note positive : les deux amants font l’amour puis, l’héroïne est souriante, devant un geyser de sang. Est-ce une façon un peu morbide de montrer qu’elle a trouvé une forme d’épanouissement dans sa sexualité ?

La première scène du film et la dernière sont à l’opposé. C’est à partir de ces deux scènes que j’ai écrit mon scénario. Dans la scène d’ouverture, Haruka est complexée après avoir tué son petit-ami. Dans la dernière scène, elle accepte son complexe et devient donc plus épanouie.

Pourquoi ce running gag avec des fruits et légumes phalliques avec le petit frère de l’héroïne ?

Comme il était impossible de filmer le sexe de Haruka, j’ai tourné ces scènes où le petit frère croque des légumes en forme phalliques. C’est une sorte de métaphore.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

Les Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi Kenji et surtout la scène où les personnages sont dans une barque.

Propos recueillis le 28/11/2015 à Paris par Martin Debat et retranscrits par Elvire Rémand.

Photos : Martin Debat.

Traduction : Megumi Kobayashi.

Photos : © Philippe Henriot.

Merci à Karine Jean et à toute l’équipe de Kinotayo.

Haman de Okabe Tetsuya. Japon. 2015. Présenté à Kinotayo en 2015.

Plus d’informations ici. 

À lire également : la critique du film ici.

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