Présenté lors du 19e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), Work to Do (traduit par approximativement « ce qu’il faut faire« ) est le premier long métrage de Park Hong-jun. Âpre drame social, il se veut réaliste et s’inspire de l’expérience du monde de l’entreprise de son réalisateur.
Jun-hee, employé des ressources humaines dans un chantier naval, se retrouve pris dans l’élaboration d’une restructuration visant à consolider l’entreprise, dont la compétitivité est mise en danger par la mondialisation. D’abord confiant dans la bonne foi de ses supérieurs, il met en place un algorithme permettant de mettre un peu de justice dans l’arbitraire des licenciements, mais il se retrouve bientôt confronté à la réalité des rapports de force et aux demi-vérités qui découlent d’une telle situation.
La grande force du film est de choisir le point de vue d’un personnage à un poste intermédiaire : ce n’est pas lui qui a décidé de licencier, il ne fait littéralement que son travail, mais il est celui qui doit se salir les mains en prenant la responsabilité du sort de ses collègues. Le film choisit la sobriété pour nous faire comprendre les souffrances de son personnage, qui doit choisir entre ses convictions morales et les nécessités économiques (sa compagne est enceinte et il ne peut risquer de déplaire à ses supérieur parce qu’il a souscrit à un prêt de l’entreprise pour acheter son appartement). En évitant les scènes d’exposition trop insistantes, le film nous présente en contexte les relations entre les différents personnages, afin de rendre plus terribles les dilemmes auxquels doit faire face le protagoniste, dont on découvre au fur et à mesure qu’il a pour mentor un syndicaliste, qu’il a pris part à des manifestations étudiantes, et qu’il est rongé par la honte chaque fois qu’il est convaincu d’avoir mal agi.
Le film aborde des thématiques complexes comme le rapport au syndicalisme en Corée (avec en arrière plan la paranoïa liée au communisme), la question de la loyauté envers son employeur lorsqu’elle contrevient à ses principes, les conséquences de décisions que l’on croit objectives dans un bureau lorsque l’on est obligé de se confronter aux réalités humaines, ou le cynisme du capitalisme (le chantage pour pousser des employés dans une situation intenable à démissionner, ou l’horrible dernière péripétie du plan social). Les cadres dirigeants mis à part, tous les personnages sont présentés de façon complexe dans toute leur contradiction et leur humanité, en jouant sur des petites touches comme le changement des attitudes physiques lors des interactions sociales au fur et à mesure que la violence du plan social transforme le regard de chacun sur les autres. La situation fait ressortir le pire chez la plupart des protagonistes, le désir de survivre effaçant l’empathie, mais, pour autant, le film n’est pas désespéré : le personnage de la compagne du héros, pourtant en retrait dans la narration, représente la possibilité d’un autre rapport au monde ; bien que fonctionnaire, elle est encore prête à manifester, bien qu’attachée à sa famille, elle est capable de bouleverser l’ordre social en attendant un enfant avant de se marier, et bien que fâchée par la façon dont le héros se referme sur lui-même pour ne pas lui faire partager son sentiment de culpabilité, elle est là pour le soutenir quand la honte devient top difficile à supporter. Ce n’est sans doute pas un hasard que le film se situe en 2016, au moment des manifestations contre la présidente Park Geun-hye, dans un moment où le peuple coréen a fini par se rebeller au point de faire tomber la tête corrompue de l’État.
Parfois cruellement ironique (par exemple lors de la terrible scène où le héros se voir contraint d’écrire un éditorial justifiant le plan social, qu’il présente dans un texte aux métaphores navrantes, et que pour sa plus grande honte il se trouve encensé par sa direction), souvent terrible (toute l’intrigue secondaire de la collègue des RH partagée entre son complexe d’infériorité lié à ses études courtes et son désir de rester dans l’entreprise, jusqu’au moment où elle choisit une troisième voie) mais toujours profondément humain (les scènes impliquant les collègues dont on essaie de se débarrasser sont souvent très réussies), ce film laisse espérer l’émergence d’un grand cinéaste social. Le point de vue choisi est particulièrement intéressant avec son personnage torturé, ni réellement victime du système ni totalement bourreau, et amène à dépasser les impensés des « ressources humaines » dont le vocabulaire même ne peut qu’aboutir à une réification des individus. Après Dispatch; I Don’t Fire Myself de Lee Tae-gyeom en 2020, c’est une nouvelle preuve de l’intérêt des drames sociaux coréens lorsqu’ils s’éloignent des sentiers battus.
Florent Dichy
Work to Do de Park Hong-jun. Corée du Sud. 2023. Projeté au FFCP 2024