Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il rend ici hommage à Tanaka Atsuko, qui nous a quitté le 20 août dernier.
Au cours de années 80 et 90, le futur ressemblait au Japon, des signes importés de Blade Runner aux dystopies d’Akira et Neon Genesis Evangelion. Des romans de William Gibson à la série Wild Palms d’Oliver Stone, le Japon nous arrivait de l’avenir.
Puis vint la nuit, la ville, cette voix qui annonce qu’elle y va, ce corps de femme qui plonge du haut d’un gratte-ciel, la matière de son costume la rendant invisible, une voix désincarnée, des éclats de verre, des coups de feu, une voix qui fait son apparition en 1996. Une incarnation du Cyborg Manifesto de Donna Haraway, transcendant les modèles sexistes de la technologie. Vingt ans plus tard, Scarlett Johansson prit le risque de se l’approprier, alors qu’elle se trouvait déjà à la fenêtre donnant sur Shinjuku, en 2003, dans Lost in Translation de Sofia Coppola.
La grande actrice de voix Tanaka Atsuko est disparue le 20 août 2024. On sait que sa carrière commença en 1993, ininterrompue jusqu’à ce que la maladie l’emporte. On la retrouve aux génériques d’innombrables séries anime, de longs-métrages, et de jeux vidéo, que bien des collègues connaîtront mieux que moi. J’avais vu Ghost in the Shell et Innocence à leurs sorties en salles, et mon travail et parcours autour de, et avec, Oshii Mamoru avait démarré. Mais ce n’est qu’à l’époque 2nd Gig, Solid State Society, que je la rencontrais. Et à travers elle, j’arrivais à découvrir encore une autre manière d’entendre et comprendre le Japon.
Je l’avais revu plus tard, lorsque Victor Lopez et moi préparions l’ouvrage Mamoru Oshii, rencontre(s). Nous avions commencé à échanger sur la façon dont nous pouvions parler du Major Kusanagi, de son passage du 20è au 21è siècle, dans le calendrier des œuvres de Oshii, et de l’évolution du personnage.
La pandémie fragilisa la suite, bouleversant plus d’un projet en cours, bien que le Japon n’ait pas imposé de confinement. J’avais enregistré ces premières conversations, mais nous n’étions pas arrivés à nous revoir pour les compléter.
Elle créa par la suite la voix de deux personnages dans des séries d’exception, celles de Hanami dans Jujutsu Kaisen, et de Flamme dans Frieren. Une voix qui m’évoqua, à la première écoute il y a bientôt trente ans, celle de l’actrice Iwashita Shima dans Le Goût du sake d’Ozu Yasujiro, une voix jeune, assurée, encore empreinte d’une diction Showa, mais située dans l’ère Heisei. Entre puissance, raffinement, mansuétude, et résignation.
Stephen Sarrazin.