FESTIVAL COMING OF AGE 2022 – Courts-métrages de jeunes auteurs chinois

Posté le 17 octobre 2022 par

En attendant sa prochaine édition début 2023, le festival du cinéma d’auteur chinois Allers-Retours a organisé cette année son premier évènement Coming of Age dédié aux courts-métrages de jeunes cinéastes du continent, les 29 septembre et 6 octobre 2022. Une sélection riche et audacieuse portée sur autant de thématiques propres à l’époque contemporaine que sur une large palette de styles, se voulant représentative du vivier de jeunes talents qu’est la Chine.

The Speech de Yan Haohao (25min) :

Tandis que la pandémie du COVID-19 frappe le monde de plein fouet depuis 2020, Yan Haohao prend le pari très risqué de faire écho à la situation chinoise actuelle et à l’imaginaire collectif qui s’y rattache désormais en remontant le temps de quelques années. En 2003, c’est l’épidémie de SRAS qui pousse le gouvernement à confiner une partie de la population dans les zones les plus touchées. The Speech se focalise sur les enfants d’une école privée contraints de ne plus sortir de l’établissement, de subir des contrôles de température à longueur de journées, et de parler à leurs parents au travers d’une grille à l’extérieur de l’enceinte. Dans ce huis-clos perméable aux questionnements intérieurs et à la remise en question des fondamentaux de l’autorité chinoise en temps de crise, la jeune réalisatrice interroge les légitimités du cloisonnement et celles du refus délibéré de faire face à la situation, incarné par un professeur punissant les élèves pour s’être informés à la télévision. Un drame global mais dont le point de vue se veut intime, à l’échelle de l’enfance, sans l’insouciance qui leur est due.

 

Hippocampus de Li Zehao (8min) :

Dans un processus d’auto-fiction, où Li Zehao se demande pourquoi le figuier de sa ville natale a disparu au moyen d’un enregistrement sonore de son enfance, Hippocampus révèle avec force les troubles de l’oubli autant que les curieux sursauts de réactivation de la mémoire à la manière des réminiscences proustiennes. L’animation brouillonne et suggestive accompagne les intentions d’un auteur désireux de rendre compte du caractère insaisissable des souvenirs lointains. Le court-métrage dans sa forme finale relève sans doute d’un exercice trop personnel et intime pour être compris ou ressenti par tous, mais le propos, lui, ne peut être plus universel dans ce monde qui est le nôtre.

 

Tout ce qui était proche s’éloigne de Zhu Yunyi (22min) :

Rien ne peut bâtir de pont plus palpable entre une image et une sensation abstraite qu’un court-métrage expérimental façonné avec finesse et intuition. Témoignant de la maladie oculaire de son ami, Zhu Yunyi s’aventure sur les sentiers de l’invisible afin d’explorer les sens quand la vue n’est plus.

Une succession épileptique de formes incertaines prédispose le spectateur à faire appel à tout ce que le corps lui offre, de l’ouïe au toucher, pour partager la vie de « ceux qui sont en route pour quelque part », où le matériel devient un concept et le concept une réalité. Mis en parallèle avec le confinement du réalisateur et l’absence de vue depuis sa fenêtre, Tout ce qui était proche s’éloigne fait d’un cadre aux contours tremblants une ouverture sensible sur le monde.

 

Exposed de Huang Shuli (5min) :

Armé d’un appareil photo et de sa seule curiosité, un jeune garçon erre dans les rues de la ville qu’il capture à l’argentique. Un court-métrage de plus dans la sélection du Coming of Age qui établit un rapport entre grandeur et petitesse à partir du regard d’un enfant.

Huang Shuli ne manque pas d’utiliser le dispositif à des fins strictement esthétiques, s’abstenant du moindre dialogue pour privilégier l’expérience muette si particulière du passage de l’enfance à l’âge adulte. Le grain de l’image évoque la nostalgie comme autant de tranches de vie saisies sur l’instant que l’on redécouvrirait des années plus tard au sein d’un album photo au fond du tiroir. Exposed fait ainsi d’un simple appareil le témoignage matériel et intrusif d’un moment parmi tant d’autres.

 

Me and My Magnet and My Dead Friend de Liu Maoning (13min) :

Une fois encore, l’heure est à la nostalgie, à l’enfance et à l’autobiographie avec ce court-métrage d’animation épatant de Liu Maoning. Racontant un épisode de sa jeunesse à la campagne, ni l’atmosphère idyllique, ni le chant des grillons n’augureront ce qui va suivre. La candeur des anecdotes d’époque enrichies de photogrammes laisse place au malaise toujours intact de la mort soudaine de son ami d’enfance lors d’une forte pluie. Le sentiment d’incompréhension et de curiosité est semblable à celui de Stand by Me. Pourtant, la splendide direction artistique rappelant les peintures européennes, la douce mélancolie ambiante, et les mémoires bien réelles rendues oniriques par le passage du temps, laissent entrapercevoir le calme après la tempête, embelli d’un arc-en-ciel aussi furtif et éphémère que ces souvenirs.

 

Alikis de Emetjan Memet (12min) :

En milieu de parcours du festival Coming of Age, le choix d’une comédie est d’autant plus pertinent qu’il permet d’apaiser les esprits suite aux courts-métrages projetés précédemment. En outre, rares sont les films ouïghours à parvenir jusqu’à nos frontières. Alikis, sous ses airs de production amateure, désarçonne par son humour absurde et son premier degré. D’une simple situation où un homme se rend compte que son épouse amène son chien chez son oncle pour ne pas avoir à s’en occuper dès qu’il est absent, Emetjan Memet filme le tout comme une affaire de tromperie. Les tensions ridicules au sein du couple pourraient même convoquer le Snow Therapy de Ruben Östlund. Car c’est bien le sérieux apporté à des enjeux qui n’en sont pas qui rend le spectacle si mordant et mémorable.

 

An Invitation de Zhao Hao et Tung Yeung (13min) :

Depuis quelques années, légion sont les jeunes auteurs à constater les allées et venues toujours plus nombreuses d’individus entre Hong Kong et le continent. The Crossing (2018) de Bai Xue en faisait son intrigue tout en déblayant l’imaginaire de terre d’opportunités de l’ex-colonie britannique. Inspirés de leur propre vécu, Zhao Hao et Tung Yeung associent leur talent afin de dresser le portrait d’une famille dont le père vit à Hong Kong et le fils au côté de sa mère sur le continent. Leur incommunicabilité, du fait des années de séparation, est mise en parallèle avec le contexte social et culturel post-rétrocession de Hong Kong face à la Chine. Le fils ne parle pas le cantonais et peine à dialoguer avec ce nouvel environnement, quand le père n’a rien de plus que le silence à confier à son enfant en retour. De belles images et une composition des cadres impeccable assoient la dimension essentiellement symbolique du court-métrage. An Invitation est donc à la fois l’invitation à franchir les frontières, et celle d’un père qui cherche à renouer les liens avec son fils.

 

Miss de Huang Rongshu (28min) :

Difficile de croire qu’il s’agit là d’un premier film. Huang Rongshu, tout juste diplômé de l’Académie du Film de Beijing en 2021, invite à un voyage d’une maturité déconcertante dans les méandres du temps et de la mémoire. À la manière de Bi Gan sur Kaili Blues et Un grand voyage vers la nuit (pour lesquels Huang ne cache pas son admiration en entretien), Miss explore les œuvres d’un célèbre peintre récemment décédé au travers du regard de son fils à Suzhou, la Venise de l’Orient. C’est à bord de petites embarcations sur les canaux labyrinthiques de la ville que la magie s’installe et que Miss dévoile ses multiples facettes. Sur la trace de son père, le protagoniste est amené à rencontrer la tenancière d’un salon de massage qui lui applique un casque de réalité virtuelle afin de pénétrer une peinture bien connue des deux personnages. Débute alors un long plan séquence de plusieurs minutes traversé d’un onirisme flottant dont seuls les Chinois semblent avoir la recette, évoquant les rêveries matérialisées de Bi Gan. Un premier film insaisissable et magnétique qui augure une carrière tout aussi fascinante pour Huang Rongshu.

 

Hair Tie, Egg, Homework Books de Luo Runxiao (15min) :

Une introspection des plus difficiles dans le quotidien d’une enfant dont la mère est victime de violence domestique. Plutôt que de situer l’intrigue au sein même du foyer, Lun Runxiao déplace les problèmes de la maison à ceux du système scolaire chinois tout entier, où l’imperméabilité des relations et des hiérarchies entrave la communication nécessaire entre les élèves et le corps enseignant. Contraints de préparer un discours pour une rencontre parents-professeurs, les enfants se retrouvent, devant toute la classe, à faire l’éloge de leur famille, de la piété filiale et des vertus de la nation, au grand désespoir des douleurs muettes de chacun. Une caméra épaule en mouvement constant vient accompagner l’action au plus proche de la réalité et former des cadres resserrés où le hors-champ joue un rôle fondamental dans les dits et les non-dits. Peut-être manque-t-il un brin de subtilité sur le final assez brusque, mais Hair Tie, Egg, Homework Books véhicule un message important et percutant sur les souffrances infantiles comme Derek Tsang a pu par exemple le faire dans Better Days (2019).

 

Time Autobahn de Luo Sijia (3min) :

Un (très) court-métrage de quelques minutes seulement de la part d’une jeune réalisatrice d’animation tout juste diplômée de l’Université des Arts de Tokyo. En collaboration avec des étudiants japonais, Luo Sijia propose un voyage étrange et psychédélique à bord d’une voiture, dont le seul point de vue est celui du conducteur. Une série de péripéties toutes plus fantasques les unes que les autres anime le champ de vision. Si Time Autobahn se veut davantage être une expérience sur le cadre et les frames qu’une fiction à proprement parler, il laisse aussi sous-entendre en un temps très court que le caractère insolite de quelques images peut faire écho au monde invraisemblable par nature qui nous entoure. Un choix de programmation frais et idéal pour alléger la sélection relativement plombante au vu des sujets abordés jusqu’alors.

 

An Excessive Day de Zhao Danyang (25min) :

Afin de clore comme il se doit cette première édition du festival Coming of Age, direction la Corée du Sud et les galères adolescentes de deux jeunes Chinoises à Séoul. L’une débute dans un petit magasin de centre-ville type 7-Eleven, l’autre vient d’y démissionner et se rend sur son ancien lieu de travail pour récupérer son dernier salaire avant de retourner au pays. Non sans une touche d’humour et d’auto-dérision, Zhao Danyang se sert de son propre vécu pour conter cette histoire touchante amenée à résonner chez quiconque a déjà connu les difficultés d’intégration à l’étranger et la nostalgie du chez-soi qui l’accompagne. Le huis-clos permet de concentrer en un point fixe les aléas du quotidien des deux personnages, où le résumé de leur vie si particulière semble s’écrire en quelques minutes, au gré des entrées et des sorties de chaque client plus représentatif d’une situation délicate que le précédent. An Excessive Day incarne peut-être finalement, comme son nom l’indique, la journée de trop.

Richard Guerry.

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