Kensuke Sonomura - Bad City (2022)

VIDEO – Bad City de Sonomura Kensuke

Posté le 9 juillet 2024 par

Après son premier long-métrage Hydra, le réalisateur, cascadeur et régleur de combats japonais Sonomura Kensuke allonge la sauce avec un deuxième film de près de deux heures dans la moiteur d’une ville corrompue. Il s’agit de Bad City, actioner japonais offrant l’écran à l’ancienne star du V-cinéma Ozawa Hitoshi, et présent dans le coffret cinéma japonais indépendant vol.3 chez Spectrum Films consacré à Sonomura. Film par Marc L’Helgoualc’h ; Bonus par Maxime Bauer.

Kaiko City. Une ville rongée par la corruption et la violence où Gojo, un homme d’affaires véreux, s’allie à des criminels sud-coréens pour devenir maire et construire un casino, contre l’avis de la population. Pour contrecarrer ce plan machiavélique, un avocat va former une équipe secrète dirigée par l’ancien inspecteur Torada, injustement jeté en prison pour s’être attaqué au crime organisé, et composée de trois flics. Ils ont pour mission de trouver des preuves incriminant Gojo : ses liens avec la mafia sud-coréenne et ses activités crapuleuses pour corrompre les politiques et les forces de l’ordre.

Après son premier film Hydra en 2019, Sonomura Kensuke, chorégraphe de renom, revient avec cet hommage au V-Cinéma. En habitué de la bagarre (il a chorégraphié les scènes d’action de plusieurs films de la franchise Resident Evil, Manhunt de John Woo ou Destruction Babies de Mariko Testuya), ce polar vitaminé délaisse largement les flingues pour inviter ses acteurs à se castagner à mains nues. Au milieu de cette faune acrimonieuse qui fait parler les phalanges et les métacarpiens au lieu de la poudre, on retrouve Ozawa Hitoshi, 60 ans, briscard et légende du V-Cinéma, avec ses faux airs de Jean Gabin, pour jouer une drôle de mélodie en sous-sol.

Kensuke Sonomura - Bad City (2022)

Qu’est-ce que V-Cinéma ? C’est littéralement un film distribué en vidéo et non en salles. Mais plus qu’un mode de distribution, apparu à la fin des années 1980 au Japon pour des raisons purement économiques, c’est un genre et une esthétique à part entière, comme le Roman Porno dans un autre registre. En 1989, la Toei sort Crimehunter – Bullet of Fury d’Okawa Toshimichi, un polar inspiré des productions étasuniennes (comme L’Inspecteur Harry) et une remise au goût du jour des films de gangsters des années 60, notamment le genre Nyu Akushon développé par la Nikkatsu (l’ouvrage No Borders, No Limits – Nikkatsu Action Cinema de Mark Shilling revient en détails sur ce courant). Le film, d’une durée de 60 minutes, est un succès en vidéo-club et il fera des émules. La Toei va poursuivre la production de ces films, prioritairement des polars plus ou moins violents et sexy, tournés à peu de frais. Les autres sociétés prennent le wagon en marche : V-Feature pour la Nikkatsu, V-Movie pour Japan Home Vidéo et V-Picture pour VIP. Plusieurs réalisateurs de renom feront leurs premières armes grâce à ces productions vidéo : Miike Takashi, Kurosawa Kiyoshi ou Aoyama Shinji. Pour en savoir plus sur cet aspect essentiel du cinéma des années 90, Tom Mes en explique la genèse et le développement ici et en analyse plusieurs aspects thématiques là.

Bad City reprend les principaux éléments narratifs de classiques du V-Cinéma : une ville (parfois imaginaire comme Kaiko City) gangrénée par la corruption et le crime organisé, des policiers chevaleresques, des yakuzas alliés à des politiques véreux, une ambiance urbaine noctambule poisseuse et des scènes de bagarres/fusillades récurrentes. Métaphysiquement, c’est une lutte du Bien contre le Mal, de la vertu contre le vice. Sonomura Kensuke est un peu plus nuancé dans Bad City à travers le personnage de Torada, l’ancien inspecteur de police jeté en prison, qui explique que la frontière entre le désir de justice et le crime est parfois bien mince. Il n’en reste pas moins que Bad City ne fait pas dans pas la subtilité, avec un scénario bien balisé et peu surprenant. Il manque de l’audace dans cet hommage trop académique au V-Cinéma. Il y manque ce grain de folie ou cette hypertrophie de violence et d’absurdité qu’on peut trouver dans Asura: the City of Madness du sud-coréen Kim Seong-su, autre hommage au polar archi hard-boiled, dont le manichéisme et la stupidité atteignent une dimension politique verhoevenienne.

Kensuke Sonomura - Bad City (2022)

À noter : dans Bad City, on retrouve Tak Sakaguchi, acteur, réalisateur et chorégraphe révélé en 2000 dans le classique Versus de Kitamura Ryuhei, dans le rôle d’un expert des arts martiaux et des armes blanches. Un rôle entièrement muet (comme dans Prisoners of the Ghostland de Sono Sion) où la gueule de Tak parle d’elle-même. Pas la peine d’y ajouter des mots.

BONUS

Présentation du film par le réalisateur (2 minutes). Sonomura présente brièvement le film en indiquant qu’il existe à la demande d’Ozawa, qu’il voulait prouver encore pouvoir mener de front un film d’action pour ses 60 ans.

Commentaire audio de Frankie Diaz et Peter Glagowsky (durée du film). Sur le même modèle que l’autre disque du coffret avec Hydra, les intervenants, spécialistes du cinéma d’action et du jeu vidéo, commentent l’apparition de chaque acteur et du background dans le cinéma d’action japonais qu’ils emmènent avec eux (bien souvent du V-cinéma), et font des ponts avec l’univers du jeu vidéo, que ce soit l’inspiration de Sonomura pour la saga Yakuza, où les clins d’œil tels que les scènes en salle d’arcade abandonnée. À cela, ils communiquent leur enthousiasme de cinéphiles sur la qualité de la mise en scène.

Bad City de Sonomura Kensuke. Japon. 2022. Disponible dans le coffret Spectrum Films Cinéma japonais indépendant vol. 3 Kensuke Sonomura : Hydra/Bad City en mai 2024.