VIDEO – Legend of the Fox de Chang Cheh

Posté le 17 mai 2024 par

Les éditions Spectrum Films poursuivent leur exploration du gigantesque catalogue de la firme hongkongaise Shaw Brothers, en proposant un coffret de trois films éclectiques. Regardons de plus près le dernier film de l’édition : Legend of the Fox, un Chang Cheh tardif, ce qui est rarement signe de qualité…

Un sans-abri d’âge mur et le garçon qu’il a adopté doivent trouver refuge dans une grande demeure le temps d’un orage. Sur place, ils assistent aux tensions entre des bandits venus eux aussi s’abriter. C’est alors que le vieil homme en dit plus au garçon : ces renégats sont ses ennemis, qui ont provoqué la mort de ses parents dans son plus jeune âge. Héritier d’un manuel d’arts martiaux, il ne lui manque que deux pages pour maîtriser la technique de son père complètement, ces deux pages étant entre les mains de ses adversaires ici présents…

La pluie battante et les esprits échauffés en présence auraient pu constituer un film d’arts martiaux prometteur et fiévreux. Mais loin de ses belles premières années à la Shaw, Chang Cheh livre avec Legend of the Fox un kung fu pian en pilotage automatique, et de surcroît, parmi la qualité de mise en scène la plus pauvre de toute sa filmographie.

L’amorce du film est rocailleuse, tout d’abord. Pour faire se rencontrer les ennemis jurés qui s’ignorent, le scénario est obligé d’user de subterfuges, comme l’orage et la mise à l’abri de la pluie concomitante entre les héros vagabonds et la bande de voyous (on se demande même s’il serait aisé dans la Chine ancienne qu’un riche notable laisse entrer des gens marginalisés sans sourciller). Ensuite, la rythmique du flash-back qui suit dédié aux parents du personnage principal et leur rencontre avec son adoptant, plus jeune à l’époque, tend à faire perdre de l’intérêt, tant la rivalité entre le père du héros et le charismatique épéiste qu’il défie est mise en scène de manière fade et désenchantée. Chang Cheh cherche à faire appel à l’esprit chevaleresque du wu xia et le principe de la rivalité/amitié virile souvent homoérotique qu’il a popularisé au sein du genre, à travers ces deux personnages. Les retournements de situation de leur duel, étalé sur plusieurs jours, a aussi tout sur le papier pour se révéler palpitant. Mais peint sans réel entrain, l’élan paroxysmique des héros martiaux (à l’endurance et la capacité d’absorption des techniques démesurées) peut provoquer quelques ricanements dans l’assemblée. En 1980, date de sortie du film, la lassitude se fait sentir à la Shaw sur ce registre de film et cette typologie de scénario. À moins d’y mettre toute son âme pour donner du corps à une réflexion sur les arts martiaux tout en restant dans un certain classicisme stylistique (comme Liu Chia-liang), les récits de ce type ont été tellement essorés qu’ils ne parviennent plus à convaincre, surtout quand on a affaire à un cinéaste peu inspiré comme ici. Passé le (long) flash-back, l’intrigue revient sur ses protagonistes d’origine. Le héros est aux faits de ce qu’il est et doit faire. En combattant juvénile, il manque de maturité dans ses actions, ce qui induit quelques retournements qui mettent à mal la suspension consentie d’incrédulité (bien trop bavard, il dévoile ce qu’il sait et va faire à ses adversaires).

Ajouté à cela des costumes parmi les plus bariolés, les maquillages les moins bien finis de la Shaw, on en est à se demander si Chang Cheh ne cherchait pas à s’approcher du nanar. La réponse est évidemment non. La vertu de Legend of the Fox est de montrer ce que donne le fruit d’un réalisateur qui semble las. Si on peut essayer de faire le même procès en nanardisme aux wu xia fantastiques et colorés qui vont suivre dans la même compagnie (Holy Flame of the Martial World, Buddha’s Palm, Portrait in Crystal, Demon of the Lute), il n’en est réalité rien : le second degré est permanent dans ces productions, et elles cherchent presque uniquement à décoller la rétine dans un amusement général. Seul le pan final du Legend of the Fox, dans lequel il rencontre une maîtresse en techniques de poison avec qui il va s’allier, se révèle plus intéressant, car ce personnage féminin, interprété avec charisme par Choh Seung-wan, anime le film d’une élégance nouvelle. Le scénario se révèle toutefois un peu trop emmêlé à ce moment, avec une flopée de nouveaux personnages dans un lieu différent, pour redonner l’impulsion qu’il lui fallait. L’adaptation qui est faite d’un roman de Jin Yong est sans doute trop condensée sur cette partie.

BONUS

Présentation du film par Arnaud Lanuque (12 min). Notre commentateur habituel des éditions Spectrum Films rappelle qu’au début des années 1980, Chang Cheh était sur le déclin, après une très longue présence dans l’industrie cinématographique sinophone (depuis la fin des années 1940) et que malgré tout, Legend of the Fox est l’une des dernières pièces dignes d’intérêt de son œuvre. Il affirme que l’œil de Chang Cheh pour découvrir les nouveaux talents était toujours intact puisqu’il offre le premier rôle à Chin Siu-ho, âgé de 16 ans, qui apporte son énergie juvénile au film, et mentionne la présence de trois des cinq acteurs principaux des Venoms, des habitués du réalisateur qui signent également la chorégraphie aérienne du film. Il souligne toutefois que le métrage n’échappe pas à une certaine mollesse et paresse de la part du cinéaste dans la mise en scène.

Interview de Chin Siu-ho (21 min). L’interprète principal du film, très jeune à l’époque, partage ses souvenirs avec entrain. Il revient sur ses capacités martiales et comment Chang Cheh, qu’il considère comme son mentor, l’a détecté. Il avoue avoir été invité à lire le roman de Jin Yong dont le film est adapté mais n’avoir pas tout compris. Enfin, il énonce que tourner des films aujourd’hui est beaucoup plus simple, car la technologie archaïque des années 70 et 80 allongeaient le temps de tournage.

Maxime Bauer.

Legend of the Fox de Chang Cheh. Hong Kong. 1980. Disponible dans le coffret Shaw Brothers The Bells of Death/Legend of the Fox/Portrait in Crystal paru chez Spectrum Films en mars 2024.