VIDEO – Holy Flame of the Martial World de Tony Liu

Posté le 14 octobre 2021 par

Durant les années 2000, les étals français de DVD ont vu fleurir de belles éditions des films de la compagnie Shaw Brothers, grâce aux éditeurs Wild Side et CTV. Ainsi, Chang Cheh et Liu Chia-liang ont pu être redécouverts. En 2021, Spectrum Films poursuit la tâche laissée par ses aînés et pour l’occasion, nous défriche des long-métrages inhabituels de la compagnie de Run Run Shaw. Penchons-nous sur le défrisant Holy Flame of the the Martial World de Tony Liu, sorti à Hong Kong en 1983.

Un couple d’artistes martiaux est assassiné par de vieux maîtres maléfiques de kung-fu, car les malheureux refusaient de dévoiler l’emplacement de la Flamme sacrée, une arme légendaire. Dix huit ans plus tard, la Flamme sacrée est toujours au cœurs de conspirations et de convoitises quant à sa localisation, auxquelles viennent s’ajouter l’intervention du fils orphelin, déterminé à venger ses parents.

Ce long-métrage de Tony Liu emprunte de nombreux gimmicks aux wu xia cinéma et littéraire, parmi lesquelles la vengeance héréditaire, le combat face à des félons à l’âge avancé et des épreuves à surmonter pour obtenir une arme légendaire. L’agencement de ces outils scénaristiques est réalisé de telle manière qu’il donne toute la latitude à un Tony Liu fort inspiré d’offrir un spectacle visuel éclatant et décomplexé.

Holy Flame of the Martial World se situe dans la même lignée que Buddha’s Palm, une autre production Shaw Brothers de type xian xia pian (heroic fantasy chinoise), et la seule du genre à être parue en DVD dans l’ère vidéo des années 2000. Buddha’s Palm lui-même est une tentative pour la Shaw Brothers de contrer un autre film majeur du cinéma hongkongais, à savoir le Zu, les Guerriers de la montagne magique de Tsui Hark. Ces films hongkongais, qui n’ont pas convaincu le public et les studios au début des années 1980, se caractérisaient par l’utilisation d’effets spéciaux et graphiques nouveaux dans l’industrie. L’essentiel de ces SFX consistent en une déferlante de couleurs lors de tirs de lasers ou d’apparitions spectrales, et de câbles pour que les personnages volent à travers les décors. Dans ces trois films, les protagonistes sont hauts en couleur, tournoient dans tous les sens, et l’intrigue elle-même est servie par un montage frénétique et ciselé.

Bien que n’ayant pas trouvé son public dans les années 1980, ce type de production, que l’on regarde maintenant avec un regard neuf, se révèle particulièrement jouissif, et Holy Flame of the Martial World n’est pas moins qualitatif que les plus illustres Buddha’s Palm et Zu. Tony Liu ajuste à la bonne dose chaque ingrédient de son film de telle manière que le rythme ne s’abaisse jamais et que les effets spéciaux s’intègrent avec fluidité dans le flot. Les quelques personnages d’une intrigue qu’on peut qualifier de minimaliste se répondent avec parcimonie, juste assez pour donner de la substance à l’enjeu des combats. Il est ainsi question de déverrouiller l’accès à des items, de venger ses parents, de devenir le maître du monde des arts martiaux… Ces objectifs simples sont parfaitement explorés dans la mesure où Tony Liu donne du corps aux schémas d’action qui les suivent. Il dispose à cet effet d’une direction artistique avisée ; outre les trouvailles graphiques, comme le combat d’art martiaux contre des idéogrammes chinois – un effet inédit -, le film brille par sa gestion de l’espace et de la colorimétrie globale, y compris dans les costumes, les couleurs des perruques et les jeux de lumière. Holy Flame of the Martial World est un déluge de couleurs et de gestes, formant un tourbillon sensationnel pour qui sait apprécier ce qui relève de l’artisanat du cinéma. Dans les années 1960, il y a eu Mario Bava et les gialli en Italie. Dans les années 1970 et 1980, il y a eu la Shaw Brothers à Hong Kong.

En Italie comme à Hong Kong, le cinéma de genre a eu affaire à des budgets serrés et une production à la chaîne intense. Parmi ces lignées de films, quelques artisans, au point niveau technique et avec une certaine vision du cinéma intégrant un budget limité, ont pu exercer avec l’aval des studios. Tony Liu fait partie de ce type de réalisateurs. Il a vivoté dans plusieurs registres en tant que metteur en scène, se raccrochant à certaines modes ou certains courants – comme le Girls with gun dans les années 1990. Il a toujours produit un travail imaginatif et pensé sur le rythme. Avec Holy Flame of the Martial World, il intègre ce savoir-faire, qu’il a longuement acquis en observant les plateaux de cinéma dès ses débuts en tant qu’acteur, dans la machine Shaw Brothers, c’est-à-dire dans ses décors, son style et sa volonté de dresser le portrait d’une Chine ancienne fantasmée. Pour cela, le choix du xian xia pian lui permet de nous décoller les rétines.

Bonus de Spectrum Films (disque 1 du combo)

Présentation d’Arnaud Lanuque (13 minutes). Toujours en direct de Hong Kong, Arnaud Lanuque revient en détail sur les spécificités qui caractérisent le registre auquel appartient Holy Flame of the Martial World. Il décrit où le film se situe dans la filmographie si particulière et foisonnante de Tony Liu, à savoir sa période Shaw Brothers du début des années 1980, soit sa période la plus inventive. Il dresse le parallèle entre Holy Flame of the Martial World et Zu, les Guerriers de la montagne magique et Buddha’s Palm. Il ajoute que Holy Flame of the Martial World fait partie de ses films qui ont hérité du cinéma cantonais des années 60, en opposition au cinéma mandarin. Enfin, Arnaud Lanuque évoque la présence d’un semblant de message politique dans le film de Tony Liu, reflet de la situation insatisfaisante des élites du Port parfumé au début des années 1980.

Le déclin de la Shaw Brothers par Arnaud Lanuque, 1ère partie (10 minutes). Pour la première partie de ce sujet très intéressant, Arnaud Lanuque revient sur les grandes lignes de la création de la Shaw Brothers en 1925 à Shanghai, ce qui a forgé son identité, fait son succès et détaille son évolution dans les décennies suivantes pour expliquer la désaffection du public hongkongais à la fin des années 1970. Le focus sur la Chine éternelle et fantasmée dans les productions d’art martiaux ainsi que la persistance à utiliser le mandarin plutôt que le cantonais sont une explication du désamour du public hongkongais de cette époque, dont la mutation sociologue – et donc ses goûts en matière de cinéma – par rapport à la première moitié du XXème siècle est notable.

Interview de Candy Man (19 minutes). L’interprète du rôle secondaire «Garçon Serpent Doré » évoque le tournage de Holy Flame of the Martial World, le tournage des autres films qu’elle a effectué pour son beau-frère Tony Liu, et plus généralement la pratique de l’acting et des arts martiaux dans le Hong Kong des années 1980 et 1990. Candy Man peut sembler ne pas développer l’histoire du cinéma hongkongais dans le détail, mais ce genre de témoignages, mis bout-à-bout, forme une image composite d’une industrie cinématographique. En l’occurrence, Candy Man peut raconter avec précision la façon d’être et les idées de metteur en scène de Tony Liu, alors que très peu d’informations sont trouvables en anglais ou en français sur le net à l’heure où nous écrivons ces lignes – pas même son décès. Et pourtant, Spectrum Films nous l’a montré en exploitant sa filmographie, son travail reflète les tendances du cinéma de son pays, et donc, son Histoire.

Maxime Bauer.

Holy Flame of the Martial World de Tony Liu. Hong Kong. 1983. Disponible dans le Blu-ray double Holy Flame of the Martial World/Demon of the Lute chez Spectrum Films le 01/10/2021.

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