VIDEO – Portrait in Crystal de Hua Shan

Posté le 19 avril 2024 par

Les éditions Spectrum Films poursuivent leur exploration du gigantesque catalogue de la firme hongkongaise Shaw Brothers, en proposant un coffret de trois films éclectiques. Attardons-nous sur le flamboyant Portrait in Crystal de Hua Shan sorti en 1983, réalisateur connu chez nous pour sa copie de tokusatsu made in hong kong Super Inframan.

La légende veut que si vous mettez du sang sur une statue de cristal pendant sa fabrication, elle prendra vie. Long Fei achève une belle sculpture et verse son sang sur sa surface comme pour tester le destin. Alors que son œuvre a disparu de l’endroit où il l’avait entreposée, une combattante au visage de cristal commence à tuer dans les environs… La statue a-t-elle vraiment pris vie ?

En 1983, la Shaw Brothers est sur la pente fatale du déclin. Ses œuvres à tendance wu xia, tournées à l’ancienne, ne passionnent plus les foules, alors que la Nouvelle Vague hongkongaise bat son plein en renouvelant la portée artistique du cinéma hongkongais d’un côté, et pendant que de nombreuses compagnies concurrentes (à commencer par la Golden Harvest) creusent leur sillon commercial en remodelant le cinéma d’action. En ce début des années 1980, seul un réalisateur maison a su maintenir l’intérêt des commentateurs : Liu Chia-liang, qui tourne pourtant lui aussi à l’ancienne, mais non sans un certain sens de la qualité et de la mise un œuvre d’un propos. Et pourtant, ce début de décennie est aussi, rétrospectivement, le moment où de nombreux wu xia baroques et excessivement divertissants ont vu le jour dans la compagnie de Run Run Shaw : Buddha’s Palm de Taylor Wong, Holy Flame of the Martial World de Tony Liu, Demon of the Lute de Tang Tak-cheung, et donc, ce Portrait in Crystal de Hua Shan. Ce qui est réjouissant, c’est que malgré l’esthétique générale des films de la Shaw qui les rend tous reconnaissables à la première image seconde, ces films se révèlent visuellement un peu plus fous sans s’éloigner de cette charte, et y compris entre eux, ils se distinguent par leur propre personnalité.

Portrait in Crystal offre au spectateur un univers chevaleresque décomplexé, s’inspirant de l’atmosphère populaire de la bande dessinée – nous pourrions dire aussi bien des comic-books que des mangas – dont l’esthétique de wu xia devient le ciment qui le rend cohérent et si puissant. Le réalisateur utilise de nombreuses gélatines qui colorent son image dans tous les sens et la fait briller de mille feux. Plusieurs plans inspirés parsèment le film, lui donnant une intensité toute particulière. L’histoire en elle-même aurait pu se retrouver dans les mains d’un autre réalisateur classique. En caricaturant un peu, Chu Yuan aurait pu réaliser une variante de ce film, puisqu’il implique des sociétés secrètes se faisant face et manipulant des armes originales, de l’épée en cristal au poison mortel, et demandant aux protagonistes de cacher leurs intentions pour les révéler au bon moment. Hua Shan utilise le scénario pour mettre en valeur sa photographie et la prestance de ses acteurs, dont certains portent un costume attirant l’œil et relativement inédit dans les films de la Shaw.

Si Portrait in Crystal n’appartient pas aux classiques reconnus de la firme aux côtés des chefs-d’œuvre de Chang Cheh, Chu Yuan ou Liu Chia-liang, c’est sans doute parce qu’il s’agit d’un film de commande, dont l’aspect créatif répond à une stratégie de positionnement et non pas à de réelles intentions artistiques. Cela étant admis, Hua Shan semble avoir disposé d’une certaine latitude pour transformer ce scénario somme toute générique en un déluge de couleurs et de plans attrape-œil. Le design de ses personnages, à commencer par la combattante au visage de cristal, ainsi que certains choix de scènes – une séquence de supplice assez dure et détonante, à la fois gore et érotisante – placent le cinéaste dans une forme d’exaltation créative à son échelle, qui se ressent pleinement à l’écran et rend le film d’autant plus divertissant. Le scénario comporte tout de même son lot de suspense, et l’intérêt du spectateur est constamment maintenu par le défilé de ces images esthétiques et originales, qui ne s’arrête jamais. Le scénario est signé Huang Ying, confrère des romanciers tels que Jin Yong et Gu Long, et adapte sa propre œuvre.

Ce film de 1983 arrive donc trop tard pour enrayer la chute de la Shaw Brothers et à l’image des autres œuvres de sa catégorie, il mérite d’être reconsidéré d’un point de vue artistique, autant qu’être revu pour simplement s’amuser devant un film d’arts martiaux à l’atmosphère bariolée. Et cela, finalement, n’est-ce pas devenu un petit peu rare, et donc précieux ?

BONUS

Présentation d’Arnaud Lanuque (10 min). D’une manière toujours rigoureuse, Arnaud Lanuque explique dans quel contexte ces films wu xia colorés ont vu le jour à l’orée des années 1980. Il détaille avec précision la riche carrière du réalisateur Hua Shan, originaire de Chine continentale, d’abord directeur de la photographie, avant de devenir réalisateur, reconnu à l’international par son nanar de luxe Super Inframan, et comment sa carrière n’a pas tellement survécu à la Shaw Brothers. L’intervenant ajoute un bref historique bienvenu à propos de la carrière de romancier et de scénariste de Huang Ying.

Hua Shan par Frédéric Ambroisine (10 min). Dix riches minutes par Frédéric Ambroisine qui offre un tour d’horizon complet de la carrière de Hua Shan, en prolongement détaillé de l’intervention d’Arnaud Lanuque. De son rôle d’assistant du directeur de la photographie Nishimoto Tadashi au début des années 1960, à son dernier film, un Girls With Guns de 1991, en passant par son incursion dans la brucespoilation et des films de Chine continentale dans les années 1980 qui lui ferma un temps les portes de Hong Kong et Taiwan, tout passe au crible de Fred Ambroisine ; le module est agrémenté d’une belle iconographie (notamment, pour les nanars de kung-fu du réalisateur, des posters et titres français d’époque complètement délirants).

Un livret de photos des trois films du coffret, qui ravira les amateurs de goodies.

Maxime Bauer.

Portrait in Crystal de Hua Shan. Hong Kong. 1983. Disponible dans le coffret Shaw Brothers The Bells of Death/Legend of the Fox/Portrait in Crystal paru chez Spectrum Films en mars 2024.

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