Retro – Ghost in the Shell de Oshii Mamoru (1995)

Posté le 24 mars 2017 par

La sortie imminente de la transposition américaine de Ghost In The Shell est l’occasion de revenir sur le classique d’Oshii Mamoru, toujours aussi hypnotique et envoûtant.

L’histoire se déroule en 2029 dans un monde futuriste cyberpunk et nous fait suivre les aventures de Motoko Kusanagi, dite « major », et Batou, deux cyborgs appartenant à une unité spéciale du gouvernement (la section 9, anti-terroriste) qui essaient de capturer le pirate informatique le plus dangereux et insaisissable au monde, connu seulement sous le pseudonyme de Puppet Master (« le marionnettiste »). Cette traque se fait sur un fond de guerre des services avec la section 6, qui s’intéresse elle aussi au Puppet Master dans le cadre d’un projet mystérieux, le « projet 2501 ».

Ghost in the Shell demeure sans doute l’œuvre maîtresse de Oshii Mamoru, tout en constituant un jalon essentiel du courant cyberpunk et tout simplement un classique de science-fiction. Oshii avait emmené l’animation japonaise dans l’âge adulte avec Patlabor (1989) et Patlabor 2 (1993), tant dans la mise en scène que par l’ambition du traitement entre polar technologique et politique-fiction. Cependant, les deux films, par leurs velléités réalistes, étaient dénués – si ce n’est par le sens de l’atmosphère du réalisateur – du vertige existentiel des œuvres les plus personnelles de Oshii, que ce soit L’œuf de l’Ange (1985) ou Lamu: Beautiful Dreamer (1984). Patlabor avait permis à Oshii d’imposer son style dans une production exigeante et grand public au sein de la structure collective Hedgear réunissant des collaborateurs par la suite indissociables de son nom comme le scénariste le scénariste Ito Kazunori ou le compositeur Kawai Kenji. Patlabor 2, plus complexe et moins porté sur l’action montrait donc un Oshii pousser plus loin sa dimension réflexive. Ghost in the Shell lui offre donc un écrin idéal pour croiser la rigueur des Patlabor et la nature plus étrange et insaisissable qui le caractérise.

Ghost In The Shell

Le scénario adapte la trame la plus fameuse du manga de Shirow Masamune, celle opposant la Section 9 à l’insaisissable criminel Puppet Master. Dans un futur proche, le monde est de plus en plus connecté au point de susciter une véritable mutation de l’humain, désormais « dopé » par des implants le reliant en permanence au réseau. A ces nouvelles possibilités répond donc également une nouvelle criminalité nécessitant une autre forme de protection à travers la Section 9. Motoko Kusanagi est un cyborg mêlant corps artificiel et cerveau humain dont l’enquête sur le Puppet Master va réveiller les questionnements sur ce qu’elle est vraiment. Oshii appuie tout d’abord la facette cybernétique de son héroïne à travers ses facultés surhumaines. C’est dans l’action où la précision chirurgicale, la vélocité et l’art du camouflage de Motoko sont remarquablement mis en valeur dans des morceaux de bravoure virtuoses. Cette déshumanisation s’exprime aussi dans l’approche plus contemplative et typique de Oshii. L’ouverture montrant la silhouette de l’héroïne dominant l’urbanité nocturne souligne ainsi la distance qui la sépare des hommes – auxquels elle ne se mêlera que pour déployer ses capacités. De même, le générique montrant la chaîne de fabrication d’un cyborg appuie cette idée.

Ghost In The Shell

C’est lorsque le rythme se ralenti et que Motoko s’isole de son environnement que cette humanité peut discrètement resurgir. Le réveil avec son ombre se dessinant face à la lumière du jour dévoile une solitude et un vide plutôt que la distance évoquée précédemment, la scène de plongée exprime ce besoin d’oubli de soi où la machine affûtée laisse place à la femme en plein doute. Le film – contrairement au manga, aux séries télévisées ou à la version live à venir – ne dévoile rien de la possible vie humaine ayant précédée pour Motoko, son attitude taciturne signifiant tour à tour la froideur du cyborg ou le doute d’un être qui se cherche. L’interaction avec les autres personnages contribue à l’empathie, notamment un Batou de même constitution cybernétique mais se posant nettement moins de questions – au point d’en plaisanter par cette réplique à Togusa, seul partenaire humain de la Section 9 : « T’es le seul avec Aramaki dont le corps n’est pas sous garantie… ».  Le chara-design appuie tout à la fois les formes féminines marquées de Motoko en soulignant à maintes reprises l’aspect massif – et donc artificiel – de son corps avec un environnement (échafaudages, rebords d’immeuble) s’effritant sous son poids, notamment lors de la poursuite urbaine. Les héroïnes charnues de Shirow Masamune et la sensualité qui va avec sont escamotés par Oshii qui n’érotise jamais Motoko dont la nudité va de pair avec sa fonctionnalité de camouflage thermique. Pourtant plusieurs fois, Batou fait le geste de la recouvrir d’un manteau, l’indifférence de Motoko soulignant son inhumanité tandis que la prévenance de son collègue lui redonne la pudeur qu’on rattache à une femme.

Ghost In The Shell

Ces doutes sur ce que définit un être humain se ressentent de façons diverses. Les longues plages contemplatives portées par les complaintes et percussions hypnotique du score de Kawai Kenji nous perdent sans but dans cette cité futuriste. Le croisement entre esthétique cyber à la Blade Runner et urbanité plus pittoresque (avec ces écrans publicitaires intégrés à des barques de bois pittoresques), la dualité entre building high-tech et quartier populaire, tout cela est également une façon de montrer ce futur coincé entre passé et progrès – et reflétant par la même les doutes de Motoko qui s’y perd sans but. Notre héroïne constitue ainsi le revers d’une même pièce avec le Puppet Master. Intelligence artificielle immatérielle s’éveillant à la conscience, il s’oppose à Motoko et la complète, elle qui malgré son corps partiellement humain s’interroge sur sa vraie nature. Le « ghost » soit l’âme qui relie l’homme à la machine ne repose donc pas sur un statut physique figé mais sur une conscience, une volonté de s’incarner tant par l’esprit que le corps. Ce plan d’ensemble puis ce lent travelling avant révélant le nouvel être joue de cette ambiguïté, l’image évoquant autant la marionnette que le visage rajeuni de Motoko pour affirmer la fusion de ces identités contraires et complémentaires. Place à un être nouveau, à l’enveloppe physique et à l’esprit réconciliés pour une mutation l’emmenant plus loin que l’humanité. La redite de la scène finale avec l’ouverture où Motoko domine la ville n’évoque donc plus un fossé face à ce monde mais une impatience à s’y fondre. Des possibilités infinies et fascinantes, mais peut-être pas totalement comblées dans un Ghost in The Shell 2: Innocence (2004) formellement époustouflant mais sans doute trop hermétique.

Justin Kwedi.

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