SI LOIN, SI PROCHE 2024 – Soirée d’ouverture

Posté le 31 janvier 2024 par

C’est avec un franc succès et une salle comble que le festival Si loin, Si proche débute sa 3e édition à la Ferme du Buisson ! Afin de célébrer comme il se doit les cinémas du Laos, du Cambodge et du Vietnam, le festival a organisé une soirée aussi diverse que les activités proposées entre le 24 et le 28 janvier. En amont de la séance était proposé un spectacle de danse par le groupe HLUB CIM-XEEB, mise en bouche aussi plaisante que forte pour introduire les grands enjeux du festival : présenter et préserver les identités culturelles des diasporas du sud-est de l’Asie à travers, non pas uniquement le cinéma, mais surtout une expérience communautaire communiquée aux spectateurs. C’est dans cette même perspective qu’après la séance était proposé différents plats originaires du sud-est de l’Asie et proposé par diverses associations, le tout animé par un DJ Set de A Cat called Fritz.

Pour ce qui est de la séance en elle-même, la programmation a fait le choix de donner un avant-goût des différents court-métrages que l’on pourra retrouver dans la section « Vue sur court » provenant chacun des trois pays mis à l’honneur. Cette sélection éclectique laisse voir un premier panorama assez alléchant pour la suite du festival.

Candle Light de Polen Ly :

Très court-métrage de 4 minutes ouvrant le bal de la soirée, Candle Light se démarque tant par sa concision que par sa forme. Filmé en format portrait, le récit présente une petite uchronie aux allures de science-fiction dans laquelle la bougie est une denrée rare utilisée par tout le monde pour lire. L’on y suit plusieurs personnages dont la bougie s’éteint et cherchant de la lumière pour continuer leur activité. Si le film ne cherche pas à se défaire d’une certaine naïveté (complètement assumée si l’on en croit la place importante qu’ont les enfants dans le film), il présente de superbes images éclairées à la bougie qui, intelligemment, épousent ce format portrait aussi commun dans notre quotidien que rare au cinéma.

Birdsong de Omi Zola Gupta et Sparsh Ahuja :

Film documentaire sur la musique traditionnelle des Hmongs, Birdsong est aussi déroutant que fascinant. Certes, ne connaissant pas ces pratiques musicales ni même ce rapport très spécial des Hmongs entre la musique et le langage, le film est dès lors une découverte. Cependant, le travail effectué par les documentaristes se révèle à la hauteur de leur objet. Il y a notamment de superbes séquences musicales qui, de prime abord, sont purement symphoniques, mais se voient revêtues d’une narration à travers des sous-titres afin de souligner le rapport très singulier de cette musique aussi signifiante qu’abstraite. Mais les documentaristes font surtout le portrait de trois personnages, de leur rapport à la musique ainsi que de leur vie au Laos, le tout dans un dispositif esthétique d’une efficacité folle et qu’il faut absolument découvrir en salles, que ce soit pour profiter de l’image ou du son. Chaque personnage se voit donner une identité visuelle particulière : le documentaire est ici quasiment filmé à la manière d’une fiction. Du moins, les cinéastes assument pleinement le parti-pris de la narration dans ce documentaire, narration soulignée par divers effets de mise en scène saisissants qui, plus que d’illustrer la simple parole des personnages, témoignent eux aussi d’un rapport particulier à la musicalité et au signifiant. Puisque c’est ce qui frappe premièrement le spectateur qui ne connaît pas cette tradition musicale : la musique est signifiante, quasiment discursive. Tout l’enjeu du film se trouve dans ce rapport entre la musique et les autres, ici plus particulièrement entre la musique et la population Hmong du nord du Laos, pour y déceler des enjeux plus profonds encore grâce au cinéma allant des histoires d’amours perdues des personnage à l’Histoire d’un peuple dans son pays, en passant aussi par l’histoire d’une urbanité menaçante et de la perte de sens de certaines pratiques traditionnelles.

Les saigneurs de Rotha MOENG

Singulier film entre cinéma du réel et onirisme débordant, Les Saigneurs nous met dans la peau de Khlek, un jeune garçon, qui assiste au travail de ses parents : saigneurs dans une plantation cambodgienne d’hévéa. Les premières images du film sont assez éloquentes à ce sujet : dans le noir sombre, l’on y voit l’activité des travailleurs seulement grâce à leur lumière frontale se baladant dans le plan, ressemblant alors à des lucioles (et évoquant d’emblée le fameux texte de Pasolini). Par la suite, du point de vue de l’enfant, nous assistons à ce travail destructeur, aussi bien pour son entourage que son environnement. C’est à partir du point de vue enfantin que le film propose une vue politique sur la survivance et la destruction, aussi bien identitaire qu’environnementale.

Boat People de Thao Lam et Kjell Boersma

Boat People est un court-métrage d’animation retraçant la migration de la famille de Thao du Vietnam au Canada à travers une métaphore fourmilière périlleuse, se révélant petit à petit aussi belle que grave. Le style d’animation particulier, entre l’animation traditionnelle et le théâtre de papier, ajoute au récit déjà singulier une certaine originalité. Le tout étant narré du point de vue de Thao, enfant lors de la migration de sa famille et dont les enjeux de celle-ci la dépassait, le film adopte tant ses réflexions que son point de vue sur le monde : le drame se transforme en périple épique, le sordide se révèle énigmatique, le rapport au monde se voit différent. Mieux, le film en suivant le parcours de Thao et son enfance, se mue tant dans son discours que sa forme : il mature, prend de la distance avec ses premières réflexions et donne un épilogue assez émouvant à Thao qui, devenue adulte, comprend enfin ce périlleux voyage tout comme sa comparaison aux fourmis. Celle-ci se révèle aussi poétiquement maladroite que tragiquement lourde de sens.

La forêt de Pao de Nguyen Pham Thanh Dat

De nouveau situé dans la communauté des Hmongs, La Forêt de Pao est un récit onirique alternant sans cesse entre passé et présent, narrant la jeunesse de Pao, son mariage forcé et ses espoirs perdus. Le film ne prend pas de pincette avec son spectateur : le traînant d’une temporalité à l’autre sans prévenir, du réel au possible et du souvenir au présent. Dans sa forme radicalement fragmentée, il gratifie tout de même l’œil d’une mise en scène souvent surprenante. À la manière d’un puzzle, le film s’éparpille avec des séquences en noir et blanc et des séquences en couleur, sans donner de solution au spectateur. Libre à lui de tenter de le résoudre, ou de se laisser bercer par les séquences pouvant tout aussi bien fonctionner de manière autonome, chacune explorant un pan de la vie de Pao (qu’il soit réel ou non). Un petit voyage déroutant au dispositif très fragile mais durant lequel il est tout de même agréable de se perdre.

Sounds from the Kitchen de Lee Phongsavanh

Notre petit favori de la soirée, Sounds from the Kitchen, est une sorte de comédie musicale dans laquelle un groupe de jeunes ados, à défaut d’avoir accès à un studio d’enregistrement, fait de la musique avec un micro et ce qu’ils trouvent dans leur cuisine. Dès les premiers plans, le cinéaste use de l’impressionnante prestation de ses trois jeunes acteurs pour instaurer, sans même avoir besoin de les faire parler, le tempo comique à venir. Ce tempo comique sera aussi cinématographique que musical : Lee Phongsavanh utilise plutôt finement les codes de l’électro pour composer des gags à la fois visuels et sonores. Les kicks et les snares deviennent des allume-gaz, la basse un pilon, la mélodie de petites gouttes de sauces qui tombent dans un plat… Le tout pour accoucher de morceaux dans la lignée du label PC Music (on peut notamment penser à l’amusant DJ Kane West) mais aussi de séquences hilarantes et inventives. Il faut le voir pour le croire et Si loin, Si proche nous en a donné l’opportunité.

C’est ainsi que se clôt cette ouverture pleine de promesses : un panorama vivace des cinémas du Laos, du Cambodge et du Vietnam, mais surtout une réflexion profonde autour de l’identité et un festival qui dépasse le cadre de la simple salle obscure.

Thibaut Das Neves

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