NETFLIX – Les Contes de Terremer de Miyazaki Goro : tuer le père

Posté le 22 avril 2020 par

Comme tous les films Ghibli, Les Contes de Terremer de Miyazaki Goro est disponible sur Netflix. Cette œuvre, le premier des deux longs-métrages qu’a réalisé le fils de Miyazaki Hayao, a été marqué par une nette scission, sur des considérations créatives, entre les deux hommes.

Dans le monde de Terremer, peuplé d’humains et de dragons, chaque chose possède un nom caché et qui en prend connaissance peut en acquérir le total contrôle. Le prince Arren tue son père et vole son épée. Secouru en plein désert par l’archimage Epervier, il fait la connaissance en ville de Therru, une jeune fille menacée par des esclavagistes aux ordres d’un sorcier diabolique.

Les Contes de Terremer symbolise la complexité qui règne au sein du studio Ghibli. Miyazaki Hayao souhaitait adapter dès les années 1980 le Cycle de Terremer d’Ursula K. Le Guin, une saga livresque de fantasy populaire. Le projet finit par se mettre en route pour une sortie en 2006, mais Miyazaki père délègue la réalisation à son fils Goro, arrivé dans l’organisation de son paternel après avoir pourtant longtemps envisagé une toute autre carrière que dans l’animation. Bien que dirigeant et scénarisant le film, Miyazaki Goro doit faire avec la présence de son père, qui parvient difficilement à produire un film dans son studio sans regarder de près le processus de création. Il en résulte un film mal aimé, désavoué publiquement par Miyazaki Hayao. Le synopsis, qui évoque un parricide, devient quelque peu ironique lorsque l’on a ces éléments en tête.

Il est difficile de remettre en cause l’avis de Miyazaki Hayao, un artiste accompli à n’en point douter. Pourtant, le film de son fils Goro est loin d’être dénué de qualités, pour peu que l’on accepte que Goro n’est pas Hayao. L’univers de fantasy des Contes de Terremer est d’une logique qui parait simple, contrairement aux tourbillons graphiques et idéologiques que sont les chefs-d’œuvre de Hayao. Il est question d’esclavage, de pouvoir, de gestion d’une crise agricole (Miyazaki Goro a effectué des études en agriculture et sciences forestières) ; le film ne s’aborde tout de même pas sans politique. Il est aussi question de références mythologiques fictives, avec des éléments clairs concernant la diégèse de l’œuvre, sur la magie et les dragons. Ces composantes se déploient dans le premier tiers du film, en même temps que la trame scénaristique se pose. Puis l’intrigue se développe, et laisse surtout la part belle à l’évolution d’Arren, un jeune homme dont la colère en lui peut déborder en pulsions meurtrières. À ce titre, la scène dans laquelle il sauve Therru d’un élèvement en violentant ses agresseurs, au point de rendre Therru méfiante, est très fine, et crée de l’épaisseur psychologique chez Therru également.

En réalité, ce que l’on a pu reprocher instinctivement aux Contes de Terremer, c’est cette propension à développer clairement son idée sans esbroufe, sans envol émotionnel, y compris graphiquement, alors que Miyazaki Hayao nous avait habitués à des séquences animées fortement saisissantes (le cerf dans Princesse Mononoké, le sanglier contaminé dans le même film, Totoro sous la pluie qui attend le bus)… Miyazaki Hayao propose des morceaux de bravoure et des séquences émotionnelles qui relèvent d’un onirisme inégalé. Miyazaki Goro a eu à faire avec cette héritage et – grand bien lui a pris ! – il a décidé de ne pas adopter ce style qu’il aurait pu copier, d’autant que le patron du studio Ghibli était là pour le guider dans cette voie. En un sens, Les Contes de Terremer freine autant le style Miyazaki Hayao – moins d’onirisme, plus de logique – qu’il en respecte l’esprit, infusé dans les studios – univers de fantasy avec des personnages pris dans les tourments d’un système politique et écologique vicié, dans lequel ils doivent faire triompher le bien. Les Contes de Terremer, en plus d’adapter Le Guin, reprend des éléments du Voyage de Shuna, un livre illustré de… Miyazaki Hayao.

Miyazaki Goro a donc été fidèle au studio d’animation pour lequel il travaille, car il a mis en œuvre un projet de longue date de Miyazaki Hayao, en incorporant des inspirations de ce même artiste dans ce film. Les idées, la ligne créatrice, sont là. Mais il a aussi tâché de trouver son propre style de réalisation, d’une grande clarté, qui forcément souffre de la comparaison avec le style habituel du studio Ghibli, principalement incarné par ces deux grands artistes et animateurs que sont Miyazaki Hayao et Takahata Isao. Il en résulte pourtant un long-métrage d’animation honnête, d’une beauté plastique indéniable, qui montre le cheminement d’un jeune garçon perdu et qui va parvenir à se trouver. Une idée belle, correctement mise en scène et qui, remise dans son contexte de création, est éloquente.

Maxime Bauer.

Les Contes de Terremer de Miyazaki Goro. Japon. 2006. Disponible sur Netflix le 01/02/2020.

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