DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 34 : Kimitachi wa Do Ikiru ka? de Miyazaki Hayao : Comme je l’aurai voulu

Posté le 10 août 2023 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre ici ses réflexions sur dernier film de Miyazaki Hayao : Kimitachi wa Do Ikiru ka?.

Le nouveau film de Miyazaki Hayao, celui qui sera l’autre « dernier long métrage » (après Le Vent se lève en 2013), sorti le 14 juillet au Japon, ne participe pas de cette lassitude aigrie qui accompagne les enjeux critiques et toxiques de la presse autour de Greta Gerwig et sa Barbie, et chez Christopher Nolan et son Oppenheimer. Pourtant, quelques commentaires au Japon s’inspirèrent de l’esprit de fronde révolutionnaire de ces polémiques afin de se prêter à un exercice semblable en ciblant ce Comment vis tu ?  qui n’a cependant rien en face de lui : aucun enjeu socio-historique auquel se confronter, sauf la carrière du cinéaste, abondamment présente dans ce film. La fosse abyssale que représente l’absence du Japon chez Nolan nécessitera un autre texte faisant fi d’une vie en rose.

Gerwig se voyait miroitée par la complicité de Noah Baumbach et de Mattel, Nolan est entouré depuis toujours de complices allant de son frère Jonathan au comédien Cillian Murphy et plus récemment du compositeur Ludwig Goransson. Miyazaki, le solitaire y compris à l’époque de Takahata Isao, se retrouvait avec le ‘président’ du Studio Ghibli, Suzuki Toshio. Ce dernier prit la décision de ne créer aucune campagne publicitaire pour le film. La presse le découvrait comme le faisait le public, respectant le souhait de Ghibli, que le récit ne soit pas partagé, que les critiques patientent. Une seule image circulait, celle de l’affiche ; le bouche à oreille et le mystère de cette démarche devaient suffire à attirer les spectateurs. Deux semaines après sa sortie, les entrées rappelaient celles de Chihiro, dépassant les trois millions de spectateurs, bien qu’arrivant après un énième Kingdom de Sato Shinsuke, et Mission Impossible de McQuarrie.

Dix ans ont passé entre Le Vent se lève et Kamitachi…, mais Miyazaki ne s’est pas éloigné de la Seconde Guerre en s’inspirant du roman du éponyme de Yoshino Genzaburo, paru en 1937. Cette fois, le garçon se nomme Mahito ; sa mère est tuée lors d’un bombardement sur Tokyo. Une année passe, son père épouse la sœur cadette de sa femme. Natsuko habite la campagne, ils s’y installent, façon Totoro, où Mahito ne tarde pas de rencontrer l’une de ces créatures qui peuplent l’univers du cinéaste. Un héron qui parle et qui l’invite à pénétrer un monde fantastique dans lequel Natsuko a disparu. Une fois n’est pas coutume, l’enfant devra traverser un tunnel qui le fait oublier où se trouvait l’entrée. Le parcours qui le mènera à sa mère, les personnages qu’il croise et qui lui apportent leurs concours, vaut pour une incarnation d’un retour sur la carrière de Miyazaki. Le cinéaste cite non seulement son œuvre d’une séquence à l’autre – tout y passe ou presque, de Cagliostro au Château dans le ciel, de Kiki à Chihiro, mais insère également une dette affectueuse au Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, et sa complicité admirative avec Moebius. Mahito est débordé à plus d’une reprise par cet excès d’icônes ; ceux-ci ont cependant saisi leur rôle, d’assurer la sortie du récit, pour le garçon et pour le réalisateur qui semble cette fois faire ses adieux.

Miyazaki, à son habitude, ne scelle rien tant qu’il restera l’un des siens. La question est bien ‘comment vis tu ?’, et Natsuko qui risque d’un plan à l’autre de périr, en réchappe. Et bien que le film fait de Mahito un orphelin de guerre dès le début du film,  le cinéaste n’en fait pas un tombeau pour autant. On ne sait si la porte de cette maison de campagne sera fermée à clé ou non, comme la maison de Mitaka, où se trouvent le Studio et le Musée Ghibli. Le Parc Ghibli ouvra le printemps dernier à Aichi, une véritable réussite. De nouveaux courts-métrages s’y glisseront, le temps de résoudre le mystère post-Miyazaki.

Stephen Sarrazin (Oita, août 2023).

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