Cette semaine, Les Films du Préau nous amènent en salles La Maison des égarées, un long-métrage d’animation signé Kawatsura Shinya qui aborde avec douceur et fantaisie la reconstruction d’une famille improvisée après une catastrophe.
Suite à un séisme qui a ravagé leur ville, une adolescente et une petite fille sont recueillies par une vieille dame aussi enjouée que mystérieuse. Ensemble, elles s’installent dans une vieille maison isolée, qui se révèle dotée de facultés magiques : il s’agit d’une mayoiga, une demeure abandonnée qui porte chance à ceux qui y trouvent refuge. Malheureusement une autre légende, plus dangereuse, s’avère tout aussi réelle…
La Maison des égarées est l’adaptation en long-métrage d’un roman de l’écrivaine jeunesse Kashiwaba Sachiko ayant pour point de départ le tremblement de terre qui a frappé le Japon le 11 mars 2011. En dépit de cette thématique sombre, l’œuvre se veut néanmoins résolument optimiste, tournée vers la reconstruction de ses personnages et le retour au quotidien dans une ville fictionnelle de la préfecture d’Iwate. Le résultat est un film qui, malgré un schéma narratif assez conventionnel, parvient à être très tendre dans son approche et à proposer un joli conte qui soit à la portée de tous les publics.
Le film s’ouvre sur le spectacle d’une ville dévastée. Séisme, puis tsunami, le souvenir de Fukushima ne peut qu’être convoqué. A ce traumatisme collectif vient se superposer celui, intime, des deux jeunes filles : Yui, la lycéenne malmenée par un père toxique ; Hiyori, l’écolière déjà orpheline suite à un accident. Pour ces deux héroïnes, il serait naturel de penser que le sort s’acharne. Pourtant, l’arrivée providentielle de Kiwa, cette femme âgée qui décide de se faire passer pour leur grand-mère pour les prendre sous son aile, va radicalement inverser leur destin en leur offrant l’opportunité d’un nouveau départ.
Cette famille de fortune, recomposée autour d’une grand-mère un peu fantasque, a de quoi rappeler Une Affaire de famille de Kore-eda Hirokazu ou Les Délices de Tokyo de Kawase Naomi (deux films où la doyenne étaient d’ailleurs campée par la sublime Kiki Kirin). Naturellement, la première réaction de Yui est la méfiance face à cette étrangère, dont les intentions lui sont d’autant plus incompréhensibles qu’elle-même a été abusée par ses parents. A cet égard, les miracles de la mayoiga ne sont que l’allégorie de cette bonté qui lui semble inexpliquée, à elle qui a manqué d’amour en grandissant.
Partant de là, l’histoire nous mène à la rencontre d’un monde merveilleux prenant racine dans le folklore nippon. Derrière l’amusement de voir kappas et jizos prendre vie, on devine l’appel à la reconnexion avec une vie plus humaine, plus proche de la nature sans doute, mais surtout habitée de la croyance que l’univers regorge de bonnes influences qui veillent sur nous. Cependant, tout comme l’existence comporte son lot d’épreuves, ce peuple invisible ne compte pas que des alliés, et le séisme a réveillé une menace ancienne, qui se nourrit des doutes et des peurs des habitants pour gagner en puissance.
On est tenté de faire le rapprochement avec le récent Suzume de Shinkai Makoto, dont la jeune héroïne, aussi originaire d’Iwate, affronte également le traumatisme du tremblement de terre et les affres du deuil sur fond de lutte contre une créature ancestrale. Cependant, la narration des deux films n’a pas grand-chose à voir, et là où celui de Shinkai privilégie l’aventure et l’action, celui de Kawatsura est plus économe en péripéties. Ainsi, il se concentre plutôt sur le quotidien de ses personnages et leur reconstruction à travers les liens sociaux et leur réapprentissage de la confiance et de l’émerveillement.
Thématiquement, on pense aussi aux enfants humains dans Le Garçon et la bête de Hosoda Mamoru, tombés à en proie à un sentiment de solitude et de rancœur après la perte de leurs parents : l’un parvenant à le juguler grâce au soutien de ceux qui le recueillent, l’autre se laissant dévorer par lui. Toutefois, dans La Maison des égarées, ce mal est incarné par une entité extérieure, démoniaque, toute entière tournée vers la destruction. Si, dans les deux cas, c’est l’union qui permet de le vaincre, la métaphore est ici un peu plus paresseuse, sans doute car elle se veut moins inquiétante pour un jeune public.
En effet, si le scénario peut paraître quelque peu inoffensif, La Maison des égarées a pour lui d’être avant tout très accessible. Bien qu’évoquant des thématiques dures, le traitement s’illustre par un ton tendre et léger, où c’est avant tout un sentiment de bienveillance et d’entraide qui est mis en avant. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le passé tragique des jeunes filles, les flash-backs restent brefs et pudiques, nous offrant une fenêtre sur leurs blessures sans s’y attarder. Quant au combat contre le monstre qu’elles devront finalement affronter, il tient également plus de la formalité symbolique que de la lutte acharnée.
Pour autant, le film n’est pas dépourvu de personnalité. Il se démarque particulièrement à travers les légendes que Kiwa relate de loin en loin à ses protégées. Dans ces moments-là, l’animation adopte en effet un trait plus vague, vacillante, qui enrobe ces histoires des charmes de l’imaginaire. Il est un peu dommage que les audaces formelles restent essentiellement cantonnées à ces parenthèses mystiques et ne transpirent pas davantage dans le reste de l’œuvre, comme chez Watanabe Ayumu par exemple, néanmoins cela se ferait sans doute fait au détriment de la lisibilité de l’ensemble, qui privilégie le message.
Avec Hulla Fulla et la série Bakuten!!, La Maison des égarées est l’une des trois œuvres d’animations du Continuing Support Project 2011+10, un programme ayant pour objectif de rendre hommage aux victimes du 11 mars 2011. Dans ce cadre, elle constitue une proposition touchante qui, sans passer le drame sous silence, appelle surtout à aller de l’avant et à ne pas perdre foi en la beauté du monde ni en la bonté des gens. Prenant soin de toujours préserver une atmosphère bienveillante, elle pourra ainsi s’adresser sans peine aux plus jeunes sans que les plus grands n’aient pour autant à bouder leur plaisir.
Lila Gleizes
La Maison des égarées de Kawatsura Shinya. Japon. 2021. En salles le 28/06/2023