Critique : Le duel silencieux de Kurosawa Akira (DVD)

Posté le 14 janvier 2013 par

C’est comme un bon cognac. Un inédit de Kurosawa, en DVD, ça se savoure. Surtout quand il s’agit d’un drame où le grand maître du cinéma japonais met en scène Mifune Toshiro (Les Sept Samouraïs, Yojimbo…) dans le rôle d’un médecin atteint d’une maladie presque incurable, avec tout le talent qu’on lui connaît. À déguster en connaisseur. Par Aiko.

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1944, guerre du Pacifique. Un jeune chirurgien, Fujisaki Kyoji (Mifune Toshiro) opère un soldat, Nadaka, atteint de la syphilis, se blesse au doigt et se fait contaminer à son tour, sans avoir la possibilité de se soigner. Démobilisé, il tait à son entourage sa maladie, préférant souffrir en silence et lutter en secret contre le virus. Il décide de rompre avec sa fiancée, qui l’a pourtant attendu pendant six ans, et se consacre à soigner les miséreux dans la clinique familiale. Ni elle ni son père, lui-même médecin, ne comprennent ce choix. Pour Kyoji commence un combat bien plus ardu, contre la maladie et contre lui-même…



On ne présente plus Kurosawa Akira, le grand maître du cinéma japonais. À lui seul, il a plus œuvré pour faire connaître le cinéma japonais en Occident que bon nombre de ses successeurs. Des titres couronnés de nombreux Oscars  viennent immédiatement à l’esprit : Les sept Samouraïs, Yojimbo, Sanjuro, Rashômon, Kagemusha, Ran… Mais si à l’étranger, il est surtout connu pour ses films de jidai-geki, Kurosawa a aussi tourné bon nombre de films contemporains, et le premier film qu’il tourne juste après la guerre, l’Ange Ivre, marque le début de sa célébrité. Coïncidence intéressante, le film raconte l’histoire d’un médecin alcoolique tentant de sauver un yakuza de la tuberculose. Ce film est le premier film de Kurosawa avec celui qui allait devenir son acteur fétiche, Mifune Toshiro. Dans l’Ange Ivre, sa présence dans le rôle du yakuza est telle qu’il domine le film, éclipsant le docteur alcoolique donnant son titre au film.

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C’est la même année que débute le tournage du Duel silencieux, sorti en 1949, aussi une histoire de médecin, où Mifune incarne cette fois le rôle principal.

Malgré son succès au Japon, le film a peu d’échos, et est à date très largement ignoré par la critique, à tort, comme on va le voir.

En 1965, presque vingt ans plus tard, sort Barberousse, le dernier film de Kurosawa avec Mifune, et l’un des plus connus et des plus appréciés au Japon. Barberousse dépeint le face à face de deux médecins, un jeune docteur vaniteux et matérialiste, contraint de devenir interne dans la clinique pour pauvres du docteur surnommé Akahige, Barberousse, interprété par Mifune. Barberousse marque la fin d’un cycle, pour Kurosawa et Mifune, une ère qui aura commencé et fini par la lutte contre la souffrance, la maladie et la mort.

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Car dans Le duel silencieux, c’est bien de cela dont il s’agit. La lutte silencieuse, solitaire, d’un homme contre la maladie qui le ronge, et contre lui-même. Kyoji le chirurgien combat la syphilis avec les armes d’un médecin, mais par son refus d’en parler, il se sacrifie, il sacrifie son amour et son désir pour la femme qu’il aime, pour ne pas risquer de la contaminer, ne pas lui voler sa jeunesse, parce qu’il sait que s’il lui avoue son mal, elle attendra dix ans s’il le faut qu’il soit guéri. « Pur mais souillé », il endure le mépris des uns et des autres, sans mot dire, préférant se taire plutôt que de divulguer son secret. Ses principes lui imposent des choix difficiles, il les assume jusqu’au bout. Il va jusqu’à aider celui qui l’a contaminé et qui contrairement à lui, a été assez cynique et inconscient pour se marier et mettre sa femme enceinte.

Mifune est magnifique dans ce portrait d’homme tourmenté, que ce soit dans sa retenue, dans son silence face à celle qu’il aime et qu’il n’ose toucher, ou dans la scène du film où sa colère et son désespoir s’expriment enfin. Il s’agit de noblesse, de devoir, de courage, de code moral. Un code moral qui le crucifie en tant qu’homme. Son devoir et son désir s’opposent et le déchirent, mais il reste fidèle à ce qu’il est, à ce en quoi il croit, malgré la torture qu’il s’inflige, malgré tout. En un mot : Bushido.

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L’intrigue du film est simple, presque linéaire. Ce pourrait être un drame de Shakespeare. Mais dans la pénombre qui baigne la plupart des scènes, le personnage central acquiert une dimension hors normes, héroïque, presque christique. Et, comme tous les héros, il nous tire vers le haut. L’homme silencieux qui s’injecte ses piqûres en intraveineuse, chaque jour, patiemment, sachant qu’il lui faudra plusieurs années pour se soigner, est un héros. Sa victoire, quand elle viendra, sera sans gloire, juste le droit de mener une vie normale, de vivre et d’aimer comme tout un chacun, d’être peut-être heureux. Mais par sa ténacité, son refus de renoncer, son refus de porter préjudice à ceux qui l’entourent, sa compassion, son humilité, il nous donne une formidable leçon de courage.

Aiko

Verdict : Tout le talent du maître dans une histoire dramatique dont la morale est toujours d’actualité. À voir ne serait-ce que pour Mifune Toshiro, magnifique.

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Le duel silencieux d’Akira Kurosawa disponible en dvd chez Films sans Frontières depuis le 7/12/2012

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