Alors que l’animation japonaise s’est définitivement imposée, notamment en France, comme un incontournable de la scène cinématographique internationale et que le marché du manga ne s’est jamais aussi bien porté, il existe encore un public très peu au fait de ce qu’a à offrir ce genre de productions. Aussi, afin d’initier ces cinéphiles curieux, Nathalie Bittinger propose une plongée dans l’animation japonaise, sur petit et grand écran, dans un livre dense, exhaustif mais non dénué de menus défauts, édité chez Hoëbeke.
Prendre l’initiative, en 2023, de faire découvrir en profondeur et de manière originale l’animation japonaise, c’est un défi assez complexe à relever. En effet, plusieurs ouvrages se sont déjà penchés sur le sujet (citons au hasard 100 films d’animation chez AnimeLand), mais surtout le matériau à défricher est absolument gigantesque et sa richesse thématique est telle qu’il est vain et stérile de vouloir simplement en dresser une liste à la Prévert. Il serait trop facile de prétendre parler de l’animation en se basant uniquement sur les têtes de gondoles du rayon comme One Piece ou en allant enfoncer des portes ouvertes en citant les classiques comme Akira ou les films de Shinkai Makoto.
Aussi, dans le livre qui nous intéresse aujourd’hui, l’auteure compose son voyage dans l’animation en trois parties : Apocalypse Now, De l’autre côté du miroir et La vie, maintenant. Chaque segment est lui-même scindé en petits paragraphes dans lesquels est abordé un sujet et les films qui en parlent.
D’entrée de jeu, il faut reconnaître que l’auteure a fait un excellent travail de recherche et même le cinéphile amoureux du cinéma d’animation le plus incollable arrivera à découvrir de nouveaux films à regarder. Presque tout le cinéma d’animation est ainsi abordé, de l’incontournable Miyazaki Hayao qui se taille la part du lion dans le livre (et c’est un point quelque peu négatif de la chose), en passant par les métrages de Shinkai Makoto (Your Name), sans oublier Kon Satoshi ou des productions moins connues comme Okko et les fantômes de Kosaka Kitaro.
Dans ses textes, Nathalie Bittinger revient sur le fait que le cinéma d’animation japonais n’a eu de cesse depuis ses début d’être à la fois un formidable moyen pour le public de s’évader, en lui offrant une porte sur des mondes merveilleux où se croisent démons, yokai, dragons et autres sorcières, mais aussi, de manière plus cathartique, une façon de traverser les épreuves que le Japon a subi. Si l’on peut s’émerveiller sur les mignonneries d’un Ponyo sur la falaise, ou rêver d’un monde fantasmagorique au détour d’une rue à Shibuya comme le propose Le Garçon et la Bête, on ne peut pas oublier que certains films ont pour toile de fond les horreurs de la guerre. Le Japon rend hommage aux victimes de la guerre, notamment dans des films durs et aux limites du supportable comme Le Tombeau des lucioles ou Gen d’Hiroshima, mais il traite aussi de la grande Histoire en incluant des faits historiques dans des films grand public, à l’instar de Miyazaki dans Porco Rosso, formidable charge contre le fascisme. Plus que jamais résilient, le Japon, dans ses productions cinématographiques, n’a de cesse de revenir sur les épreuves qu’il a traversé (des évènements naturels, comme le séisme du Kanto l’ont aussi marqué, Le Vent se lève l’inclut d’ailleurs dans son récit) et met un point d’honneur à avertir son public des horreurs de la guerre et des conflits.
L’aspect pédagogique du médium et aussi abordé, car en toile de fond des productions comme Akira ou Hokuto No Ken (Ken le survivant en VF), ce qui a causé la perte de l’humanité, c’est le nucléaire et la folie des hommes. Si l’humain ne fait pas attention, il court à sa perte à trop vouloir trop vite et sans réfléchir. Même chose pour la nature que l’homme détruit. La portée écologique de certains films est parfois plus ou moins évidente (Princesse Mononoké se pose là), mais elle a le mérite d’exister, au-delà du simple film d’animation.
On remarquera au passage le choix étonnant, mais pour le coup original, de commencer l’exploration de l’animation japonaise par le segment Apocalypse Now, contenant des segments tels que Pluie Noire, Arme de destruction massive ou Théorie du complot. Pas forcément la manière la plus festive et communicative de se lancer dans le sujet, mais au moins la partie plus adulte et réflexive du sujet, dirons-nous, est abordée.
Après avoir traité les thèmes sombres de la guerre, l’apocalypse, et exploré les mondes fantastiques peuplés de Kappas, chats magiques et autres Totoro, le voyage s’achève sur ce qui pourra sans doute s’avérer être la partie la plus passionnante pour qui souhaiterait découvrir l’animation japonaise, mais qui n’aurait aucune affinité avec la noirceur d’un futur incertain ou les pérégrinations de jeunes héros perdus dans des mondes imaginaires.
Dans la partie La Vie, maintenant, l’auteure aborde le côté plus social de l’animation. Un ensemble de thèmes qui parleront certainement à un plus grand nombre, tant par leur légèreté ou leur universalité. Y sont abordés la famille, les amours, les peines, la nostalgie, entre autres. On y retrouve bien évidemment les films de Shinkai Makoto et leurs visions des villes d’une beauté aux limites du photoréalisme, le bouleversant A Silent Voice avec son thème du harcèlement scolaire, ou le plus méconnu Nos Mots comme des bulles de Soda, petit bijou de tendresse caché au fond du catalogue Netflix. Lorsque la communication dans le monde réel est rompue, l’animation sert d’exutoire, de terrain de dialogue et d’échange sur les maux de la société. Et petit détail, pour en revenir au livre en lui-même, c’est dans ce segment que l’on parlera le moins de Miyazaki.
Il faut reconnaître que si l’auteure aborde une quantité non négligeable de films et séries (même si pour ces dernières, on reste sur One Piece et Naruto), elle a tendance à un peu trop mettre en avant Miyazaki Hayao et Ghibli. Il est clair que le réalisateur et son studio sont des incontournables du cinéma d’animation japonaise. Leur richesse thématique et artistique n’est plus à démontrer, c’est un fait. Mais après avoir parcouru le livre, on constatera que chaque thème abordé sur les deux pages qui lui sont consacrées (une illustrative et une avec du texte), contient systématiquement soit un film de Miyazaki, soit un de Ghibli. Encore une fois, loin de nous l’idée de minimiser la diversité et le contenu de ces œuvres, mais l’objectif du livre est aussi de mettre en lumière des productions moins connues, ou moins exposées au grand public que Princesse Mononoké ou Arrietty, le petit monde des chapardeurs. Ces films sont abordés dans les textes, et un aperçu visuelaurait sans doute été un petit plus. Un film comme Un Eté avec Koo est tout aussi essentiel dans son propos qu’un Pompoko. Ce n’est cependant qu’un menu bémol, rien que la volonté de parler de tous ces films d’animation est à saluer.
On terminera sur l’incontournable influence que le cinéma d’animation a pu avoir sur l’industrie hollywoodienne, avec des réalisateurs qui s’en inspirent (Matrix et son générique à la Mamoru Oshii), d’autres qui la pillent sans honte (pas d’Inception sans Paprika) et d’autres qui tentent honteusement de la remodeler à l’occidentale, et là on pensera à l’inutile Ghost in the Shell avec Scarlett Johansson. Et l’auteure n’oublie également pas de parler des studios d’animation, devenus aussi légendaires que les films qui y sont produits, notamment MadHouse et Studio 4c.
En conclusion, Au Pays des merveilles de Nathalie Bittinger est un livre d’une richesse folle pour qui souhaiterait découvrir de manière exhaustive le cinéma d’animation japonais. Un livre clair, rempli d’exemples et de références à chaque sujet abordé, qui sait trouver le bon équilibre dans ses textes entre présentation simple d’un genre et une analyse plus poussée de son fond et de ses thématiques. Un livre à conseiller aux nouveau venus comme aux cinéphiles à qui il manquerait encore quelques films à découvrir.
Romain Leclercq.
Au Pays des merveilles : trésors de l’animation japonaise de Nathalie Bittinger. Paru aux éditions Hoëbeke le 13/10/2022