Il y a une dizaine d’années, la réalisatrice Jung Won-hee faisait partie de l’équipe de programmation du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Cet entretien était donc une occasion particulière pour elle et pour nous, habitués du festival, de parler de son premier long-métrage, Doom Doom.
Bonjour Won-hee, peux-tu te présenter et nous dire comment as-tu découvert le cinéma et comment en es-tu venue à réaliser des films ?
C’est une longue histoire. J’ai commencé par travailler comme assistante réalisatrice en Corée pendant 5-6 ans avant de venir en France pour poursuivre mes études à Paris? Je suis entrée à l’université, j’ai fini ma licence et mon master à Paris 3 et j’ai réalisé des courts métrages en même temps. J’ai appris pas mal de choses durant mes études de cinéma, je suis beaucoup allée au cinéma avec mes amis français. A la fin de mes études, j’ai commencé à écrire des scénarios de longs métrages, mais il s’agissait d’histoires qui se passaient en Corée avec des personnages coréens donc j’ai dû rentrer dans mon pays pour réaliser les films. Cela m’a pris 5-6 ans pour réaliser ce film.
Peux-tu nous dire comment s’est déroulé le développement de ce projet, de l’écriture à la préproduction ?
En Corée, ce n’est pas facile de faire du cinéma indépendant. Il faut trouver des investissements et cela m’a pris du temps pour obtenir les subventions de la KOFIC (ndlr : le CNC coréen). Grâce à cela, nous avons pu réaliser le film. Concernant l’écriture, cela m’a pris 2 ans, et j’ai continué à modifier le script durant la préparation du film. Je ne suis pas issue du milieu musical et pour le film, j’ai rencontré beaucoup de musiciens, de producteurs et de DJ.
Et le projet a-t-il beaucoup évolué depuis le scénario initial ?
Oui, j’ai procédé à pas mal de changements, rien ne concernant le personnage principal mais plutôt sur les personnages secondaires, les musiciens. Et durant la préparation, en discutant avec les acteurs et les actrices, j’ai changé pas mal de dialogues. Je ne suis pas la seule à travailler sur le film, c’est un travail collectif, je respecte beaucoup mes acteurs et mon équipe. Nous avons tous beaucoup discuté pour trouver une vision commune.
Quel était le point de départ de ton histoire ?
La musique ! C’est elle qui a provoqué quelque chose dans mon cœur. La musique techno. J’ai tout de suite pensé à un film indépendant, je suis une jeune réalisatrice et c’est mon premier long, je ne pouvais pas envisager de gros budget. Du coup, j’ai concentré mon histoire sur un conflit familial entre une mère et sa fille. Ce qui m’importe, c’est l’inquiétude du personnage sur le monde qui l’entoure, la musique techno et cette difficulté à naviguer entre diverses eaux. Le personnage principal doit faire face à des tas de problèmes qui la submerge, c’est comme la réalité. Je me suis concentrée sur les sentiments du personnage avant tout.
Y a-t-il une part de toi dans ces personnages ou peut-être dans le personnage principal ?
Peut-être ? J’ai surtout observé mon entourage.
Comment as-tu construit cette relation entre la mère et sa fille ?
Cela m’est venu très naturellement. En Corée, il y a des chrétiens très pratiquant. Ils ne voient guère autre chose que leurs croyances. J’ai été étonnée de la réaction du public français dans une scène se déroulant à l’église au cours de laquelle la mère s’écrie qu’il faut sauver sa fille tandis que celle-ci houspille, préférant régler ses problèmes par elle-même. Ce comportement bigot un peu extrême de la mère a fait rire les Français. Cet excès dans la croyance est, je pense, symptomatique de l’inquiétudes des gens dans la société, la peur du futur, le manque d’argent, les guerres partout. On a besoin de se réfugier dans la religion, on a besoin de croire en un dieu. On cherche à sauver sa vie. C’est un phénomène social très fort, et très répandu. J’ai regardé beaucoup de documentaires sur la religion. Il y a des gens de bonne foi qui croient sincèrement et d’autres qui le sont moins et il y a aussi une certaine collusion entre la religion et la politique. Mon but n’était pas de critiquer la religion, mais plutôt de décrire le comportement inhabituel du personnage de la mère.
Tu mets en avant des personnes peu représentées dans le cinéma coréen, à savoir les travailleurs immigrés.
On m’a fait la remarque en effet, concernant le personnage de la travailleuse thaïlandaise, que mon point de vue différait de ce que l’on avait l’habitude de voir dans le cinéma coréen. Je voulais surtout écrire et montrer un personnage très fort qui a envie de quelque chose, qui a un but dans sa vie, pas forcément quelqu’un poussé par d’autres personnes ou la société. Quand j’habitais à Paris, j’ai pu rencontrer des immigrants, et j’ai réalisé que chacun avait son propre but. Or, dans les dramas ou dans le cinéma coréen, on a tendance à les représenter comme des victimes, des pauvres soumis aux autres. Je ne voulais pas faire ça. Elle comprend toute la situation, la mère du personnage principal qui profite d’elle, mais elle y trouve son compte.
Comment s’est déroulé le choix des actrices, et comment les as-tu dirigées par la suite ?
Ce n’était pas facile, je cherchais une jeune actrice qui joue bien, et qui n’est pas connue. Les actrices connues ne jouent pas dans les films indépendants. Noua avons fait des auditions par l’intermédiaire d’une agence de casting. C’est ainsi que j’ai découvert mon actrice Kim Yong-ji,. Elle est charmante et a un jeu très intériorisé. Contrairement à son personnage, c’est une jeune femme très joyeuse et très drôle, un caractère que j’ai dû canalisé sur le plateau. Elle avait pour ambition de commencer dans le cinéma, elle avait déjà eu des petits rôles dans les dramas. Quant à l’actrice qui joue la mère, Yun Yoo-sun, elle est très connue, elle a joué dans beaucoup de dramas et même des films de cinéma. Je ne suis pas passée par l’agence de casting, je lui ai envoyé directement mon scénario, elle l’a trouvé très intéressant. Et malgré son statut de star, elle est passionnée et elle veut tester de nouvelles choses. Elle n’est pas motivée par l’argent, elle recherche avant tout des rôles intéressants. Dans le dramas, elle est cantonné à ceux de la gentille maman. C’est une femme très gentille, mais j’ai trouvé en elle un truc inhabituel. Nous avons beaucoup discuté. Malgré ses 40 ans de carrière, nous avons beaucoup répété ensemble, ce n’était pas juste automatique. En revanche, avec la jeune actrice qui joue In-a, on a moins répété, cela a pris plus de temps. Elle s’est aussi entraînée à la pratique du DJing.
Comment a été perçu ton film quand il est sorti en Corée ?
Tout s’est fait rapidement. On venait à peine de terminer le montage, je n’avais suffisamment de recul par rapport à mon film qui était projeté pour sa première au Festival de Busan l’année dernière. J’ai eu de bons retours, les spectateurs étaient curieux de la musique techno qu’ils ne connaissaient pas, le style différait du cinéma indépendant coréen. Il y a quelques mauvaises critiques qui trouvaient le film un peu dur en raison des thèmes adoptés et des sentiments conflictuels. Les gens veulent plus de films joyeux et positifs. Il y a eu beaucoup d’opinions différentes. J’ai mieux compris comment pensaient les spectateurs. Le film est sorti en salles en septembre et les retours étaient très intéressants. Les spectateurs ont trouvé le film très novateur dans son style pour un film indé coréen ; de bons articles ont été publiés.
Après cette première expérience, as-tu déjà des projets en tête ?
Comme je te l’ai dit, le projet à pris du temps à se développer et entre temps j’ai commencé à en écrire un autre. Et après Doom Doom, j’ai modifié le script et je l’ai présent à l’APM (Asian Project Market) au festival de Busan qui a eu lieu cette année. Nous avons pu rencontrer les producteurs et des investisseurs. Le sujet et le concept sont là, mais le film peut bien évoluer.
[Marion Delmas, l’attachée de presse du festival demande demande à Won-hee] Quand ton film est sorti en septembre, comment t’a semblé la fréquentation des salles de cinéma en Corée après le Covid ? A-t-elle repris ?
Non, le secteur du cinéma est presque mort, à part certains films très connus comme The Roundup avec Ma Dong-seok qui a très bien marché au box-office. Le cinéma indépendant souffre de cette crise. Mon film n’a fait que 8000 entrées ce qui, aujourd’hui, est considéré comme un succès pour un petit film indé. Autrefois, c’était plutôt entre 10 et 20 000 entrées. Les spectateurs ne se déplacent plus au cinéma. Et cette année à Busan, je me suis rendue compte que le monde du cinéma a changé. Il y avait autrefois les grandes soirées organisées par les studios CJ Entertainment, Showbox, etc. Cette année, les acteurs et les réalisateurs se retrouvaient dans les soirées organisées par les plateformes de streaming. Aujourd’hu,i les salles de cinéma ne font pas autant d’argent, seuls un petit groupe de spectateurs qui aiment le cinéma continuera de se déplacer en salles. Mais les gens consomment devant leurs télévision. La qualité des dramas et généralement médiocre, mais les réalisateurs s’y réfugient parce que c’est là que se trouve l’argent. Ils n’ont pas le choix.
Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 31/10/2022 à Paris.
Remerciements à Marion Delmas et à toute l’équipe du FFCP.