FFCP 2022 – Doom Doom de Jung Won-hee

Posté le 9 novembre 2022 par

La 17ème édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) proposait, cette année, une section Paysage faite de parcours féminins (de tous âges), de liens parentaux, de fières marginalités et de ripostes au système établi. Le Doom Doom de Jung Won-hee y avait alors toute sa place avec ce subtil portrait de femme en quête de la sienne.

In-a, jeune femme célibataire vivant avec sa mère, a dû confier son bébé à un couple de parents de substitution. DJ de grand talent mais pétrie de culpabilité, elle a délaissé les platines pour vivre une vie rangée. À l’approche d’un concours offrant une opportunité unique au DJ gagnant, elle renoue avec d’anciennes connaissances, la musique, et la certitude qu’elle peut être une bonne mère pour sa fille.

 

Pour son premier long-métrage, Jung Won-hee choisit de mêler le réalisme social relativement classique à l’expérience sensorielle vibrante. D’emblée, Doom Doom présentait une aura de curiosité plutôt attirante que le résultat ne dément pas. Sur le papier pourtant, le film rassemblait tous les sujets à fort potentiel tires-larmes du drame indé (l’abandon de l’enfant, la maladie psychiatrique, la précarité, la clandestinité, etc.). Doom Doom évite tous les pièges, grâce à l’exigence farouche de son auteur à ne pas quitter des yeux son héroïne, dans ses meilleurs comme dans ses pires moments, à capter le moindre de ses doutes et aspirations, et à l’accompagner dans une douloureuse mais nécessaire émancipation dont Jung Won-hee ne cherche à gommer aucunes des complexités.

Le milieu de la scène électro, ou même de la vie nocturne de la jeunesse coréenne, est rarement montré à l’écran, du moins incarné comme la cinéaste le fait dans le film. Dans ces scènes underground, avec des moyens pourtant limités, la réalisatrice parvient à retranscrire une ambiance avec l’aide d’un travail du son particulièrement soigné et d’une excellente bande-son de Haihm et Zeze. Si le propos social porté par le film est souvent bien sombre, la cinéaste construit ces séquences, comme des moments d’apaisement, des instants de grâce malgré les enjeux, portant les espoirs d’un personnage déterminé à avancer. Privilégiant la sobriété dans son approche, Jung Won-hee reste au plus proche de la musique, dans l’aspect quasi-artisanal de sa composition et de ses évolutions, entre les souvenirs de mix et les confrontations idéologiques sur son avenir (par le biais des DJ gravitant autour d’In-a).

Le film, et c’est souvent le défaut des premiers, brasse plus d’intrigues qu’il ne peut en soutenir. Malgré un découpage exigeant et un développement plutôt bien tenu dans son ensemble, plusieurs choses amorcées sont invariablement laissées en bord de route (l’influence religieuse ambiguë dans la vie d’In-a et sa mère), redondante (l’introduction du personnage de l’immigrée philippine en miroir de l’héroïne était une bonne idée de départ mais est finalement réduite au rang de ressort scénaristique un peu attendu) ou tout bonnement frustrante (le violent ressentiment d’In-a envers sa mère au moment de sa grossesse est effleuré mais jamais exploré de manière satisfaisante). Néanmoins, et peut-être par sa volonté assumée de ne s’intéresser qu’au temps présent, Doom Doom ne verse pas dans une sensiblerie malvenue et ne cède (presque) pas à des rebondissements calculés. Même dans ses moments les plus spectaculaires, une dispute dans un sous-sol ou une envoûtante scène de concours, Jung Woon-hee recentre vers l’intime. Claire et précise, la mise en scène accompagne intelligemment le récit, se faisant anxiogène ou lumineuse selon ce que la situation, et surtout les émotions de son personnage, requiert. Aussi dynamique que son héroïne en fuite perpétuelle, Jung Won-hee sait aussi reconnaître les moments de calme et les faire durer un temps, comme dans les très belles scènes de création musicale ou encore les rares instants de complicité entre In-a et sa fille.

Comme de nombreux premiers films de la sélection de cette édition, le récit d’émancipation de Doom Doom passe par une difficile exploration de la maternité. Celle entravée d’In-a bien sûr, mais également, et le film en fait sa relation centrale, celle d’In-a et de sa mère instable. Jouant sur un rapport de contrôle et de non-dits souvent terrifiant, le conflit entre les deux femmes initie une réflexion passionnante sur les limites du lien mère/fille, et souligne une lutte des générations, entre une jeunesse qui s’ouvre et une génération plus ancienne, campée sur des valeurs et une nostalgie du passé qui maintient un statu quo intenable pour tout le monde. Le dispositif est prometteur et la montée en tension est efficacement menée. Hélas, la résolution est d’autant plus décevante qu’elle expédie ses points les plus intéressants dans une réconciliation maladroite, comme si le film courrait après le temps et devait se dépêcher de conclure.

Ce dernier acte expéditif atteint quelque peu la portée émotionnelle du film, aggravé par le fait qu’il arrive juste après la meilleure scène. Heureusement, il ne gâche tout de même pas les meilleures qualités du film, la première d’entre elle étant l’interprétation de ses deux comédiennes principales. Visage connu du cinéma et de la télévision coréenne, Yun Yoo-sun donne une intensité toute en tension à cette mère paranoïaque sans jamais lui enlever son humanité. C’est néanmoins Kim Yong-ji qui remporte le morceau, en captivant par sa présence magnétique et sa force discrète. Pour son premier premier rôle dans un long-métrage (bien qu’elle ait auparavant fait forte impression dans le drama Mr. Sunshine dans un rôle complètement muet), elle touche juste dans toutes les nuances de son personnage avec une authenticité et un tempérament qui annonce de belles choses. Physiquement, on la voit changer, revenir à la vie et, à aucun moment, ne doute-t-on de sa détermination à reprendre sa vie en main. Une belle révélation, tout comme ce Doom Doom et sa réalisatrice dont on n’a sans doute pas fini d’entendre parler.

Claire Lalaut

Doom Doom de Jung Won-hee. Corée du Sud. 2021. Projeté au FFCP 2022

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