FFCP 2022 – About Kim Sohee de Jung July

Posté le 19 novembre 2022 par

Présenté lors de la Semaine de la critique à Cannes 2022, le nouvel électrochoc de Jung July s’invite au 17ème Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Au programme : un drame intime dans la torpeur d’une société coréenne du travail ultra-capitaliste et libertarienne. Sortie nationale prévue le 5 avril 2023 par Arizona Distribution.

Sohee, étudiante dans un lycée agricole, est heureuse d’avoir trouvé un stage en entreprise. Elle déchante lorsqu’elle se rend compte qu’il s’agit d’un call-center, où elle va vite faire face à une pression intense. Lorsqu’un drame se produit, une inspectrice vient mener l’enquête.

Si le cinéma coréen a tendance, non pas à glorifier mais à entretenir l’imaginaire d’un monde de l’entreprise régi par la réussite matérielle, au travers de personnages en col blanc charismatiques lancés à pleine vitesse dans une course au pouvoir, le discours de Jung July est tout autre. La réalisatrice s’éloigne des hautes sphères régulièrement représentées dans le genre et resserre l’étau sur les classes populaires broyées par les rouages du système.

About Kim Sohee prend place, lors de son premier segment, dans un call-center où la jeune Sohee d’un lycée agricole est dépêchée pour son stage. Sans surprise, elle y découvre des stagiaires qui, comme elle, sont exploités au nom de la sacro-sainte productivité. Quel que soit son positionnement hiérarchique, et bien que l’entreprise en question ne soit qu’un sous-traitant, l’individu est humilié et mis en compétition avec son prochain pour que perdure le culte de la performance typique des sociétés du travail contemporaines et plus précisément des chaebol. C’est une lente et silencieuse descente aux enfers que Jung July met en scène avec toute la froideur clinique qui revient à un tel sujet. La culpabilisation de Sohee est au centre du récit : celle de son entreprise, celle de ses parents modestes, celle de son professeur lui ayant décroché le stage. Sobrement composés et austèrement photographiés, les cadres épousent la symétrie de ces bureaux désincarnés où aucune ligne de fuite ne semble, de ce fait, avoir sa place. Kim Si-eun, bien qu’en début de carrière, campe magistralement le personnage de Sohee, dont les émotions pétrifiées, les sursauts de colère, le regard vide et les blessures intérieures encouragent tout autant le propos que ses pièces les plus frappantes. La force première de About Kim Sohee est donc tout à la fois de pénétrer l’esprit mortifère d’une stagiaire abusée, et plus largement de jeter un regard accusateur et implacable sur la déshumanisation que connaît le monde du travail coréen, face à ses propres contradictions et à sa politique du silence malsaine.

Suite à plusieurs évènements tragiques, le film bascule vers un autre point de vue. Celui d’une policière interprétée par Bae Doo-na que l’on ne présente plus. Jung July s’intéresse au manquement de la justice dans les affaires d’abus de pouvoir, à cette justice corrompue qui n’a que peu de poids face à l’écrasante influence des sociétés les plus riches du pays. L’intérêt que porte le personnage de Bae Doo-na sur cette affaire n’est pas le fruit du hasard : tout en taisant le pourquoi du comment, le film laisse deviner qu’elle se remet d’un traumatisme et que sa compassion envers Sohee dépasse le cadre de ses fonctions. En phase avec le spectateur, alors en situation de révolte, son personnage résolu et tempéré galvanise un sentiment d’impuissance peu à peu dissipé par la finalité des enjeux dramatiques, laissant au métrage le temps de dévoiler toute sa force émotionnelle. En cela, de par son abnégation, elle devient la catharsis nécessaire à l’effondrement du système autant qu’à sa reconstruction. À la manière de After My Death (2017) de Kim Ui-seok, Jung July parvient ainsi finalement à tranquilliser ses images dans un film qui augure tout si ce n’est la paix, le repos et le pardon.

Richard Guerry.

About Kim Sohee de Jung July. Corée du Sud. 2022. Projeté au FFCP 2022.