Quand deux réalisateurs passent 10 ans à écrire, tourner et monter un film dans un village montagneux de la région de Kyoto, cela donne Les Travaux et les Jours, un opus de 8 heures sur le quotidien de villageois, largement inspiré de faits réels, entre travail agricole, tâches ménagères, plaisirs simples et deuils. Une réflexion sur le temps et la mémoire.
Les Travaux et les Jours est une chronique qui raconte, au fil des saisons, le quotidien d’une agricultrice, Shiojiri Tayoko, dans un village des montagnes de la région de Kyoto. Entre les travaux à l’extérieur et son activité ménagère d’intérieur, Tayako évolue auprès de sa famille et des autres (rares) villageois. Ils se racontent des tranches de vie personnelle ou se remémorent l’histoire du village autour d’une bonne table, regardent la télévision et visitent des tombes. Au sein de ce quotidien : la lutte de Junji, le mari de Tayako, contre la maladie.
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Observation
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C’est peu dire que Les Travaux et les Jours est une œuvre qui prend – qui a pris – son temps. C.W. Winter et Anders Edström partagent une longue histoire avec ce village montagneux de la région de Kyoto. C.W. Winter explique : « C’est une famille et un bassin qu’Anders a commencé à photographier régulièrement à partir de 1993. Un lieu que nous avons visité pour la première fois ensemble en 2003. Mais nous n’avons commencé à filmer qu’en 2014, après avoir accumulé ce que nous estimions être une quantité suffisante de souvenirs personnels, après nous être familiarisés avec les traditions locales, après avoir développé de solides relations […] Au moment où nous avons commencé à tourner, cet endroit faisait partie de notre vie. C’était comme chez nous. Lorsque nous filmions, nous filmions à partir d’un sens du quotidien. L’ampleur et la durée du film ont naturellement résulté de cet investissement sur le long terme. » Le projet en tant que tel s’étale sur une période 10 ans : l’écriture de 2010-2016, la production de 2014 à 2016 et la post-production de 2016 à 2020.
Winter et Edström se sont vraiment investis dans ce film. D’autant que Tayako n’est autre que la belle-mère d’Anders Edström. En cela, Les Travaux et les Jours peut être considéré comme un home movie scénarisé. Des extraits du journal intime de Tayako rythment d’ailleurs le film. Et son histoire est bien réelle : son mari Junji a bien été malade et est décédé quelques mois auparavant. C’est un acteur qui joue ici son rôle. Car en plus des villageois, plusieurs acteurs professionnels participent au film, le plus connu étant Kase Ryo (vu notamment dans Like Someone in Love d’Abbas Kiarostami, Hill of Freedom de Hong Sang-soo ou Notre petite sœur de Kore-eda Hirokazu). Tout fictionnel qu’il soit, le film lorgne vers le documentaire ou plutôt l’observation. Observation des villageois d’abord : l’histoire personnelle de Tayako et la mort de son mari, les souvenirs et anecdotes des anciens, les réunions municipales, les célébrations et le travail quotidien. Observation du paysage ensuite, d’où ces nombreux plans fixes sur la forêt, les cours d’eau, les fleurs, les roches ou les champs. Un soin particulier est d’ailleurs accordé à l’ambiance sonore : souffle du vent, bruissement des feuilles, chant des cigales, cours d’eau.
L’investissement des réalisateurs est tel que Les Travaux et les Jours est une œuvre multimédia qui comprend aussi une monographie photographique d’Anders Edström intitulée Shiotani et The Works and Days: The Black Sections, un album musical de C.W. Winter.
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En position assise
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À quoi assiste-t-on pendant 8 heures ? Comme le nom du film l’indique : la vie quotidienne des villageois de Shiotani, pendant un peu plus d’un an (4 saisons), avec un focus sur Tayako et son mari malade. Le rythme du film est très lent, avec peu de dialogues et de nombreuses séquences méditatives sur le paysage (et des successions de plans fixes sur la nature). Il y a peu de « rebondissements » et la part belle est faite aux répétitions quotidiennes : le travail de la terre et les tâches ménagères. Parfois un membre de la famille ou un voisin rend visite à Tayako. S’ensuivent quelques menus propos sur des petits riens ou des repas arrosés qui laissent les plus anciens raconter de vieilles histoires sur des temps révolus, comme celle de ce soldat de guerre qui, après 1945, revint à Shiotani et exigea de faire déterrer son père, mort deux ans auparavant, pour le voir et le ré-enterrer « en position assise »…
On parle aussi de pêche dans des cours d’eau aujourd’hui peu abondants en poissons. Une façon de convoquer « l’esprit de la région », comme Richard Brautigan cherchait l’esprit étasunien (ou celui de Thoreau ?) dans son livre La Pêche à la truite en Amérique ? Une autre anecdote nous renvoie dans les années 1970, époque à laquelle Okabayashi Nobuyasu, chanteur folk contestataire à la Bob Dylan, quitta momentanément la scène musicale pour vivre dans une communauté agricole des montagnes de Kyoto.
Malheureusement, les dialogues et anecdotes du film sont rarement stimulants. Or les discussions du quotidien ne sont pas condamnées à être ennuyeuses. Cela entraînera donc deux réactions de la part du spectateur : soit adhérer à ce rythme lent, à ces répétitions et ces dialogues tièdes ; soit décrocher par désintérêt après les deux premiers chapitres.
Note : pour sa sortie dans les salles françaises, le film, d’une durée totale de 8h11, a été divisé en trois grandes parties :
1/ Chapitres 1 & 2 – durée : 3h33
2/ Chapitre 3 – durée : 2h10
3/ Chapitres 4 & 5 – durée : 2h28
Marc L’Helgoualc’h
Les Travaux et les Jours de C.W. Winter et Anders Edström. États-Unis, Suède, Japon, Royaume-Uni. 2020. En salles le 22/06/2022.