CINEMA DU REEL 2022 – Children of the Mist de Ha Le Diem

Posté le 12 mars 2022 par

L’édition 2022 de Cinéma du réel a débuté le 11 mars, jusqu’au 20 mars, et propose de découvrir le documentaire vietnamien, Children of the Mist en avant-première. Le film nous emmène dans les hauteurs du Nord Vietnam, au sein de la communauté Hmong pour une exploration de l’émancipation face aux traditions.

Di est une fille de douze ans originaire des montagnes embrumées du nord du Vietnam. Elle appartient à la minorité ethnique des Hmong dans laquelle les filles se marient à un très jeune âge, évènement souvent précédé par le controversé « kidnapping de la mariée » qui se voit enlevée par son futur époux à l’occasion des festivités du Nouvel An lunaire.

On ne mesure pas d’emblée la maîtrise que possède Ha Le Diem sur le cadre et le sujet de ce premier long-métrage qui lui a valu le prix de la mise en scène à l’édition 2021 de l’IDFA. Les premières minutes laissent d’ailleurs présager une plongée en immersion fortement sous influence (notamment de Wang Bing), à peine perturbée par un prologue crépusculaire et quelques allusions détachées à l’alcoolisme des hommes et la surcharge de travail des femmes. Pourtant, alors qu’on rentre plus profondément, et intimement, dans cette communauté en quasi vase clos, le film se fait plus revêche et révèle ses aspérités. Avec, en son centre, l’héroïne coincée (dans tous les sens du terme) entre cet environnement restreint et ses envies d’émancipation nourries par les études et l’écran de son téléphone. Avec un œil aussi affuté que concerné, Ha Le Diem prend le temps d’installer les éléments de ce qui n’est qu’un prélude à la mue dramatique qui s’opère inévitablement. La montée de tension en crescendo maintient le spectateur en haleine et en arrêt devant cet engrenage filmé à hauteur d’observatrice, aussi bien que de partie (la cinéaste est une amie de Di).

Dans un étonnant récit d’émancipation, Children of the Mist adopte une approche très personnelle tout en interrogeant le rôle du documentariste et le niveau d’implication à adopter face à son sujet et aux événements que la caméra choisit de capter ou non. Ha Le Diem ne dissimule pas son embarras intermittent, ni l’inconfort de certaines des personnes filmées (comme la famille du garçon « kidnappeur » ou le père de Di). De même, elle assume pleinement sa proximité avec la protagoniste et sa confusion face à une culture qu’elle se doit de respecter mais ne comprend pas pleinement. Ceci n’est qu’une infime facette du film, essentiellement tourné vers le destin de Di. Elle permet néanmoins de juxtaposer les deux jeunes femmes, comme une évidence, tout en proposant une réflexion supplémentaire, tout à fait passionnante, sur notre perception de la forme documentaire. En effet, l’affection qui lie la réalisatrice à son héroïne découle de chaque plan : c’est aussi avec ce regard, bienveillant et incrédule, que l’on appréhende la communauté et ses traditions qui semblent tout droit sortir de la mythologie (le kidnapping des mariées comme un écho à l’enlèvement des vierges par des dieux lubriques). Le point d’entrée se fait également, et surtout, à travers la personnalité vibrante de Di, ses amies, ses espoirs et surtout ses problèmes d’adolescentes, somme toute bien banals si les conséquences n’étaient pas autrement plus dramatiques.

Le film parvient à ménager cet équilibre précaire entre un malaise persistant (dans les blagues inquiètes de la mère de Di ou encore avec la situation de sa sœur) et une volonté de liberté bouillonnante (notamment dans les scènes de classe ou dans les confidences entre adolescentes). Rétrospectivement, la première moitié de Children of the Mist donne l’impression d’assister à un accident de voiture au ralenti dont l’impact est annoncé lors de cette scène où la caméra regarde Di s’éloigner en compagnie du jeune homme qui la convoite. La seconde moitié du film examine les répercussions de l’affaire et nous donne ainsi à voir une sorte de pièce de théâtre du réel dans laquelle chacun, exceptée Di, jouerait sa partition dans une mécanique assez glaçante. Néanmoins, Ha Le Diem ne cède pas à un sensationnalisme malvenu, qui aurait été l’écueil sur un tel sujet, et se tient à examiner les us et les contradictions d’un système privilégiant un cycle d’abus, plutôt qu’à juger les comportements individuels, qui résultent davantage de la passivité face à une tradition millénaire (aussi révoltante soit-elle) et d’un fonctionnement normalisé à l’extrême (les rencontres des deux familles tiendraient d’ailleurs de la comédie de l’absurde si les enjeux n’étaient pas si terribles).

Lors d’une énième dispute, la mère de Di, fascinante figure d’apparence indifférente qui cache son désarroi face à la violence qui attend ses enfants sous une ironie permanente, lui lance « tu croyais que c’était un jeu et tu es tombée dans un terrible piège ». Rien ne saurait davantage résumer la perte progressive de l’insouciance que capte Ha Le Diem dans Children of the Mist, jusque dans son amer dernier plan. A ce constat, cruel par bien des aspects, la réalisatrice y oppose le pouvoir de l’éducation. En bas des montagnes, l’école tient fonction de refuge et les enseignants, de garants de l’éducation, du respect et du consentement. Di fait partie de la première génération de sa communauté à poursuivre une éducation secondaire et se voit ainsi donner les moyens, sinon de contester, du moins de questionner le fonctionnement établi. En partant d’une illustration culturelle isolée, Children of the Mist tisse un lien frappant entre le récit initiatique de son héroïne et l’expérience universelle. Malgré un investissement intime palpable, Ha Le Diem réussit alors une réflexion intelligente et mesurée sans s’adonner au misérabilisme et au discours moralisateur.

Claire Lalaut

Children of the Mist de Ha Le Diem. Vietnam. 2021. Projeté dans le cadre du festival Cinéma du Réel 2022.