Nakata Hideo: Master of (J-) Horror

Posté le 10 octobre 2010 par

En deux films majeurs, Ring et Dark Water, Nakata Hideo s’est imposé comme le maître de l’horreur japonaise. Retour sur le parcours du réalisateur de Chatroom, présenté à Cannes dans la sélection Un Certain regard et sorti sur nos écrans trop confidentiellement cet été, alors que son dernier film, The Incite Mill sort le 16 octobre au Japon.

La sortie groupée de trois films de fantômes japonais commandés par le producteur culte Ichise Takashige, a permis en 2008 de resituer précisément Nakata Hideo parmi les cinéastes de sa génération. Si Shimizu optait avec Reincarnation pour cloner ad vitam son succès The Grugde, et Kurosawa de continuer avec Retribution d’imposer son regard critique sur le Japon – qu’il arrive à magistralement déployer aussi bien dans l’horreur (Kaïro) que dans le drame intimiste (le magnifique Tokyo Sonata) -, Nakata choisissait avec Kaidan de revenir aux sources de son cinéma, en livrant un hommage sincère aux films de fantômes traditionnels, affirmant son classicisme malgré l’apparente modernité de ses films.

Le cercle vicieux

Étudiant en journalisme et cinéphile curieux (son premier travail est un documentaire sur Losey, manifestant déjà son intérêt pour le cinéma anglo-saxon et annonçant sa carrière internationale), Nakata commence à tourner des films d’horreur pour le marché de la vidéo dès le début des années 90. C’est cependant avec Ring, produit par Ichise, que sa carrière va réellement décoller. Développant un concept malin (une cassette vidéo qui a la propriété de tuer au bout d’une semaine quiconque la regarde), doublé d’une maîtrise formelle d’une sidérante efficacité, le film relance le J-Horror et crée un engouement mondial pour le film de fantôme japonais. La grande idée du métrage réside dans le fait que les peurs ancestrales (ici les fantômes) se terrent aujourd’hui au plus près de notre modernité : dans une VHS ou dans nos portables. Ce dépoussiérage des codes du genre dans un pays à la fois traditionnel et à la pointe de la modernité technologique ne manque pas de créer un effet de mode au Japon. On retrouve alors un peu partout des dizaines de films avec des fillettes aux cheveux longs et crades mimant la gestuelle saccadée de Sadako.

ring redimensionné

 

Nakata signe lui-même une bien étrange suite, presque kamikaze dans sa volonté de s’extraire des codes qu’il a lui-même créés en filmant des délires scientifico-surréalistes dans un bordel bien loin de la maîtrise qui fait l’intérêt de son cinéma. Il refuse alors de signer un bien médiocre Ring 0, mais répond quand même présent à l’appel d’Hollywood qui lui demande de réaliser une suite au remake américain de Ring avec Naomi Watts. S’il fait mieux que le fade copiste Gore Verbinsky, la formule sent déjà le réchauffé, d’autant plus que le cinéaste est déjà passé à autre chose avec Dark Water.

En eaux troubles

Dark Water
Autre jalon essentiel de sa filmographie, Dark Water finit d’imposer le style classique de Nakata et rassure sur son talent à créer durablement une impression de terreur à partir de rien ou presque.

Ici, c’est la frontière entre l’eau et l’au-delà qui disparaît, au point de traumatiser le spectateur qui se retrouve incapable de prendre un bain longtemps après la vision du film. Il est alors regrettable que Nakata gâche son talent en acceptant des commandes faciles, dans lequel son style ne peut s’exprimer (de The Ring Two au manga live L change the world, difficile en effet de distinguer la patte du maître de celle du tâcheron…), d’autant plus qu’il est loin d’être aussi prolifique qu’un Miike ou qu’un Kurosawa.

On attendait alors le changement d’environnement que semblait proposer Chatroom avec un mélange d’impatience et de méfiance, en se demandant ce que Nakata allait bien pouvoir nous dire sur les ados british férus d’Internet.

Chatroulette russe

chatroom redimensionné

Et fort heureusement, Chatroom vaut largement cette attente mouvementée. On retrouve un plaisir perdu ces dernières années à suivre sa mise en scène inventive et précise, qui s’exprime en se promenant de manière assez surprenante dans le scénario d’Enda Walsh (qui adapte sa pièce de théâtre, après avoir signé le scénario du brutal Hunger de Steve McQueen).

Le film vaut surtout pour une fascinante inscription de thématiques japonaises dans un cadre britannique tout à fait crédible, qui universalise le beau propos du film sur le désespoir adolescent. On y retrouve par exemple dans ce quartier de Londres la figure toute nippone de l’otaku, qui s’extrait du monde pour n’en retenir que son image virtuelle à travers l’informatique, ou encore la thématique très japonaise du suicide d’adolescents solitaires qui passe par la virtualité d’Internet – figures qui marquaient déjà très métaphoriquement le récent L change the world

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La musique, reflétant ce crossover réussi, mélange harmonieusement les compositions de Kawai Kenji (Ghost in the shell) avec une B.O. compilant de l’électro-pop britannique (XX, The Klaxons, etc.). Le seul vrai bémol est que le film opte pour un final en forme de thriller virtuel, s’obligeant à une résolution un peu attendue misant sur une efficacité narrative peu nécessaire, comme si l’auteur perdait tout à coup confiance en ses thématiques.

Mais peu importe ces défauts avant tout d’ordre scénaristique, tant la mise en scène de Nakata arrive à faire oublier le didactisme un peu forcé de l’écriture d’Enda Walsh par mille et une trouvailles visuelles réjouissantes. Loin du théâtre filmé que l’on aurait pu craindre, le film offre une mise en image inventive, donnant vie aux discussions virtuelles par un mouvement de caméra incessant mais toujours lisible et justifié par les dialogues. Preuve encore que la rigueur du cinéaste est capable de s’allier aux formes les plus contemporaines d’images.

On attend donc avec impatience son retour au Japon et ses nouveaux projets. Avant le thriller Out, on découvrira l’imminent The Incite Mill, déjà dans la boîte, dès le 16 Octobre 2010 au Japon. La bande-annonce nous promet un mélange entre les 10 petits nègres et une émission de télé réalité, en présentant un groupe de personnes acceptant de s’enfermer sept jours dans une maison pour un jeu dans lequel ils sont filmés 24 heures sur 24. Deux règles : les participants doivent regagner leur chambre avant 22 heures, et le jeu se termine au bout des 7 jours, ou s’il ne reste que deux survivants avant la fin de la semaine… On en reparle très vite !

Victor Lopez.

Lire notre critique de TV Show, le titre français de Incite Mill, qui invalide malheureusement nos espoirs du dernier paragraphe…

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