BLACK MOVIE 2022 – Me and the Cult Leader de Sakahara Atsushi

Posté le 24 janvier 2022 par

A l’occasion de l’édition 2022 du festival Black Movie, il est possible de découvrir le documentaire de Sakahara Atsushi, production ayant pour toile de fond l’attentat perpétré en 1995 par la secte Aum à Tokyo. Mais plutôt que de simplement revenir sur ce drame de manière factuelle et avec un travail d’enquête, le réalisateur opte pour une nouvelle approche, beaucoup plus humaine. 

Avant de développer sur le documentaire en question, il est important de resituer l’évènement dans son contexte, à l’échelle nationale, politique et historique. Comme l’indique le carton inaugural du film :

« La libre pensée et de conscience ne peut être bafouée »

C’est écrit noir sur blanc dans la Constitution du Japon.

En clair, les autorités, qu’elles soient politiques ou policières ne peuvent en aucun cas mettre le nez dans les affaires des différents cultes religieux du pays. Pour rappel, la religion majoritaire sur l’archipel est le shintoïsme qui représente 8/10ème de la population. Mais derrière ces chiffres dits « officiels », il existe d’autres croyances que l’on nomme Nouvelles religions (Shin-rikyo). Ce ne sont pas forcément des sectes dans le sens occidental, et elles ne sont pas nécessairement aussi dangereuses que celle qui nous intéresse dans ce film, mais elles peuvent compter plusieurs milliers de fidèles, voire des millions avec une influence sociale assez incroyable. Malheureusement, la plus connue d’entre elle à l’international reste la secte Aum, aujourd’hui rebaptisée Aleph. Dirigée par le leader Asahara Shoko, la secte affirmait des croyances où se mêlaient un peu tout et surtout n’importe quoi, un melting-pot de bouddhisme, d’hindouisme, avec aussi une tendance à croire en la corruption des instances dirigeantes et surtout en un Armageddon dont seuls les membres de la secte seraient les survivants. Et c’est sur ces bases spirituelles que Shoko encouragea ses fidèles à commettre le pire. Le 20 mars 1995, en plein centre-ville de Tokyo, à 8h du matin (heure de grosse affluence), une attaque coordonnée par plusieurs membres d’Aum propage du gaz sarin dans le métro. Cinq rames de métro seront touchées et le bilan final fera état de 13 morts et près de 6300 blessés. Parmi ces victimes figure Sakahara Atsushi, le réalisateur du documentaire. C’est un survivant qui, à cause de son exposition au gaz, gardera à vie une santé fragile, entre système nerveux détruit et troubles de la vision.

Mais plutôt que de s’intéresser à la secte et ses actes d’un point de vue journalistique, il opte pour une approche radicalement différente et entre en contact avec Araki Hirishi, un membre toujours actif de Aum, désormais rebaptisée Aleph. Car il faut le préciser, si la justice a fini par s’occuper du cas de la secte suite à ce drame (son gourou a été exécuté en 2018), elle n’en demeure pas moins bel et bien active, avec des membres qui se font assez discrets, ce qui est plutôt normal, et qui ont fait une croix sur toute activité criminelle, la surveillance accrue de la police y étant sûrement pour quelque chose. Par curiosité et dans une démarche de victime désireuse de connaître les motivations du mouvement qui lui a gâché la vie, Sakahara emmène Hirishi dans un road trip à travers le Japon. Leurs pas vont les mener dans une cellule active d’Aleph, puis les faire explorer le passé d’Hirishi dans la campagne près de Kyoto.

Le voyage sera physique et parfois douloureux (le réalisateur est vraiment marqué physiquement par ce qui lui est arrivé), mais c’est surtout un voyage dans le passé et les origines sociales d’un membre de la secte dont il est question ici, et le voyage ne va pas être de tout repos pour Hirishi.

Car en début de film, le réalisateur, jovial et plein d’entrain, suit le calme et posé Hirishi dans sa visite de la résidence Aleph, en n’oubliant pas de poser quelques questions qui mettent son interlocuteur dans l’embarras (une scène aussi drôle que pathétique à propos de lévitation). De fil en aiguille, on commence à assimiler les préceptes de la secte. Mais après quelques échanges toujours cordiaux sur certains courants de pensées contradictoires qu’Hirishi a parfois du mal à justifier, la suite du documentaire prend une tournure radicalement plus personnelle.

Sakahara Atsushi emmène son compagnon de voyage dans sa campagne natale, là où sa famille l’a vu grandir et dès lors, la coquille du représentant d’Aleph commence à se fissurer, et le film en devient parfois difficile à supporter émotionnellement. Car au gré des questions, on devine que les membres de la secte ont dû se livrer au « Renoncement », physique, psychologique, et pire encore familial. Un renoncement qui, pour Hirishi, s’est fait brutalement. Au détour d’une scène a priori banale (leur train est stationné en gare), la caméra capte longuement le regard de l’homme fixant une maison près des voies. Cette maison s’avèrera être celle de la grand-mère d’Hirishi, qu’il aimait plus que tout et qui, on le devine, n’a jamais pu dire adieu à son petit-fils. Et les larmes commencent à lui monter aux yeux. Derrière les discours pro-Aleph mécaniques du monsieur, se dessine une réalité triste et cruelle. Avant d’être embarqué dans la secte, ces gens ont eu une vie et des gens qui les aimaient. Et lorsque fugacement ils parviennent à se déconnecter de leur mode de pensée sectaire, la réalité leur revient violemment en plein visage.

C’est dans ses petits moments de vie, ces petites capsules de banalité et de quotidien que le documentaire parvient à se montrer à la fois touchant, humain et chaleureux. Mais même ces instant de vie ordinaire dont a été privé Hirishi et dont il profite avec le réalisateur sont perturbés, de près ou de loin par Aleph (l’esprit vrillé et monomaniaque d’Hirishi qui fait une fixette sur le caillou parfait pour le ricochet, une écoute de musique pleine de rire qui finit rapidement, Sakahara commençant a se sentir physiquement épuisé, etc.).

Durant ce road trip, on apprend que malheureusement, rien ne changera sur les sectes et leur mode opératoire pour recruter de nouveaux membres. On découvre alors que l’on a affaire à l’enrôlement d’une personne fragile émotionnellement et psychologiquement et qui n’a pas eu une enfance très joyeuse, par un gourou ultra charismatique (manipulateur de surcroît), venu faire la promotion de son culte religieux dans un lycée. La suite est sans surprise, Hirishi a suivi ce qu’il pensait être sa porte de sortie psychologique et a intégré sans même s’en rendre compte la secte Aum où, bien entendu, il a rencontré d’autres personnes perdues comme lui. Nul besoin d’en dire davantage.

Mais ce qui choque le plus ici, c’est que si par brefs instants, Hirishi reconnaît du bout des lèvres les excès de son gourou, notamment les homicides, à aucun moment il ne semble réaliser qu’il a intégré une secte qui lui a détruit le cerveau et il reste droit dans ses bottes, convaincu d’avoir fait le bon choix. Lors du face à face avec les parents du réalisateur, il parvient à formuler des excuse sincères et émouvantes, mais on devine que c’est uniquement par affection pour son ami (on sent clairement qu’un lien fort s’est créé entre Hirishi et Sakahara). En effet, la dernière scène du documentaire est à ce titre édifiante. Elle nous le montre dans une situation similaire lors d’une commémoration à Tokyo, et sa réaction est d’une froideur et d’une inhumanité désespérante, prouvant qu’il est difficilement possible de reconstruire un esprit faible qui a été abusé et complètement reformaté jusqu’à en devenir insensible.

Prenant à contre-courant la trame classique d’un documentaire sur les sectes au japon, Me and the Cult Leader est un long-métrage parfois dur à regarder, où se mêlent impuissance face à une emprise psychologique néfaste devenue irrémédiable, tristesse de voir une vie détruite trop tôt, mais d’où surgit parfois de petites touches d’humanité et de bon sens.

Romain Leclercq.

Me and the Cult Leader de Sakahara Atsushi. Japon. 2020. Sélectionné au Black Movie 2022