Pour les inconditionnels d’animation japonaise, le site de France TV met à disposition une sélection de films de japanimation, de genres divers et variés, qui vont du drame à l’anticipation en passant par la comédie. Parmi ces œuvres se trouve Lou et l’île aux sirènes, petite merveille du surprenant Yuasa Masaaki.
Pour ceux dont le nom Yuasa Masaaki ne dit rien, il est bon de rappeler que s’il n’a pas forcément la reconnaissance publique et internationale d’un Miyazaki Hayao, référence incontestable, ou d’un Shinkai Makoto (Your Name), il n’en demeure pas moins un réalisateur hors norme et passionnant. Véritable touche à tout, en l’espace d’un peu plus de 15 ans, il aura œuvré à la fois sur le petit et le grand écran, en jonglant avec les genres avec une facilité déconcertante. On lui doit des comédies (The Night is Short, Walk on Girl), des séries parfois tendres (Ping Pong), parfois d’une noirceur sans fond (le reboot de Devilman Crybaby), mais aussi des merveilles comme son récent Ride Your Wave, sorti cette année au cinéma. A chaque film, il appose son style graphique inimitable, croisement graphique improbable entre Tex Avery, Bill Plympton et l’art abstrait. Une folie graphique qui n’empêche ni les émotions ni les sous-textes plus tristes, ses œuvres ayant souvent pour héros des personnages un peu perdus, entre joyeuse déprime et quête d’identité.
Pourtant, dans cette filmographie, il est un film qui fait presque figure d’anomalie, et c’est Lou et l’île aux sirènes. Réalisé en 2017, le long-métrage arrive après des productions comme The Night is Short, Walk on Girl, Ping Pong, The Tatami Galaxy, ou bien encore Mind Game. Ce sont de très bons films au demeurant, mais pas forcément grand public, de par les thèmes abordés (l’échec des relations amoureuses, les amitiés mises à l’épreuve, les doutes existentiels…). Aussi, lorsque arrive Lou et l’île aux sirènes, c’est une délivrance. Yuasa Masaaki met en pause ses héros citadins en plein doute et se lance dans un conte solaire, estival et merveilleux, capable de plaire à tous les publics.
Dans un petit village de pêcheurs, Kai, un adolescent renfermé venu de Tokyo s’installer avec son père après le divorce de ses parents, trompe son ennui en composant de la musique face à la mer. Il va faire la connaissance de Lou, petite sirène facétieuse qui apparaît dès lors qu’une musique commence à jouer. Mais les sirènes n’ont pas bonne réputation dans cette communauté qui tient les créatures comme Lou responsables de la mort des marins.
Autant aborder le sujet d’entrée de jeu : oui, dans les grandes lignes et en forçant un peu le trait, la rencontre d’une créature de la mer et d’un humain rappellera forcément le film de Miyazaki Hayao, Ponyo sur la falaise, réalisé presque dix ans plus tôt. Mais là où Miyazaki mettait sagement, si l’on peut dire, et tout en mignonnerie, en scène son conte des bords de mer, Yuasa Masaaki opte pour une approche beaucoup plus libre, folle et euphorique, imprévisible comme un solo de guitare.
Dès sa première scène, le ton est donné. Le message est clair, ce sera la musique qui rythmera l’histoire. Elle va se faire rencontrer les personnages, et faire se connecter les deux univers. Avec la musique, Kai va s’ouvrir un peu plus au monde, rencontrer des amis et surtout faire la connaissance de Lou, petite pile électrique venue du fond des océans. A ce sujet, on notera que sa première vraie apparition se fait pendant un générique d’ouverture complètement dingue et coloré, et qui arrive quand même après 15min de film. C’est assez rare pour être signalé.
Si à première vue, on est bien devant un film de Yuasa Masaaki, lorsqu’on découvre le style graphique des personnages, on pourrait penser que le monsieur s’est calmé dans ses délirants excès visuels. Soyons rassurés, il n’en est rien, et la mise en scène s’adapte au récit. Le merveilleux et le fantastique doivent, à l’image de Lou, rester cachés. Mais dès que Lou commence à prendre de plus en plus de place dans la vie de son héros, le style du réalisateur se réveille et plonge tout le film dans une sorte de délire graphique jouissif et euphorique. On pensera à cette scène de fête de plage qui vire à la piste de danse enflammée dès que Lou, stimulée par les riffs de Kai et ses amis, envoûte littéralement toute la ville. La folie visuelle de Yuasa Masaaki se plie avec harmonie au récit, ses excès graphiques ne sont jamais gratuits et mettent merveilleusement en images la fantaisie du conte, notamment lorsque Kai explore le monde de Lou, au détour d’une plongée sous-marine.
Et si sur la forme, le film est aussi stimulant que merveilleux, sur le fond, le script n’est pas en reste en mettant en scène une très belle histoire d’amitié improbable entre un adolescent mal dans sa peau, souvent maladroit dans ses rapports humains, ne sachant pas nager mais s’acoquinant avec une créature des mers. La folie et la fantaisie n’empêchent ni les rires (la rencontre entre Kai et Lou), ni la tendre émotion avec cette scène où Lou apprend à un Kai paniqué et en pleine noyade comment, littéralement, se laisser aller pour ne pas couler.
Cependant, rappelons que c’est un conte, et il y aura bien entendu des méchants pour empêcher Kai et son amie de s’amuser, mais là encore, c’est le merveilleux et la fantaisie qui viendront au secours des héros, avec des créatures venues de la mer à la rescousse pour sauver les héros et plus encore, avec un climax dans lequel Yuasa Masaaki se lâche complètement, livrant quinze idées graphiques et de mise en scène à la minute, faisant exploser les frontières entre les mondes et les dimensions. Mieux encore, il ose plonger tête baissée dans l’abstrait le plus complet pour expliquer les choix et comportements de plusieurs de ses personnages, sans pour autant en diminuer l’impact émotionnel, certains sentiments ne pouvant justement être exprimés clairement.
Ce n’est pas grand chose, mais rares sont les films qui nous laissent avec un grand sourire d’enfant une fois le dernier plan disparu de l’écran, marmonnant alors le générique d’ouverture. Lou et l’ile aux sirènes est tout simplement un film qui donne l’impression de regarder une histoire que l’on raconte un soir d’été à la plage, capable de séduire les petits comme les grands, le style de Yuasa étant à même de toucher chaque génération de spectateurs. Et en plus, il y a des chiens-sirènes.
Romain Leclercq.
Lou et l’île aux sirènes de Yuasa Masaaki. Japon. 2017. Disponible sur France TV