Présent dans le coffret Spectrum Films dédié à Ujicha, artiste de la geki-mation (la captation de silhouettes en mouvement), The Burning Buddha Man est le premier long-métrage du réalisateur. Sorti en 2013, il précède le spectaculaire Violence Voyager, et marque un pas vers la maîtrise de sa technique.
Une jeune lycéenne, dont les parents ont été assassinés, se voit confrontée à une organisation qui vole des statuts de Bouddha partout dans la ville, dans le but de les fusionner avec des êtres humains. Il en résulte des êtres étranges mais au pouvoir immense. Leur chef, un gourou et savant fou, projette de sombres desseins que notre héroïne va devoir stopper.
Avant The Burning Buddha Man, Ujicha a réalisé deux courts-métrages en geki-mation, Retneprac2 et Space Yokai War. Le gap de qualité est immense, le montage se faisant plus ciselé, tout comme le chara-design des silhouettes. Ujicha l’a dit lui-même, Violence Voyager dispose d’un montage plus effréné et met en scène beaucoup plus de silhouettes que dans le déroulé de The Burning Buddha Man. La juvénilité de ce premier long est aussi sa force : montrer les silhouettes plus longtemps à l’écran, dans des plans plus lents, est un choix narratif qui permet de mieux apprécier l’imagination sans limite du réalisateur dans le dessin, le design de ses personnages changeant constamment. Le rythme laisse s’infuser l’étrangeté de ces images déviantes pour une expérience de visionnage subtile. Quelques imprécisions demeurent dans la captation des images comme l’éclairage qui laisse apparaître un reflet à certaines silhouettes, mais n’entache pas la force de l’ouvrage.
Le scénario de The Burning Buddha Man, abracadabrantesque, est un prétexte de l’auteur pour s’amuser à dessiner de nombreuses figures infernales. Lorgnant régulièrement vers le body-horror, le film fait muer le corps de ses protagonistes à tout instant. L’ensemble crée un enchaînement de tableaux étranges et surprenants, non sans rappeler l’expressionisme d’œuvres telles que Le Cri d’Edvard Munch. Par ailleurs, tourner en dérision la mythologie bouddhique et les moines bouddhistes est devenu récurrent dans les années 2000 et 2010 en Asie – on pense à Journey to the West de Stephen Chow, Suffering of Ninko de Niwatsukino Norihiro, voire même Ong-Bak de Prachya Pinkaew, ainsi que de nombreux mangas comme Gantz. La parodie du bouddhisme a surtout lieu dans un milieu de culture populaire ou d’otakus. Ujicha se positionne dans ce registre. Il additionne à cette facette religieuse, des références clairement geeks, telles que le tokusatsu : cinq personnages se muent en animaux et s’assemblent en mecha géant. La transformation des corps passe aussi par cette vision plus légère, et rappelle le référentiel culturel de l’auteur, un homme né dans les années 1980 au Japon, et nourri de toute cette pop-culture japonaise et américaine. L’utilisation de la geki-mation devient alors très judicieuse, car elle transcende cet amas de références, qui aurait pu être recraché sans grande inspiration dans une production plus convenue.
Ujicha s’adonne au grotesque. Ce ton peut conjuguer un sens de l’humour noir sans gêner un horizon dramatique du scénario. Le réalisateur l’a bien compris, et passée la fascination à l’égard de l’imagerie cauchemardesque et ridicule qu’il nous propose, le scénario s’apprécie pleinement par ses pistes imprévisibles et ses nombreuses morts de personnages. The Burning Buddha Man est un film libéré de toute contraintes en cette matière-là aussi, sans doute rendu possible encore fois par le choix audacieux de la geki-mation. L’imaginaire d’Ujicha est, en 2013, incompatible avec toute interférence extérieure, il n’avait qu’un univers à proposer. Le producteur Anzai Reo l’a bien compris, et suit l’artiste depuis lors, sans discontinuer. Le corpus de films d’Ujicha, deux longs-métrages et trois courts, se révèle d’une étonnante cohérence, et son art ne demande qu’à se déployer, aller encore plus loin dans le pas de côté aux productions actuelles. Par son univers fantasque, référencé mais se ramifiant sur de bien nombreuses autres pistes artistiques, Ujicha est déjà un auteur du cinéma, porté sur la recherche formelle. The Burning Buddha Man est un pallier important de sa filmographie.
Bonus de Spectrum Films
Retneprac2 (court-métrage d’Ujicha, 16 minutes, 2009). Il est étonnant de voir d’où Ujicha est parti pour se lancer dans la geki-mation. Encore étudiant, avec un matériel limité de 2009, Retneprac2 a une saveur de ses vidéos Youtube d’antan, dans lesquelles des vidéastes en herbe essayaient un tas de trucs. Contrairement à tous ses autres film, Retneprac2 montre des dessins au style plus jeune. Il s’agit toutefois d’un travail colossal, on y décèle déjà ce qui fait le sel de sa narration et de son montage.
Space Yokai War (court-métrage d’Ujicha, 8 minutes, 2011). Le réalisateur s’essaie au trucage vidéo, avec un filtre façon télévision des années 1950, pour cette histoire, improbable à nouveau, d’invasion d’extraterrestres-yokais. Il s’agit du plus expérimental de ses travaux, dans la mesure où le son est déformé dans tous les sens, effet qu’il n’a pas reproduit jusqu’à lors.
Tempura (court-métrage d’Ujicha, 3 minutes, 2014). Réalisé après The Burning Buddha Man, Tempura est composé de trois minutes épatantes. Deux garçons se font éliminer par des soldats extraterrestres en se faisant transformer en tempura. Plus que de parodier la culture japonaise, il se sert de l’imagerie de cette spécialité culinaire pour proposer un récit d’horreur, raconté de manière inédite.
Ujicha par Fabien Mauro (20 minutes). Fabien Mauro, que nous sommes habitués à voir sur les bonus des films japonais de Spectrum Film, revient en détail sur tous les aspects des films d’Ujicha, de manière très complète. Son expertise en tokusatsu et en manga permet d’apporter des informations intéressante pour lire l’œuvre du réalisateur japonais.
Maxime Bauer.
The Burning Buddha Man d’Ujicha. Japon. 2013. Disponible en Blu-ray chez Spectrum Films en avril 2021.