VIDEO – Violence Voyager d’Ujicha : une nouvelle technique d’animation libre

Posté le 10 juin 2021 par

Ujicha est le nouveau chantre de la geki-mation, un procédé apparenté au cinéma d’animation, qu’il n’a pas inventé mais qu’il pousse au maximum de ses capacités. L’intégralité de son œuvre, 3 courts-métrages et 2 longs-métrages, sont disponibles dans le Coffret Ujicha paru chez Spectrum Films. Commençons par analyse son long le plus récent : Violence Voyager.

Bobby est un petit Américain venu vivre dans la campagne japonaise avec ses parents. Au début la coqueluche de l’école du fait son origine, il se retrouve isolé. Avec son dernier ami Akkun, ils partent le week-end en randonnée pour aller revoir un bon copain à eux. Sur le chemin, ils tombent sur un étrange parc d’attraction peu fréquenté : Violence Voyager. Les acolytes prennent leur place, mais découvrent l’horreur une fois à l’intérieur… Un scientifique fou fait des expériences sur des enfants qu’il appâte, dans le but de nourrir Takashi, un petit monstre sanguinaire aux allures de robot…

Ujicha puise son inspiration en matière de geki-mation d’une ancienne adaptation d’un manga de Umezz Kazuo et d’un clip musical des années 2000. Il n’y a que très peu d’occurrences dans la pop-culture japonaise de cette technique qui consiste à dessiner les personnages et les décors sur des silhouettes, et les filmer en les faisant bouger. Chaque silhouette de Violence Voyager est unique, et est utilisée pour un seul plan, ce qui donne une idée du travail colossal auquel a dû se livrer l’artiste pour produire un long-métrage de ce type. Ujicha s’amuse beaucoup à puiser dans ses influences, notamment les productions Amblin Entertainment, pour créer un petit monument de pop-culture, à la patine certaine. Le dessin des silhouettes est d’excellente qualité, avec un trait qui s’éloigne du type manga, préférant un effet gouache, et une très belle association des couleurs, plutôt vives mais jamais dépareillées. À cela, on ajoute que Violence Voyager est le cinquième travail en geki-mation d’Ujicha, et l’on comprend qu’il a su affiner sa technique. Pour ce film, il cut très souvent, ce qui lui demande un nombre considérable de silhouettes à produire, et fait gagner un superbe rythme à la production. Il s’essaie, en plus, à de petits effets pyrotechniques et des jeux avec les liquides, augmentant ainsi l’appréciation des textures. Les qualités plastiques du film sont certaines.

On s’en aperçoit en écoutant Ujicha et son producteur en commentaire audio : il subsiste quelque trous dans le scénario, ou tout du moins, des choix visuels qui amènent à un manque de sens – sans doute Ujicha s’est-il laissé guider par son goût pour le dessin sans chercher à former une explication ; on pense au fonctionnement des expériences du savant fou qui sont autant de trouvailles visuelles que de questions sans réponse sur ce qu’est le tentacule géant ou pourquoi les enfants sont-ils vaguement robotisés une fois capturés. Ce constat est toutefois sans grande importance, tant l’audace et l’inventivité du métrage sont grandes. Ujicha est avant tout un grand narrateur, qui sait ménager un suspense insoutenable dans ce qui est un récit de pure horreur. Dans Violence Voyager, des enfants sont agressés, tués et étendus nus sur un pendoir ; un tas de chair dégoûtant sert de nourricière à un monstre qui l’appelle maman : les personnages principaux sont particulièrement malmenés dans leur aventure, comptant des morts et des marques de barbarie sur leur corps. Le réalisateur ne s’exclut aucune image effrayante, à la limite de la soutenabilité, et il n’y a guère que le style dessiné pour apporter un recul face à ce récit d’extrême angoisse. Une telle prise de liberté, pour les spectateurs avertis, est un bol d’air frais car non seulement, ils n’auront jamais vu un film d’horreur de cet aspect, mais en plus, il n’y a aucune forme d’aseptisation. La fin, à ce sujet, n’est pas une bad end, mais est pleine d’amertume devant le chaos engendré par le méchant de l’histoire.

Dans le cinéma d’animation – puisque le réalisateur lui-même apparente sa technique à de l’animation – Ujicha offre une variation au potentiel incroyable. Preuve en est que le cinéma dans sa globalité peut se renouveler de manière imprévisible. Dans les années 2010, un jeune Japonais dessine sur des bouts de carton dans son coin, presque tout seul, et accouche d’un film à suspense, original et fort bien mené. Le seul luxe qu’il s’est octroyé réside dans le casting des comédiens du doublage, très prestigieux. Preuve en est que la qualité dont il a fait preuve a su convaincre les professionnels aguerris. Et pourtant, la réalisation, le storyboard, le dessin, le scénario et le montage, tout cela, sont à son seul crédit.

Master et bonus de Spectrum Films

En francophonie, nous somme gâtés, car nous avons droit à l’une des deux seules éditions au monde en Blu-ray de Violence Voyager, avec celle de Third Windows Films – les deux éditeurs ont travaillé en collaboration. Le master est irréprochable et donne toute sa mesure à l’aspect cartonné de la geki-mation.

Commentaire audio d’Ujicha et du producteur Anzai Reo (1h23, durée du film). Ujicha et Anzai offrent un commentaire audio vivant en revenant sur la genèse du film et le travail des comédiens du doublage japonais, sans oublier de commenter ça et là les images qui défilent. Ujicha questionne la dureté de l’œuvre dont il a accouché et se demande si certains publics n’y seraient pas réfractaires.

Interview d’Ujicha (20 minutes). Ujicha se dévoile dans cette interview, comment il a eu l’idée de s’approprier la geki-mation, quelles sont ses influences… Cerise sur le gâteau, il nous fait une démonstration de la simplicité de la captation de la geki-mation, en utilisant les silhouettes du film devant nos yeux. Il nous en dit plus sur la façon dont il imagine ses futurs projets, et semble préférer la prise de vues réelles à l’animation traditionnelle, si un choix entre les deux médiums devaient se faire.

Le disque comprend également un teaser du prochain film d’Ujicha et une visionneuse du storyboard de Violence Voyager, où l’on admire la beauté du pinceau du réalisateur, et dont on rêverait même, pourquoi pas un jour, d’une version papier.

Maxime Bauer.

Violence Voyager d’Ujicha. Japon. 2018. Disponible en Blu-ray chez Spectrum Films en avril 2021.

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