VIDEO – Aucun ours de Jafar Panahi : film de combat

Posté le 4 avril 2023 par

Après une sortie en salles fin 2022, Aucun Ours du cinéaste iranien Jafar Panahi nous arrive en DVD chez ARP Sélection. Réalisé dans l’ombre par un Panahi interdit d’exercer et de sortir du territoire, le film se regarde d’un œil particulier et ému, compte-tenu des manifestations pour la démocratie dans le pays et de la prison qui attendait le réalisateur avant qu’il ne soit libéré après une grève de la faim.

Retranché dans des terres reculées, un réalisateur que le gouvernement garde à l’œil tourne un film à distance. Dans le village qui l’accueille, lors d’une fête de village, il filme une histoire d’amour interdite, par hasard, alors qu’il prenait une vue d’un autre sujet. Les chefs du village lui demandent de lui fournir la vidéo, afin de rendre honneur au fiancé lésé.

Dans la droite lignée de Taxi Téhéran et Trois visages, Jafar Panahi nous livre avec Aucun ours un brûlot où les critiques envers le gouvernement iranien et les conservateurs fusent de toutes parts et sans détour. Le pitch du film fait une nouvelle fois écho à la propre histoire du réalisateur, son personnage est toujours une projection quasi-intégrale de lui-même, jusqu’à son propre nom. Dès lors, le scénario comporte deux branches, qui permettent d’exprimer deux angles de sujets politiques, poignants et viscéraux.

Le premier est le film que le cinéaste tourne à distance, et l’histoire personnelle de ses deux acteurs. À travers le monologue émouvant du rôle féminin du film dans le film, Jafar Panahi est confronté aux impasses de son métier d’artiste. Être artiste, c’est être attendu sur un propos politique, et pourtant, ce n’est pas agir directement. Panahi filme sa propre impuissance à travers cette séquence, en faisant déclarer au personnage stricto sensus que demander à un acteur de jouer telle ou telle émotion, ce n’est pas réellement se soucier de l’avenir du peuple opprimé, ce serait presque brasser de l’air face aux vrais enjeux. Le second et axe majeur du film demeure dans l’intrigue au village. Par couches, Panahi explore les rouages du conservatisme ancré jusque dans la campagne la plus reculée et par là, une autre impuissance. En effet, le gouvernement est loin de ces habitants-là, et pourtant, la structure hiérarchique traditionaliste de la localité brime également la jeunesse avide de liberté, notamment amoureuse.

La force d’Aucun ours réside dans la subtilité extrême de ses dialogues, dans la clarté de ce que son réalisateur veut signifier d’un point de vue politique et moral, et par là-même, son engagement idéologique absolu, en antithèse avec l’ordre établi. Pour ce faire, il ne joue pas seulement sur les nombreuses et savoureuses répliques engagées qui parsèment le film, mais aussi sur un scénario acéré qui termine en apothéose, provoquant un terrible électrochoc. Une fois le film terminé, on en vient à se dire qu’une fin aussi terrassante et apocalyptique n’a pas été vue depuis un certain temps dans le monde du cinéma ; cela donne du corps à l’engagement politique de Panahi, dans le portrait qu’il réalise du pouvoir iranien.

Aucun ours est de ses œuvres qui nous cueillent, témoignant par moments d’une certaine douceur – l’histoire d’amour interdite au centre est mise en scène de manière quelque peu romanesque – douceur annihilée par la violence de l’environnement. Avec Aucun ours, Jafar Panahi dresse un bilan dramatique sur sa vie de cinéaste en Iran, mais même en se mettant très précisément en scène, il parvient à atteindre des émotions beaucoup plus larges. Toute personne dans le monde témoin de la brutalité des sociétés humaines ne peut qu’être touchée par la sincérité de la démarche du cinéaste.

Maxime Bauer.

Aucun ours de Jafar Panahi. Iran. 2022. Disponible en DVD chez ARP Sélection le 29/03/2023.

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