Impetigore signe le retour de Joko Anwar, maître indonésien de l’horreur à son genre de prédilection. Après son expérience dans le genre super-héroïque avec Gundala et son épisode dans l’anthologie Folklore pour HBO Asia, Joko Anwar nous propose une nouvelle plongée dans l’horreur folklorique.
Lassée d’une vie urbaine indigente où seule sa meilleure amie Dini la réconforte, Maya décide de rejoindre avec elle son village natal. Elle espère revoir la maison familiale désormais abandonnée, dont elle a hérité. En arrivant sur les lieux, elles découvrent des habitants hostiles…
Dès les premières minutes d’Impetigore, on est plongé dans ce qui sera le cauchemar de la protagoniste principale, l’isolement. Joko Anwar nous fait ressentir ce vertige qui est d’autant plus effrayant lorsqu’il est abordé par le prisme d’un regard féminin dans nos sociétés. Maya (Tara Bosaro désormais actrice fétiche du cinéaste) est isolée et seule à l’image dès le début du long-métrage, pire encore, elle est enfermée dehors. Cette scène nous dévoile l’esthétique que semble prendre Impetigore dans un premier temps. Les compositions qui mettent les corps à l’extrémité de l’image ou les enferment dans des cadres dans le cadre, tout comme l’utilisation de la longue focale qui déconnecte toujours le corps de l’espace, nous donnent à voir l’œuvre comme une énième variation d’un film de malédiction. Le genre qui est extrêmement populaire et codifié aussi bien au Japon qu’en Thaïlande ou dans ce cas en Indonésie écrase Impetigore durant les 30 première minutes où Joko Anwar semble suivre tout un tas de lieux communs, de motifs et de gimmicks qui ont façonné l’imagerie des fantômes d’Asie. A part cette introduction fascinante, l’œuvre construit son ambiance dans une succession de moments qui n’ont pour intérêt que de justifier le passage de l’espace urbain à la ruralité. Car Joko Anwar n’est pas un cinéaste de l’innovation mais de la translation, il n’invente pas de formes mais les adapte à l’Indonésie à tous les niveaux de son esthétique.
Dans son remake de Satan’s Slave en 2017, le cinéaste réactivait un classique de l’horreur indonésien à travers son appropriation des nouvelles images de l’horreur, notamment celle de James Wan. Dans Impetigore, ce n’est pas du style d’un cinéaste particulier dont il s’inspire mais d’une démarche, celle de Na Hong-jin dans The Strangers. Le cinéaste coréen avait marqué la décennie dernière avec une œuvre infectieuse et absurde sur le mal dans une Corée rurale où les repères moraux sont tellement archaïques qu’ils viennent troubler le réel jusqu’à le détruire. Dans cette optique, Joko Anwar va explorer la terreur sourde qui existe également dans l’image de la ruralité indonésienne (Impetigore est également produit par CJ Entertainment, l’une des grosses sociétés coréennes de production). Cette exploration se traduit par la mise en scène de la fatalité comme une malédiction transmissible et inarrêtable mais également comme une force métaphysique qui existe dans la culture de l’archipel à travers ses différents théâtres. Elle apparaît d’abord à l’écran comme le jeu entre les ombres et la lumière du village (car les sources de lumière viennent des torches) qui évoque justement celui du théâtre. Les corps n’existent que dans les contrastes, entre apparition/disparition, passé/présent, vie/mort et surtout le mystère, tout comme l’ombre, est toujours présent à l’instar des fantômes, symboles de la mémoire qui hante les lieux. Joko Anwar injecte la théâtralité indonésienne à un autre niveau, avec la forte présence de la musique qui appuie cette fatalité car elle donne le ton dans le théâtre de marionnettes. Impetigore ne fait que prolonger cette idée quand la musique va même jusqu’à dominer l’image tant elle prend de place dans notre expérience de l’œuvre. Cette théâtralité n’est donc pas artificielle, elle est pleinement assumée et se traduit de manière pertinente dans l’œuvre quand elle nous donne des scène d’une beauté macabre, par exemple lorsqu’elle la grand-mère va étendre la peau de la jeune femme fraîchement tuée ou lorsque Maya sa cache dans la forêt. C’est la grande réussite d’Impetigore, de nous faire ressentir cette angoisse de la fatalité et ce charme de la tension constante en l’attente d’une violence soudaine. On assiste à cette œuvre comme la catharsis d’une société dans son isolement contemporain. Maya rappelle que sa vie urbaine est en réalité très pauvre, et une prison morale des croyances rurales, ce qui est encore une fois un constat très critique sur l’Indonésie après Gundala. Parce qu’il inscrit le genre dans sa spécificité culturelle et temporelle, le cinéaste parvient à redonner de l’intérêt à un genre qui depuis une dizaine d’années ne peut que réfléchir sur lui-même comme le font les œuvres de J-Horror.
Par sa sensibilité à la réalité de la jeunesse indonésienne et son talent à incorporer la culture indonésienne au cinéma d’horreur, Joko Anwar parvient tant bien que mal à faire d’Impetigore une œuvre fascinante qui a pour principale force son défaut majeur, celui de ne pas cacher ses effets. C’est d’assumer la théâtralité qu’il invoque qui rend l’œuvre bancale par moment quand la mécanique qui structure l’œuvre ne nous laisse voir que ses engrenages quand par exemple, après avoir entendu du bruit, Maya se lève et la caméra n’accompagne pas son regard mais le précède. On comprend qu’une force plus grande la guide, mais on ne sent pas sa peur car on découvre l’espace avant elle. C’est sur cet équilibre qui semble impossible à tenir que le cinéaste construit sa tragédie paranoïaque, sauf qu’on aurait aimé sentir de manière plus profonde cette paranoïa plutôt que de comprendre que l’on regardait une œuvre tragique (au sens théâtral). Néanmoins, l’épilogue réenchante cette fin trop mécanique, car elle nous montre la naissance d’un pontianak (créature proche du vampire dans le folklore indonésien). Comme si malgré le mélange savant des genres on ne pouvait arrêter ce qui animait réellement le cinéaste, cette peur que l’on partage car on aimerait qu’elle soit vraie. Ce souhait inavoué que cette malédiction aussi horrible soit-elle ne s’arrête jamais, car elle nous renverrait à l’absurdité de notre existence, ce moment où la peur fait d’une croyance une réalité. Et on peut se laisser divaguer à penser aux mots d’Artaud sur l’un des théâtres indonésiens, le théâtre balinais : « une espèce de terreur nous prend à considérer ces êtres mécanisés, à qui ni leurs joies ni leurs douleurs ne semblent appartenir en propre, mais obéir à des rites éprouvés et comme dictés par des intelligences supérieures. C’est bien en fin de compte cette impression de Vie Supérieure et dictée, qui est ce qui nous frappe le plus dans ce spectacle pareil à un rite qu’on profanerait. D’un rite sacré il a la solennité ; – l’hiératisme des costumes donne à chaque acteur comme un double corps, de doubles membres, – et dans son costume l’artiste engoncé semble n’être plus à lui-même que sa propre effigie ».
Kephren Montoute
Impetigore de Joko Anwar. Indonésie. 2019. Projeté dans le cadre de l’Etrange Festival 2020