Saga importante en son temps au Japon, la trilogie Daimajin de 1966 n’a été appréhendée que tardivement en Occident. L’objet filmique a pour idée le métissage entre le chanbara eiga (film de sabre) et le kaiju eiga (film de monstre géant). En pleine gloire, les réalisateurs Yasuda Kimiyoshi, Misumi Kenji et Mori Kazuo, tout trois remarqués sur la série de films Zatoichi, sont attachés chacun à un opus. Le Chat qui fume nous a déterré ce festival de fer, de bois et de pierre dans une édition vidéo grandiose !
Le premier film Majin de Yasuda Kimiyoshi nous narre la trahison d’un seigneur de fief par son chambellan. Prenant le pouvoir par la terreur, les enfants du daimyo doivent se réfugier avec une prêtresse et un fidèle vassal au fin fond de la montagne, où gît la statue du dieu-démon Majin, à qui on attribue quelques secousses sismiques quelques jours auparavant. Les années passent et le chambellan se révèle être le pire des tyrans. Les enfants, devenus jeunes adultes, vont implorer Majin afin qu’il intervienne…
Le second film, Le Retour de Majin de Misumi Kenji, met en scène l’invasion d’un fief par un daimyo tyrannique. Ce dernier pousse à bout les villageois qui vont prier la statue de Majin, située près d’un lac.
Le troisième film, Le Combat Final de Majin de Mori Kazuo, suit un seigneur malveillant qui réduit en esclavage un village. Partis chercher de l’aide, quatre enfants traversent un mont enneigé et rencontrent la statue de Majin. De péripéties en péripéties, Majin finit par se réveiller pour porter secours à ces malheureux.
Comme son concept le laisse supposer, on peut analyser la saga Majin par le prisme de ses deux versants, le chanbara et le kaiju. Le film est en réalité majoritairement un jidai-geki (un film d’époque), et toute l’imagerie du Japon ancien est belle et bien présente. Des villages sont reconstruits en studios, les acteurs sont superbement vêtus. Les années 1960 sont la décennie d’or du cinéma japonais, et les films en costume sont plus beaux que jamais. Avec l’appui financier de la puissante société de production Daiei, et grâce aux capacités de trois réalisateurs bien à l’aise dans leur domaine, jamais Majin ne paraît pécher sur ces points et se révèle un jidai-geki convaincant, malgré la fameuse idée du kaiju eiga, qu’on aime ou pas, d’un acteur habillé en caoutchouc et qui vient casser de faux décors. Les sensibilités du spectateur divergent fermement sur ce registre de cinéma, certains n’y voyant qu’une flopée de nanars faits avec des bouts de ficelles, d’autres y voyant la magie d’un geste premier du cinéma, effectué par des maîtres-artisans – rappelons que le créateur du kaiju eiga, Honda Ishiro, était un ami et collaborateur de longue date de Kurosawa Akira, et qu’il a réalisé de très beaux segments de Rêves. Du point de vue du chanbara eiga et du jidai-geki, les personnages évoluent donc dans un environnement disposant des charmes des films de ces années ; l’accent n’est toutefois pas spécialement mis sur le combat au sabre, si ce n’est que Majin a l’allure d’un grand guerrier samouraï. Du point de vue du kaiju eiga, la crédibilité est moins critiquable que les autres œuvres du genre, car le dieu de pierre est plus petit que Godzilla et les autres kaiju. La mise en scène en devient alors plus facilement rigoureuse : le dieu-démon peut prendre un personnage dans ses mains de telle manière que la scène soit plus facilement représentable et réalisable avec, de surcroît, une tension narrative, apportée par le savoir-faire des réalisateurs.
Du reste, Majin ne convainc pas à tous les étages. Les intrigues des trois films diffèrent à peine et on sent qu’elles appliquent une formule suite au succès colossal du premier opus. Un tyran sans foi ni loi fait régner la terreur sur une petite communauté en remplaçant un pouvoir en place supportable, de fidèles vassaux partent au front et se débattent dans des combats vains, pour qu’à la fin, un être innocent (une femme, des enfants) invoquent Majin qui vient faire tomber le glaive de la justice et ramener la paix. L’intrigue ne s’octroie pas de moments de grâce, où l’émotion des personnages résonne particulièrement. Elle ne s’encombre pas non plus de ruptures de ton narratif qui viennent déporter l’attention du spectateur et l’étonner. Tout est un long couloir de guerres humaines, insolubles, où l’éclat réside dans l’intervention divine de Majin. Ceci est propre aux films de kaiju, qui comptent beaucoup plus sur les séquences avec le monstre géant que les pourparlers des hommes. Seulement, Majin mise sur la crédibilité de son contexte en costumes et il faut avoir à l’esprit que le géant apparaît toujours dans le dernier quart de l’intrigue. Il y a donc trois quarts de redites dans chaque film, bien emballés mais sans éclat. Les scènes avec Majin sont, par contre, efficaces et pour le coup, variées d’un point de graphique d’un film à l’autre.
Séquences jouissives de destruction, application d’une formule… Majin arbore les attributs du kaiju eiga qui ne diffèrent pas des autres films du registre. Son contexte historique est son plus bel atout là où son point faible demeurera une intrigue jamais assez consistante.
L’édition vidéo
L’image des films est parfaite et rend honneur à la beauté des productions Daiei. Hormis les films-annonces, deux gros bonus accompagnent le combo Blu-Ray/DVD : premièrement, la présentation de la saga par Fabien Mauro, spécialiste du kaiju eiga et du tokusatsu. Son intervention contextualise très bien en quoi Majin s’inscrit dans la lignée des kaiju eiga, comment la saga a vu le jour et ses qualités, notamment par rapport à des Godzilla et des Gamera qui, au fil des années, ont changé de face. En second lieu, Fathi Beddiar raconte le cinéma japonais de l’époque, à travers la lorgnette de l’acteur Hashimoto Riki, l’interprète en costume de Majin. Cette intervention est particulièrement passionnante et nous emmène dans la stratégie de la Daiei, le baseball japonais, l’influence de Katsu Shintaro dans l’industrie, comment un certain Bruce Lee en est venu à travailler avec Hashimoto sur La Fureur de vaincre, et ce qu’est devenu Hashimoto. Les deux bonus font 45 minutes chacun et se révèlent riches en informations capitales sur le cinéma japonais de l’époque.
Maxime Bauer.
Majin de Yasuda Kimiyoshi, Le Retour de Majin de Misumi Kenji et Le Combat final de Majin de Mori Kazuo. Japon. 1966. Disponibles dans le coffret Blu-Ray/DVD « Trilogie Majin » en avril 2020 chez Le Chat qui fume.