ARTE.TV – Centaure d’Aktan Arym Kubat

Posté le 19 mai 2020 par

Co-produit par elle, la chaine franco-allemande Arte propose le film kirghiz Centaure sur son site en accès streaming libre. Troisième long-métrage remarqué d’Aktan Arym Kubat après Le Voleur de lumière et Le Fils adoptif, Centaure fait le portrait d’un petit village reculé dans les plaines à travers un père de famille qui rêve la noblesse des cavaliers kirghizes anciens.

Centaure, la cinquantaine, vit dans un village reculé avec sa jeune femme sourde-muette et son fils. Père aimant, il est quelque peu marginalisé pour sa passion envers les chevaux et son comportement parfois illuminé, ce qui lui a valu ce surnom, que les Européens ont autrefois donné aux guerriers kirghizes. Un jour, son cousin qui a fait fortune se fait voler un destrier de valeur. Les soupçons se portent sur un trafiquant de chevaux qui nie en bloc et demande à qu’on trouve le coupable pour que son honneur soit lavé.

Centaure est un film abouti en matière de plastique et de rythme. Il ne choisit pas une forte contemplation, comme les cinémas asiatiques le font souvent dans de tels décors de pleine nature, et préfère développer plusieurs thématiques distinctes, le rendant riche en matière d’idées. Pour autant, les décors de campagnes kirghizes sont somptueux, Aktan Arym Kubat n’oubliant pas de montrer les plus beaux aspects de la nature de son pays. Le plan de chevauchée nocturne, qui apparaît à plusieurs reprises dans le film, fait même partie de ces scènes de cinéma saisissantes, tellement belles que le temps semble suspendu.

Centaure présente un thème politique, reliée à un thème spirituel. Très rapidement dans l’intrigue, des prêcheurs musulmans apparaissent, pour obtenir l’aumône du riche cousin de Centaure. Ce dernier demandera alors de leur part une prière afin de récupérer son précieux cheval, sans omettre de mentionner qu’il est lui-même croyant, comme pour montrer son appartenance au groupe et renforcer son importance dans la communauté, malgré sa richesse qui contraste avec la modestie du village. Le film fera se confronter plus tard deux groupes d’habitants débattant sur le sort de Centaure, la partie musulmane fervente du village avec celle plus laïque. Comme le Kazakhstan, dont nous connaissons peut-être mieux le cinéma, le Kirghizistan est marqué par ses racines chamaniques en matière de spiritualité. L’islam s’y est mêlé dans son histoire sans parvenir à l’effacer complètement. Par ailleurs, l’appartenance à l’URSS a continué à amoindrir le poids de l’islam. Pourtant, une grande partie de la population kirghize appartient à la religion musulmane. C’est ce constat religieux complexe que met subtilement en avant Centaure, en dénonçant la radicalité de certains intégristes mais sans jamais porter l’opprobre sur la religion. Au milieu de cela, il y a le personnage de Centaure, dont on pourrait croire qu’il accède à une spiritualité supérieure, en rapport aux légendes anciennes de cavaliers kirghizes. Lui d’ailleurs, n’est pas intéressé par l’islam. Son personnage, campé par le réalisateur lui-même, est clairement le plus complexe du film, qu’on ne peut seulement décrire par ce statut de doux rêveur.

Centaure, le personnage, a un rapport particulier avec ses proches et ses amis. Son système relationnel est développé pour mieux servir sa personnalité libre. Il montre de l’amour pour sa femme et surtout son fils, mais il ne comprend pas que nouer un lien avec une autre femme du village – qu’il pense d’amitié – puisse générer des ragots. Sa naïveté, sa simplicité, est finalement le moteur de l’histoire. Son amour pour la liberté des anciens guerriers kirghizes, qu’il essaie de reproduire en chevauchant des montures seul dans les plaines, est à contre-courant de la réalité du village, régi par des données financières – la richesse de son cousin qui le rend important – et religieuses. Il évolue en marge des aspirations terre-à-terre de chaque villageois, qui sont animés soit par la foi, soit par le quotidien, le travail, les dettes, donc l’argent.

Centaure est un film complet sur la communauté, décrite par le prisme de son élément le plus original. Ce qu’on voit ici au Kirghizistan contemporain, on le retrouve dans l’imagerie de l’idiot du village, au fin fond du Texas ou dans la France médiévale par exemple. L’histoire de Centaure est universelle, tout en apportant des éléments précis sur la culture kirghize.

Maxime Bauer.

Centaure d’Aktan Arym Kubat. Kirghizistan. 2017. Disponible en ligne sur arte.tv du 26/02/2020 au 25/05/2020.

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