Entretien avec le maître du manga Matsumoto Leiji

Posté le 20 juin 2018 par

A l’occasion du programme JET (« Japan Exchange and Teaching Programme »), Matsumoto Leiji, le père prodigue d’Albator, Maetel et Emeraldas, a tenu une grande conférence à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) le 7 juin. En collaboration avec Animeland et Leiji News (qui suit l’actualité de l’auteur sur les réseaux sociaux), East Asia a eu le privilège de rencontrer celui qui a régné en maître sur la science-fiction japonaise des années 70.

Si le créneau de Nagai Go était le super Robot, celui de Matsumoto était le space-opéra ! Ainsi, dès 1974, accompagné de l’auteur Nishizaki Yoshinobu, l’ancien assistant de Tezuka Osamu marquait à jamais les Japonais avec l’odyssée Space Battleship Yamato, apportant une nouvelle grammaire visuelle dans les tubes cathodiques nippons. Ce phénomène de société, qui a largement contribué à la création de la culture otaku, s’est offert une deuxième saison en 1978 ; une année où Matsumoto a tissé sa toile intergalactique sur les ondes puisque ses séries Starzinger, Galaxy express 999 et Albator 78 ont également été diffusées ! Ont suivi de nombreux films comme ceux de Yamato et de Galaxy Express, qui ont tous remporté des succès colossaux au box-office. Mais l’échec de la série Albator 84 a sonné le glas de l’âge d’or de l’auteur si prolifique, au point que ce n’est que dans les années 90 que son œuvre s’est de nouveau animée, le marché spécialisé de l’OAV lui tendant les bras. Depuis, ses titres ont bénéficié de nombreuses relectures, en manga, en OAV, en séries TV ou en films, et ce à travers le prisme de nombreux réalisateurs de renom tels que Rintarô, Takahashi Ryousuke, Aramaki Shinji ou Kawajiri Yoshiaki.

Intemporelles et intergénérationnelles, les œuvres de Matsumoto véhiculent des messages universels qui influencent les plus jeunes, comme le mangaka Shimaboshi Kouiti (Albator Dimension Voyage), tout en continuant de passionner les fans de la première heure, notamment les membres du studios Gainax qui ont annoncé la mise en chantier de trois films centrés sur le Leiji-verse. Afin de célébrer les 80 ans de l’auteur, Galaxy Express 999 vient d’être adapté en pièce de théâtre et en drama.

Avant même de débuter l’entretien, Matsumoto, qui se tient droit et fier, feuillette un magazine où il voit une image de la série Yamato. Agréablement surpris, il pointe le doigt sur les deux protagonistes de la série : « Oh, vous savez que Susumu porte le nom de mon frère ? Et celui de Yuki Mori évoque la neige qui est pure dans la forêt profonde. Je me suis inspiré du nom d’une lycéenne que j’ai connu il y a longtemps. J’avais adoré son nom ! ».

Entretien avec Matsumoto Leiji 

Le programme JET vise à renforcer les liens entre le Japon et d’autres pays, notamment la France. Quels liens entretenez-vous aujourd’hui avec notre pays ?

Je suis très reconnaissant envers la France car c’est le premier pays qui a traduit et diffusé Albator. Si mes travaux ont pu être connus dans le monde entier, c’est grâce à cette traduction. Et je suis également un grand admirateur du cinéma français. Je me sens donc très proche de ce pays.

Oui comme Marianne de ma jeunesse. Avec ce film, on comprend mieux pourquoi vos personnages ont des formes gracieuses et longilignes.

Il se lève et va chercher dans son sac deux photos qu’il pose sur la table. Ce sont deux images issues du long métrage de Julien Duvivier.

Oui, ce film m’a beaucoup influencé. En fait, le cinéma français et le cinéma américain m’ont tous les deux marqué, car à la fin de la guerre, beaucoup de ces films ont été projetés au Japon, et je les ai découvert quand j’étais enfant.

Aussi, mon père était pilote d’avion et il a travaillé avec une troupe française. J’ai donc un rapport assez étroit avec la France comme vous pouvez le constater. Et dans ma famille, il y avait une des premières filles japonaises à avoir épousé un étranger, ce qui m’a toujours plus rapproché de la culture occidentale. D’ailleurs, sa petite-fille était métisse, et quand j’étais petit, ses traits m’ont beaucoup marqué.

En France, il y a toute une génération de spectateurs qui s’appelle « Génération Albator », vous le saviez ?

Oui. Je suis très touché que ça ait plu à toute une génération.

La politique Cool Japan arrive à son apogée avec les Jeux Olympiques de 2020. Que représente-t-elle pour vous qui êtes un pilier de la pop culture japonaise ?

Cool Japan est une politique nécessaire qui aurait dû exister depuis longtemps ! C’est bien qu’elle soit mise en place car il ne faut plus que l’humanité se batte ! Il faut arrêter les conflits et penser à vire en paix ! Vous savez, la Terre a suffisamment souffert, le réchauffement climatique en est la preuve. La fin du monde approche, il faut donc penser à l’espace, notamment pour rechercher de nouvelles ressources ! Cool Japan aide à créer des liens, pour que tous puissent s’entendre.

Qu’est-ce que Cool Japan a changé pour vous ?

J’ai vu que mes séries se sont de plus en plus faites connaître dans le monde entier. Je suis très content car j’ai créé ces œuvres pour qu’elles soient vues par le plus grand nombre de personnes.

Que pensez-vous du fait que de nombreuses œuvres classiques des années 60 et 70 soient régulièrement réadaptées en manga ou en anime ?

J’ai été nourri par la création des générations précédentes. Et les nouvelles générations ont découvert ce que j’ai fait. Il y a un vrai échange intergénérationnel. Par exemple, j’ai dessiné de nombreux gratte-ciels et autoroutes pour des villes futuristes. En vivant longtemps, je constate que le monde est devenu tel que je l’avais imaginé. Un jour, j’ai rencontré un architecte qui dessinait ce genre d’infrastructures, il m’a expliqué que mes dessins avaient nourri son imaginaire. Du coup, on ne sait plus vraiment qui a créé quoi, c’est intéressant de voir qu’il y a cette mixité d’influences.

Lorsqu’une de vos œuvres est adaptée, à quel niveau vous impliquez-vous ?

J’interviens énormément dans les adaptations animées ! J’écris moi-même le scénario et je propose des planches originales sur lesquelles se baseront les animateurs.

Aussi, ma maison se situe à côté du studio. Ça a donc toujours été facile pour moi d’intervenir dès qu’il y en avait besoin. Quand j’étais un jeune mangaka, je voyais de mon atelier les tournages, mais je ne pensais vraiment pas que mes mangas allaient avoir la chance d’être adaptés en anime. Et puis je me suis retrouvé à travaillé avec le studio. J’étais très content.

J’interviens également beaucoup au niveau de la musique. Lorsque j’étais enfant, je baignais dans la musique classique. Je me rappelle avoir trouvé dans la rue des vinyles occidentaux. Je les ai récupéré et lavé pour les écouter. C’était la première musique que je découvrais ! Puis il y a un ami qui m’a offert toute la collection des symphonies de Beethoven, de 1 à 9. Elle appartenait à son père qui n’est jamais revenu du front. Je vous disais tout à l’heure que nous n’avions plus de temps à perdre avec la guerre… Mon père a lui-même connu les champs de bataille, et beaucoup de mes camarades de classe ont perdu leurs pères qui ont été envoyés en renfort à Hiroshima.

Par la suite, j’ai récupéré pas mal de vinyles de soldats qui ne sont jamais revenus. La musique classique a grandement nourri mon imaginaire.

Dans les années 80, de nouveaux auteurs populaires comme Toriyama Akira, Takahashi Rumiko ou Adachi Mitsuru sont devenus tendance, éclipsant peu à peu la science-fiction. Comment avez-vous vécu ce passage de mode après l’échec d’Albator 84

Effectivement, les années 80 ont été difficiles pour moi. Mais vous savez, je suis de Kyûshû, et les hommes de Kyûshû sont connus pour être des durs ! Ils ne sont vraiment pas comme ailleurs ! Il était donc hors de question pour moi d’abandonner. Alors évidemment, je comprenais bien la réalité de ma situation : plusieurs de mes séries étaient interrompues par les maisons d’édition et j’ai connu quelques échecs commerciaux. Mais je n’ai jamais renoncé car les gars de Kyûshû ne montrent jamais leur dos à l’ennemi. On ne se sauve pas ! Je me suis dis : « bon, ok je suis dans la panade, mais rira bien qui rira le dernier ». C’est comme ça que j’ai tenu le coup.

Vous savez, l’île de Kyûshû est réputée pour ses hommes virils, mais aussi pour ses héros. C’est l’île qui a été le théâtre de grands faits d’armes, comme le combat entre Miyamoto Musashi et son rival Sasaki Kojiro. J’ai toujours baigné dans ces légendes de samouraïs. Et je suis moi-même un descendant de samouraï. Il m’était impossible de renoncer.

Effectivement, vous n’avez pas renoncé puisque vos créations sont encore d’actualité. D’ailleurs, Albator Dimension Voyage est le premier manga d’envergure de votre univers dont vous n’avez pas réalisé les dessins. Comment et pourquoi avez-vous créé cette ambitieuse relecture ?

En fait, je ne suis ni dessinateur, ni scénariste sur ce manga (contrairement aux sources des éditeurs – nldr). C’est un manga réalisé par des jeunes et je suis très fier de voir qu’ils qu’interprètent à leur manière mes œuvres. Mais Dimension Voyage n’est pas à moi, c’est à eux ! Les jeunes ont l’avenir devant eux, donc je les laisse libres.

La saga Albator est une neverending, c’est infini car il y a les descendants de Toshiro et d’Emeraldas qui vont se rencontrer et avoir d’autres aventures. De la même manière, ces jeunes talents, comme ceux qui sont à l’origine de Dimension Voyage, sont comme mes enfants à qui je passe le flambeau. Et moi je regarde ça avec un regard bienveillant.

Par contre, un jour je ferai la suite d’Albator ! Je le veux vraiment ! (le manga n’a jamais été terminé contrairement à la série de 1978 – nldr).

C’est une excellente nouvelle ! Ce renouvellement d’artistes peut donc être vu comme une évolution du votre concept Toki No Wa (« Anneau du Temps ») ?

Oui exactement !

Vos travaux de ces dernières années tendent à mener tous vos personnages populaires à affronter les Métanoïdes dans un combat ultime. Peut-on supposer que ce sera un point culminant de votre Toki no wa ?

Non, non, en fait chaque titre est individuel, donc pas de final où ils seraient connectés.

Quelles sont les œuvres actuelles qui vous inspirent ?

Je ne réfléchis pas vraiment de cette manière. Je veux surtout encourager les jeunes. Je ne suis pas dans la rivalité ou le jugement. Que tous fassent de leur mieux !

L’un de mon dicton préféré est « lui c’est lui, moi c’est moi, on doit tous vivre en paix ».

Si en France, Albator est l’œuvre la plus populaire de vos travaux, au Japon c’est Galaxy Express 999. Savez-vous pourquoi ?

Abator, Queen Emeraldas ou Galaxy Express 999 sont un tout. Je ne considère pas ces œuvres indivisiblement, donc je ne veux pas vraiment me prononcer dessus. Et je ne vous dirai jamais comment ça peut se terminer, car ça voudrait dire que c’est la fin, et donc que je n’ai plus qu’à mourir. Je n’ai pas envie de mourir, alors je ne pense pas à la fin de la saga.

C’est pour ça que le projet de trilogie de films centrée sur Emeraldas, Albator et Maetel s’étendra sur toute la prochaine décennie ?

Exactement, et je m’y implique entièrement ! J’écris même le scénario.

L’entretien touche à son terme. Pendant la poignée de main, Matsumoto s’arrête sur une image du robot Astro Boy qui trône sur la couverture d’un livre, et nous gratifie d’une anecdote savoureuse à propos de la première série animée de son mentor : « vous savez, le premier épisode de Tetsuwan Atom (Astro Boy) a été tourné avec ma caméra. Chez Mushi Production, ils avaient eu un souci technique avec la leur, alors je leur ai prêté la mienne ».

Au cours de conférence à la MCJP, Matsumoto Leiji a offert un beau cadeau à ses fans : un dessin, en live, d’Albator. Vidéo ci-dessous !

Propos recueillis par Philippe Bunel le 06/06/2018.

Traduction : Satoko Fujimoto et Ryoko Akiyama.

Remerciements : Ryoko Akiyama, Kiyomi Tagawa et l’équipe de CLAIR Paris.

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