NETFLIX – The Forest of Love: Deep Cut de Sono Sion

Posté le 16 mai 2020 par

Après avoir sorti The Forest of Love en long métrage de 2h15 sur Netflix, Sono Sion nous offre The Forest of Love: Deep Cut en mini-série de 7 épisodes pour un total d’environ 4h30. A l’instar de Tokyo Vampire Hotel, sa série précédente également présentée à l’origine en long-métrage, le réalisateur profite du format pour densifier et accentuer l’intrigue ainsi que ses propos.

L’intrigue reste bien évidemment la même que dans The Forest of Love et nous retrouvons dans la série ces mêmes portraits croisés entre deux jeunes adultes, Mitsuko et Taeko (respectivement incarnées par Kamataki Eri et Hinami Kyoko), amoureuses d’Eiko, leur amie de jeunesse décédée percutée par une voiture, Shin, un jeune étudiant venu faire de la guitare à Tokyo et se retrouvant impliqué dans un tournage amateur (Mitsushima Shinnosuke) et un escroc, Joe Murata qui séduit les jeunes filles de bonne famille pour les dépouiller (interprété par Shiina Kippei, connu pour avoir notamment tourné dans les films Shinjuku Triad Society de Miike, Gonin de Ishii ou bien Outrage de Kitano). Pourtant, lorsque Sono Sion ajoute le double de temps de visionnage, il ne se contente pas d’insérer des scènes supplémentaires : The Forest of Love: Deep Cut est remonté et le contenu des plans déjà connus des spectateurs varie par moments des originaux. L’introduction du personnage de Murata, par exemple, n’est plus aussi rapide et survient dans le dernier quart du premier épisode, changeant ainsi le regard du spectateur. L’élément central de la présentation des enjeux devient la mise en place de la pièce de théâtre Roméo et Juliette par le groupe d’amies lycéennes et non plus les penchants meurtriers présumés de Murata. De même, son arrivée plus tardive en tant qu’élément perturbateur de la vie de Mitsuko et Taeko aide à tromper les attentes concernant son rôle à jouer dans l’histoire. En augmentant progressivement l’intensité des scènes avec Murata, Sono le fait basculer dans l’esprit du spectateur comme antagoniste principal de l’histoire.

Sono profite également des avantages du format série pour approfondir une relation essentielle à l’intrigue : celle qui unit Taeko et Mitsuko. En changeant la chronologie des événements de leur amitié et en préférant débuter par leurs années lycée avant de montrer les événements de 1995, Sono construit en effet à ce niveau une cruauté grandissante. La vision proposée d’une amitié pure entre le groupe de filles se délite tout au long de la série jusqu’à atteindre le paroxysme grinçant des aveux de Mitsuko. Les passages rajoutés de la pièce de théâtre, quant à eux, ajoutent à cette cruauté en anticipant ou accompagnant de façon poétique et prophétique les événements sordides à venir. Taeko, déjà seule « vraie » victime du film The Forest of Love bénéficie d’un approfondissement bienvenu de son personnage, surtout lorsqu’il s’agit de la bascule des rôles entre elle et Mitsuko. Sono ajoute de nombreuses scènes où l’on peut déceler son point de vue et ses émotions sur la situation, notamment lorsque le groupe de tournage est formé et que les rouages des tragédies se mettent en marche. Il fait gagner en ampleur la dichotomie de trajectoire des deux personnages féminins principaux. Sono décide également de changer la dernière scène d’apparition de Taeko en lui offrant un moment d’amour avec Eiko, absent du film original où le personnage se voyait affronter une fin bien plus prosaïque. Ce moment de poésie contribue à accentuer les enjeux divergents des personnages de Taeko et Mitsuko. La dernière apparition que voit Taeko est Eiko, soit l’amour de sa vie, et celle que voit Mitsuko est Taeko, sa rivale dans ce triangle amoureux. Sono suggère alors les deux faces de l’obsession amoureuse qu’a suscité Eiko, tout en les menant à une finalité semblable, tragique, de la main du même homme.

On aurait pu penser à ce niveau que la représentation sérielle de The Forest of Love: Deep Cut rendrait l’histoire du film davantage limpide et ordonnée. Or nous retrouvons le meilleur des deux mondes puisqu’en proposant une œuvre plus riche et fournie en détails que dans la première version, les éléments ajoutés viennent également accentuer le chaos ambiant. Sono ajoute des détours tantôt touchants et poétiques tantôt sadiques et grotesques, ce qui, dans cet équilibre où l’un nourrit l’autre et vice-versa, accentue l’insoutenable crescendo dans le nihilisme et son effet sur le spectateur. A cet égard, l’aspect purement formel du découpage engendre lui aussi un impact décuplé puisque le basculement d’ambiance est de plus en plus prégnant à chaque nouvel épisode. L’humour et la nostalgie s’effacent progressivement pour laisser place à la cruauté des interactions et relations ainsi qu’au vide existentiel que ressentent Mitsuko et Taeko, jusqu’à à l’horreur pure. The Forest of Love: Deep Cut réussit donc à complimenter le film d’origine tout en rendant les deux versions indispensables. Les amateurs du film trouveront leur compte dans cette nouvelle version des aventures tragiques de Taeko, Mitsuko, Shin et Murata ainsi que de quoi patienter en attendant la nouvelle œuvre du désormais culte réalisateur contre-culturel japonais.

Elie Gardel

The Forest of Love: Deep Cut de Sono Sion. Japon. 2020. Disponible sur Netflix le 30/04/2020