FESTIVAL KINOTAYO 2021 – Sayonara TV de Hijikata Koji

Posté le 24 décembre 2021 par

Projeté au Festival Kinotayo 2021, Sayonara TV est un passionnant et roublard documentaire qui nous plonge en immersion dans le quotidien d’une chaîne de télévision japonaise.

Sayonara TV est le troisième long-métrage du documentariste Hijikata Koji. Il pose cette fois ses caméras sur son propre lieu de travail, la chaîne Tokai Television qu’il a rejoint en 1998. Durant cette période, il a respectivement occupé les postes d’assistant-réalisateur, directeur des programmes d’information et de divertissement au département de production puis a rejoint le département des informations en 2009. Fort de cette expérience dans divers pans constituant l’activité d’une chaîne télévisée, Sayonara TV va donc observer en coulisses son fonctionnement, ses enjeux et les personnalités qui y officient. Le fait que Hijikata filme son environnement de travail et ses collègues ne représente dans un premier temps pas forcément un atout, bien au contraire. Le réalisateur a la franchise de montrer la réticence de la rédaction à être filmée et laisse voir la révision de son dispositif filmique initial (micro sous les bureaux pour épier les conversations notamment) pour désormais faire preuve de davantage de discrétion.

Pour l’essentiel, le film donne plus à réfléchir sur le fonctionnement d’entreprise à la japonaise que sur celui, plus spécifique, d’un grand média. Hijikata va ainsi progressivement mettre en avant trois « personnages » pour affirmer son propos, et chacun va représenter (en s’y confrontant ou en les signifiant) les maux qui causent le dysfonctionnement de la chaîne et des médias japonais au sens large – nous apprendrons que les audiences de Tokai son en chute libre depuis trois ans et qu’elle subit un bashing sur les réseaux sociaux. La hantise du faux-pas et la culture de la contrition à la japonaise s’incarne à travers le présentateur de journal, Fukushima, coquille vide dénuée de toute spontanéité à l’antenne depuis qu’une erreur de graphique l’a obligé à présenter des excuses en direct. La lumière des spotlights attire le reporter stagiaire Watanabe en tant que spectateur (quelques séquences clichées le montrant fan de spectacle d’Idol) et acteur lorsqu’il se met en scène dans ses reportages où il recherche la fantaisie et le sensationnel. Enfin, l’abnégation et l’insoumission du journaliste destiné à dénoncer les abus du gouvernement s’illustrent grâce à l’indomptable vétéran Sawamura.

Le réalisateur les accompagne dans leurs activités, intimité et les interroge individuellement. La proximité qu’il a avec eux l’autorise à être direct dans ses questions et d’en tirer une vérité sur chacun, qu’elle soit verbalisée ou non. Fukushima y admet sa terreur de se montrer naturel à l’antenne, Watanabe trahit sa quête de notoriété par son manque de déontologie que ne pardonne pas ses airs niais, et enfin Sawamura dénote en vrai homme en colère prêt à risquer sa place pour révéler une injustice. C’est assez captivant même si, progressivement, Hijikata semble céder à un certain storytelling plus calculé en montrant chacun des protagonistes évoluer de façon un peu trop idéale et fictionnalisée. Fukushima surmonte ainsi ses inhibitions en perdant son poste et initie un reportage sur un sujet qui lui tient à cœur, ou encore Sawamura qui obtient gain de cause dans le scandale judiciaire qu’il souhaitait révéler. De plus, tout cela est entrecoupé de saynètes discutables comme lorsque Watanabe ira emprunter de l’argent à un collègue.

Cette direction manipulatrice est assez décevante jusqu’à une fin aussi surprenante que magistrale. Hijikata (qui se met en scène à l’écran tout au long du documentaire) demande à chacun de ses « héros » un dernier mot en guise de conclusion. C’est là que le vindicatif Sawamura, de manière calme et cinglante, va énumérer à Hijikata tous les procédés évoqués plus haut et lui demander s’il considère cela comme du journalisme, si cela était l’objectif de son documentaire. Le film prend alors une dimension supplémentaire en s’affirmant à la fois comme immersion et mise en abyme de la manipulation, et course à l’audience des médias. Le réel en devient une fiction où s’injecte le romanesque, le sensationnel factice. Le générique de fin passe en revue diverses séquences ambiguës ou leur préparation, donnant tout son sens au titre Sayonara TV. C’est bien au fantasme d’un média intègre qui informe, éduque et divertit qu’il faut dire adieu.

Justin Kwedi

Sayonara TV de Hijikata Koji. Japon. 2020. Projeté au Festival Kinotayo 2021.

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