FFCP 2019 – ENTRETIEN AVEC HAN KA-RAM POUR OUR BODY

Posté le 18 décembre 2019 par

Repéré au Festival de Busan où le film fut présenté en 2018 et au cours duquel son actrice principale, la touchante Choi Hee-seo fut récompensée, Our Body est un premier long métrage qui a fait son petit effet l’automne dernier au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Un film personnel au cours duquel la jeune cinéaste Han Ka-ram partage au travers de son expérience les travers d’une société coréenne étouffante et traite de l’émaciation de son héroïne grâce au sport. Un magnifique portait de femme qui sous ses atours de drame social s’avère galvanisant dans cette réappropriation du personnage de sa féminité.

 

Pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous en êtes venue à faire du cinéma ?

Our Body est mon premier long métrage de cinéma, je n’avais pas fait d’études d’audiovisuel à l’université, je m’étais plutôt orientée vers la sociologie. J’ai d’abord travaillé pour des chaînes de télévision coréennes et je me m’étais lancée dans l’écriture de scénario comme passe-temps et c’est ainsi que j’ai eu envie de me lancer dans le cinéma. Du coup je suis rentrée de nouveau à l’université de la KAFA, et cela fait trois années que je fais cela.

Comment est né votre projet ?

A la KAFA, j’ai d’abord suivi une formation d’une année sur la fabrication de courts métrages, et c’est au cours de ce cursus que j’ai appris l’existence d’une autre formation, portant elle sur les longs. Au départ, je ne pensais que le thème de mon film Our Body correspondait au format long et plus encore à un film commercial. Je me suis dit qu’au sein de cette école j’aurai la possibilité de réfléchir au développement de mon projet avec une équipe d’enseignants. J’ai donc postulé et j’ai été acceptée. J’ai par la suite reçu des subventions pour le film et pu ainsi le réaliser.

Le film peut être perçu à la fois comme un chronique intime et une étude sociologique sur le monde du travail dans la société coréenne contemporaine. Était-ce votre ligne directrice dés le départ ?

Effectivement, il s’agit d’un film en partie basé sur mon vécu et de mes propres expériences. En Corée, l’âge est à mon avis un facteur tellement déterminant. A peine a-t-on dépassé les trente ans, on est déjà dépassé alors qu’une décennie plus tôt on est dans la jeunesse. Il est difficile par exemple de postuler pour un premier job les trente ans passés. La société coréenne étant basée sur la hiérarchie, j’ai vécu cette période comme un fardeau.

Vous présentez vos deux personnages principaux dans l’effort, la première dans l’effort amoureux et l’autre dans son exercice sportif quotidien. Le sport est-il selon vous une façon de s’armer pour mieux vivre en société ?

La société coréenne encourage à faire de plus en plus d’efforts. C’est une société dans laquelle les classifications, faire partie des premiers, sont extrêmement importantes. On doit se présenter en donnant notre profession, quel est notre salaire annuel, on met un point d’orgue sur les chiffres pour prouver que nous avons une bonne situation et que l’on gagne de l’argent. Sinon on vous met à l’écart, on vous regarde de travers. Et je trouve qu’une société qui met une telle pression est très pesante.

On peut interpréter dans votre film que le sport est vecteur d’une quête identitaire. L’avez-vous conçu ainsi ?

En effet, le sport dans le film est la course à pied, j’ai commencé à le pratiquer à la fin de ma vingtaine alors que je traversais une longue période de chômage. Je passais mes journées à ne rien faire, j’étais complètement dépressive, je ne sortais pas. En revanche, la nuit, quand je mettais à courir, j’avais l’impression d’avoir atteint un but. La course provoque dans son effort une sensation de fatigue et de peine, et pourtant cela me provoquait une forme de jouissance et de bien-être. Je me sentais exister. Je me disais qu’en progressant dans ma course je parviendrai à faire autre chose dans ma vie. Et malgré tous ces efforts la réalité ne change pas. C’est ce que je souhaitais exprimer au travers de mon film.

Comment avez-vous dès le départ créé cette dynamique entre les deux personnages principaux féminins ?

Au départ j’ai créé le personnage de Hyun-joo qui dit que le sport ne fait pas tout et n’apporte pas de solution miracle. Elle apparaît pourtant comme une forme d’utopie à Ja-young. Cette dernière découvre le sport sans la moindre expérience sportive. Elle la voit comme un guide, comme si elle intégrait une nouvelle religion. Les gens qui pratiquent régulièrement le sport ont tendance à vouloir endoctriner leur entourage dans cette discipline. Ja-young va découvrir par elle-même que le sport n’est pas une solution miracle aux problèmes de sa vie quotidienne. Il était important pour moi de trouver un point commun à ces deux personnages. Elles vont toutes les deux affronter des échecs dans leurs vies. C’est pour cela entre autres qu’elles parviennent à se comprendre et à s’entre-aider. Ja-young va se retrouver à vivre la même expérience que Hyun-joo.

Il y a notamment dans le sport cette idée que Ja-young se réapproprie son corps mais aussi le contrôle de sa sexualité et des fantasmes. Elle gagne en confiance et en sérénité…

En effet, le sport n’est peut-être pas une solution parfaite à toutes les situations, mais je pars plutôt du principe qu’il y a un avant et un après. Dans le film, Ja-young court comme si elle est une athlète professionnelle. Elle fait des entraînements très réguliers. Elle se rend compte que son corps change au fil des séances de courses. Je souhaitais bien montrer qu’elle faisait du sport non pas pour ressembler à quelqu’un d’autre mais plutôt pour retrouver sa propre personnalité et son identité.

Comment s’est déroulé la préparation physique des actrices pour leurs rôles ?

La transformation physique était pour moi un élément très important pour le film. Je me suis renseignée auprès d’un coach sportif professionnel combien de temps cela prenait pour obtenir le résultat escompté, et il m’a répondu que cela allait prend beaucoup de temps. Or le temps imparti pour le tournage n’était que d’un mois. C’est un film à petit budget. Du coup, il m’a conseillée de les préparer en amont au maximum de leur forme physique et de tourner les scènes où elles sont au top au départ et de faire le chemin inverse, de trouver des astuces comme des vêtements rembourrés pour faire croire qu’elle a plus de poids et de changer sa posture pour faire croire qu’elle n’est pas sportive.

Comment fut perçu votre film en Corée ?

En Corée j’ai eu aussi bien des réactions positives que négatives. J’ai eu beaucoup de réactions de femmes qui rentraient dans la trentaine et qui au cours des questions réponses organisées lors des séances me posaient des questions en larmes tellement elles étaient émues. Cela m’a beaucoup touchée. Et d’autre part, j’avais la réaction des hommes coréens qui se sont eux focalisés sur le désir féminin et semblaient découvrir que les femmes avaient des désirs sexuels. C’était assez incroyable. Et du côté des pratiquants sportifs le film fut bien perçu. Et concernant le côté négatif, je pense qu’il y a en Corée des gens qui ont des idées très conservatrices sur le sexe. Le film les a mis assez mal à l’aise. Voir le personnage de Ja-young coucher indifféremment avec son ex ou un autre homme sans éprouver de sentiment amoureux les a choqués.

Quels sont vos projets ?

Quand j’ai tourné ce film Our Body, l’écriture et sa conception remontent déjà à plus de deux ans. Avec le recul, j’ai pu à l’occasion du festival redécouvrir mon film, et en le revoyant, je me dis qu’aujourd’hui je pourrai faire mieux que cela. Cela me donne envie de retravailler sur le corps humain. Je continue de pratiquer du sport, je fais toujours de la course à pieds et je commence à prendre des cours de natation. Du coup je me dis pourquoi ne pas faire un film sur le sujet. Seulement me lancer dans la création d’un projet qui n’intéresse pas les grandes entreprises qui financent le cinéma parce que cela ne rentre pas dans les critères des films commerciaux, cela veut dire que je vais de nouveaux me retrouver dans des difficultés financières. J’hésite encore.

 

Vous parlez de la difficulté des femmes de trouver un premier emploi passée trente ans. Qu’en est-il de la place des femmes dans l’industrie du cinéma ?

Je pense qu’à présent il y plus de femmes réalisatrices, et je suis très contente de ce nouveau mouvement. Cela n’empêche pas l’émergence de nouveaux clichés où l’on va dire que les femmes sont plus douées pour faire tels ou tels types de films, mais pour tel autre genre elles sont nulles donc il ne faut pas leur laisser le choix. Je trouve cela dommage. Et je pense que le jour où l’on abolira ces stéréotypes et que les femmes pourront se diversifier dans le cinéma, on pourra dire alors que l’on a un bel avenir dans cette industrie.

Quel est votre moment de cinéma ?

Ce n’est pas un moment en particulier mais plutôt un film qui m’a donné envie de faire du cinéma. Je ne pourrai même pas décrire pourquoi il m’a donnée de telles sensations. J’étais alors en sixième, à un âge où je ne comprenais pas grand-chose de la vie. Il s’agit du film de Lee Chang-dong, Peppermint Candy. A l’époque j’étais trop jeune pour comprendre tous les problèmes liés à la société coréenne. J’ai été marquée entre autre par la découverte d’une réelle diversité dans le cinéma, et que j’avais la possibilité de faire des choses différentes, c’est ainsi qu’est née mon envie de faire du cinéma.

Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 03/11/2019.

Traduction : Kim Ah-ram

Remerciements : Marion Delmas ainsi que toute l’équipe du FFCP.

Our Body de An Ka-ram. Corée. 2019. Projeté lors de la 14e édition du Festival du Film Coréen à Paris.

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