FFCP 2019 – SWING KIDS de KANG HYEONG-CHEOL

Posté le 7 décembre 2019 par

Présenté dans la section Evénements de la 14ème édition du Festival du Film Coréen (FFCP), Swing Kids s’est imposé comme un des grands moments d’une riche programmation. Son réalisateur, Kang Hyeong-cheol confirme tout son talent avec cet ambitieux divertissement, entre comédie musicale et plaidoyer politique. Ou comment faire de la danse un geste de résistance.

Pendant la guerre de Corée, l’île de Geoje accueille l’un des plus grands camps de prisonniers du pays. Le sergent Jackson est l’un des gardes américains du camp, danseur de claquettes au civil, qui se voit missionner par le commandant de monter un spectacle pour Noël. Jackson organise des auditions et fait la connaissance de Ki-soo, jeune Nord-coréen naturellement doué, très populaire parmi les prisonniers, au caractère trempé franchement anti-américain…

Adaptation de la comédie musicale de Jang Woo-sung, Roh Ki-soo, Swing Kids se déroule lors de la de guerre de Corée et suit un Nord-coréen communiste téméraire, un soldat afro-américain, une Sud-coréenne débrouillarde, un traître à la recherche de son épouse et un chinois asthmatique qui se rencontrent dans un camp de prisonniers et dépassent leurs différences grâce à la danse. On en convient, le synopsis ressemble un peu au début d’une blague de mauvais goût. Il est alors possible d’appréhender le film en craignant le pire tout en espérant le meilleur. Dès les premières minutes, il est clair que ce dernier l’emporte largement. Comme le jeune héros face à la découverte des claquettes, l’enthousiasme que provoque Swing Kids prend par surprise et il s’avère difficile d’y résister.

Avec Sunny en 2011, autre formidable surprise, Kang Hyeong-cheol avait déjà démontré sa capacité à emmener un récit aux enjeux, a priori, prévisibles dans des directions plus inattendues et subtiles. C’est avec plaisir qu’on retrouve une énergie similaire dans Swing Kids et ce, dès sa première partie d’une fluidité assez vertigineuse dans sa manière de poser les enjeux et les personnages. Remplie de gags visuels à la Charlie Chaplin ou à la Buster Keaton (un petit garçon trop curieux qui ne cesse de se faire pousser ou de tomber par exemple) et menée à un rythme effréné, elle engage immédiatement le spectateur tout en déployant une audace et une liberté formelle assez jouissives. La seconde partie est plus posée et prend le temps de développer les liens qui se tissent entre les membres de la troupe, la confrontation des idées et préjugés de chacun et comment les claquettes amènent à une unité de corps et d’esprit. Plus traditionnelle dans sa narration, elle bénéficie d’un montage dynamique qui monte habilement en puissance au fur et à mesure des répétitions et des entraînements. Se distinguant jusqu’ici par son incroyable vitalité, la troisième partie effectue un virage radical vers le drame. En reprenant les codes de l’opéra et de la comédie musicale dans sa tradition la plus stricte, le cinéaste assume une mise en scène de la fatalité en forme de ballet tragique qui prend de court autant qu’elle prend aux tripes. A première vue, cette descente brutale vers la réalité pourra sembler se faire au détriment de l’euphorisante vivacité du début du film. Voire l’entraîner vers une forme de manipulation émotionnelle rebutante. Ce serait néanmoins grandement réduire le travail de Kang Hyeong-cheol qui, d’une manière peut rappeler Roberto Benigni dans La Vie est Belle, et ne perd jamais de vue les circonstances auxquelles sont confrontés les personnages, en en faisant le moteur d’une tragédie inacceptable mais inévitable.

Swing Kids oscille constamment entre rêve et réalité, faisant écho à ses personnages qui se découvrent d’autres aspirations que celle de la simple survie. La mise en scène navigue astucieusement entre séquences flamboyantes ou délicieusement grotesques (comme ce dialogue dansé sous-titré ou l’hilarante chorégraphie d’un aspirant danseur à bout de souffle) et scènes plus calmes et intimes, tout en disséminant des moments de cruauté ordinaire qui sont des rappels abrupts à un contexte destructeur. Le cinéaste tire également pleinement parti de l’environnement de son film, faisant du camps de prisonniers, une sorte de plateau de théâtre tournant où il est attendu que chacun joue sa partition sans chercher à en comprendre le sens ou les implications. Au fur et à mesure que les personnages progressent vers une pensée propre, la mécanique se dérègle. Les privation de liberté deviennent plus évidentes, les sévices et tensions plus visibles et on glisse vers une réalité déformée et grossière (les généraux, d’un côté comme de l’autre, sont un opportuniste ignare ou un ancien acteur revanchard qui joue les idiots du village), entrechoquant les valeurs et les idéologies, et choisissant comme portes-parole des pantins d’opérette (un fanatique cul-de-jatte et défiguré, un enfant coincé dans le corps d’un colosse). Cette mise en abyme entre la guerre et le spectacle est l’une des très bonnes idées du film qui permet au réalisateur d’assumer tous ses partis-pris stylistiques et de donner une ampleur dramaturgique à son propos, sans jamais le caricaturer ou le tirer vers un sentimentalisme mièvre.

Les claquettes, combinant la technique et la performance, est un formidable catalyseur pour tous ces éléments. On peut émettre le (petit) regret qu’il n’y ait pas davantage de numéros dansés, néanmoins, les trois principaux, un par acte, sont assez puissants pour faire oublier toute réserve. Si l’ultime numéro, le bien nommé « Fuck Ideology« , interprété par toute la troupe est un vrai morceau de bravoure, digne des meilleurs films de Minelli ou de Fosse, le plus marquant reste tout de même celui sur Modern Love de David Bowie. Invoquant bien sûr Mauvais Sang de Léos Carax ou encore Billy Elliot de Stephen Daldry, la séquence est à la fois galvanisante et  bouleversante dans tout ce qu’elle exprime du désir de liberté entravée. Un bon résumé du film en somme, qui doit une grande partie de son succès à ses cinq formidables comédiens principaux, menés par Jared Grimes, impressionnant danseur venu de Broadway, et par le très charismatique D.O, idol qui se tourne de plus en plus vers la comédie. Espérons qu’il continue car il a la présence et le potentiel pour devenir un acteur incontournable du cinéma coréen.

Film grand public virtuose et revigorant, Swing Kids est une belle illustration du divertissement musical et populaire à son meilleur. Le réalisateur s’approprie complètement les références aux comédies musicales du vieil Hollywood et les combine avec une sensibilité profondément coréenne dans cette vibrante déclaration d’amour à l’art comme moyen de résistance contre l’obscurantisme et la pensée unique.

Claire Lalaut

Swing Kids de Kang Hyeong-cheol. Corée. 2018. Présenté au 14ème Festival du Film Coréen à Paris.