Président de la Korean Film Producers Association, Lee Eun est une des pierres angulaires de cette vague de talents qui a déferlé sur la scène internationale à la fin des années 90. Nous l’avions rencontré à l’occasion de la Paris Image Cinéma, lors d’un colloque consacré aux relations artistiques et économiques entres le cinéma coréen et la France.
Lee Eun est un producteur qui a un réel talent pour dénicher de jeunes réalisateurs prometteurs et les révéler au grand public. Son palmarès est impressionnant. Il a non seulement produit les premiers films de Kim Jee-woon et Bong Joon-ho, mais on lui doit aussi les premiers succès de Park Chan-wook avec JSA et les deux meilleurs films d’Im Sang-soo, sans compter le dernier film du maître Im Kwon-taek.
Comment avez-vous démarré dans le métier ?
J’ai commencé à produire des films indépendants alors que j’étais à l’université. Juste après les études, j’ai rencontré Shim Jae-myung, elle produisait des films commerciaux. Nous avons monté notre société de production Myung Films et c’est ainsi que cela a commencé.
Vous vous êtes engagé très tôt dans le cinéma militant et politique. Comment est né cet engagement ? Comment perdure-t-il aujourd’hui dans vos productions ?
J’appartiens à cette génération des années 80 en Corée où les étudiants étaient très militants et très engagés sur les sujets démocratiques ou autres et cela a eu forcément une influence sur mes futures productions. Je pense notamment aux événements de Gwangju qui a marqué ma génération.
A la fin des années 90, il y a eu une rupture importante avec le système de production. Les grosses compagnies ont commencé à investir dans le cinéma. Une nouvelle génération de cinéastes a émergé, et les films se sont ouverts vers le marché étranger. Comment avez-vous vécu cette révolution dans l’industrie cinématographique coréenne ?
On a créé notre société de production en 1995, les films que nous avons produits ont eu du succès assez rapidement. C’était les débuts mais cela marchait bien pour nous. Nous avons collaboré avec des jeunes cinéastes tels que Kim Jee-woon, Park Chan-wook, Kim Ki-duk et Im Sang-soo.
Vous êtes une figure majeure de la Nouvelle vague coréenne. En 1997, vous avez contribué à la production de The Contact, film emblématique en Corée, qui a révélé l’actrice Jeon Do-yeon. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Effectivement, j’ai bien travaillé sur le film The Contact. Nous nous étions battus pour avoir le casting du premier rôle masculin qui était Han Suk-kyu (Shiri), il était à l’époque la plus grande star masculine. Nous avions beaucoup dépensé pour son cachet et nous n’avions pas assez pour engager une actrice de son niveau de célébrité. Avec mon associée Mme Shim, nous nous sommes demandés qui pourrait partager l’affiche avec lui, qui aurait suffisamment de talent, mais pas encore connu, c’est là qu’elle s’est souvenu avoir vu l’actrice Jeon Do-yeon à la télévision. Elle jouait très bien mais elle n’avait pas encore fait ses débuts au cinéma. Nous lui avons demandé de travailler avec nous et c’est ainsi que sa carrière a démarré.
Vous avez contribué à la découverte de nombreux talents. Vous avez produit les premiers films ou du moins ceux qui ont lancé les carrières de cinéastes majeures tels que Bong Joon-ho, Kim Jee-woon, Park Chan-wook, ou Kim Ki-duk. Comment faites-vous pour dénicher de tels artistes ?
A cette époque, nous étions de jeunes producteurs, nous étions insouciants et téméraires. Tant que l’on avait une bonne histoire, un bon scénario, on y allait. On n’avait pas peur de l’échec. On savait que cela allait donner de bons films et on a travaillé dur de notre côté. Et tous ces réalisateurs avaient leur propre histoire, c’est ça qui est important, cette singularité.
Jang Jin ironisait lors d’un entretien qu’il nous a donné en disant qu’à l’université, Kim Jee-woon n’était guère motivé par le travail. Aujourd’hui il fait partie des cinéastes coréens incontournables. Comment s’est déroulé la production de son premier long The Quiet Family ?
C’est très amusant ma rencontre avec Kim Jee-woon. Il était en effet à l’université avec Jang Jin, et il allait beaucoup en France. Il n’étudiait pas la langue, mais il avait une amie qui faisait des études de cinéma à Paris, elle est aujourd’hui réalisatrice et productrice, elle s’appelle Lee Mi-yeon. C’est par son intermédiaire que j’ai fait sa connaissance, elle m’a envoyé un projet de scénario que j’ai trouvé intéressant et j’ai aussitôt appelé un investisseur qui a de suite validé le projet, c’est ainsi qu’a démarré cette aventure et l’investisseur n’avait jamais entendu parler de Kim Jee-woon auparavant. Je me demande encore maintenant, comment Kim Jee-woon alors débutant, a pu écrire un scénario aussi bon.
Et du coup, comment était-il sur le plateau ?
Au départ c’était un peu difficile, il voulait travailler avec un chef opérateur qu’il connaissait. Nous avons commencé avec lui, mais cela n’avançait pas très bien. Kim étant novice je me suis permis de lui conseiller d’engager un nouveau directeur de la photographie plus expérimenté. Il a accepté et le tournage s’est déroulé sans problème.
Joint Security Area de Park Chan-wook est un thriller politique poignant. Qu’est-ce qui vous a séduit dans un tel projet ? A cette époque, croyiez-vous que la réunification des deux Corées était possible et comment a évolué votre avis sur le sujet ?
Contrairement à ce que pense le public, Joint Security Area n’est pas le premier long métrage de Park Chan-wook, il en avait réalisé deux auparavant. Il était donc un jeune auteur prometteur. Je lui ai demandé de me montrer les scénarios qu’il développait. Il m’en a soumis quatre. Il y en a un qui me plaisait beaucoup qui s’appelait The Anarchists, réalisé par Yu Yeon-sik. Le projet était déjà en développement avec une autre maison de production. Le producteur en question m’a dit qu’il avait mis le scénario de côté pour le développer plus tard. Je me suis résigné et je me suis tourné vers un projet déjà existant de JSA. Park Chan-wook était partant. Il a retravaillé le scénario existant.
A l’époque bien sûr que je croyais à une possible réunification des Corées et j’espérais qu’en produisant ce type de films le public se sente un peu plus concerné par le sujet. C’était un moment où le gouvernement de Kim Dae-jung était très impliqué pour améliorer les relations entre les deux Corées. Il était lui-même monté plusieurs fois au Nord pour tenter de réunifier. Malheureusement aujourd’hui ce n’est plus le cas. C’est un peu un retour en arrière. J’espère qu’un jour elles seront de nouveaux unies.
Vous avez par la suite produit L’Ile de Kim Ki-duk qui fut l’un des premiers films coréens à sortir en salles en France. Le film est teinté d’un érotisme trouble et de scènes choquantes. Comment s’est déroulé le développement du film ? Y a-t-il eu des problèmes de censure ?
Effectivement quand j’ai lu le projet de Kim Ki-duk, je me suis rendu compte que son style ne correspondait pas au mien, et pourtant il émanait de lui un tel potentiel, un peu une pierre brute qui avait besoin d’être polie. Je me suis dit qu’en retravaillant son projet on pourrait avoir un succès à l’étranger, et cela n’a pas loupé. A cette période-là, nous étions très libres, il n’y avait pas de censure de la part du gouvernement. Je produisais cette même année le film JSA qui était un film à gros budget, il avait coûté près de 25 millions, en revanche L’Ile était d’un budget très modeste. J’ai senti qu’il avait du potentiel et je n’ai pas hésité à le mettre en avant. La veille du premier jour de tournage, Kim Ki-duk est venu me voir et m’a annoncé qu’il souhaitait changer l’actrice principale, Bang Eun-jin (la réalisatrice de Perfect Number ; NDLR), elle jouait encore à l’époque. Il avait trouvé une autre jeune femme pour le rôle. C’était elle ou il abandonnait le projet. Je suis quelqu’un qui tient ses promesses. En temps normal, si je m’écoutais, j’aurais laissé tomber le projet, j’avais donné mon accord à l’actrice, mais j’ai finalement consenti à ce que l’on donne le rôle à Seo Jung et j’ai dû appeler l’autre actrice pour m’excuser.
En parlant de censure, vous avez collaboré à la production de The President’s Last Bang d’Im Sang-soo. J’imagine que dans le climat politique actuel, le film ne peut être diffusé. J’ai appris que certains films tels que The Host ne peuvent plus être diffusés en raison de leur aspect subversif et de la critique envers l’ancien président Park Chung-hee. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ? Devez-vous aujourd’hui vous auto-censurer ? Y a-t-il des sujets qui sont proscrits ?
Je pars du principe que dans le domaine artistique nous ne devrions pas à avoir peur de certains sujets, mais malheureusement avec le gouvernement actuel c’est assez délicat, nous devons faire attention. Je ne dis qu’il faut prendre ses précautions mais plutôt qu’il faut être très sûr de soi, savoir faire les bons choix. Il y a des choses que les autres évitent de faire, en revanche si je me dis que je dois le faire, je le ferais avec plus de subtilité.
Y-a des contraintes aujourd’hui avec le nouveau star-système des acteurs venant des dramas ou de la pop ?
C’est une réalité de la société coréenne, c’est la popularité des noms de jeunes acteurs qui prime. Même chez nous dans notre maison de production quand on recherche des talents, il ne suffit pas de bien jouer, il faut qu’il ait une certaine réputation, qu’il jouisse d’une notoriété, d’une image, c’est un ensemble. Je trouve que c’est un injuste pour les jeunes nouveaux acteurs qui veulent percer dans le milieu. Ils veulent percer, mais on ne leur laisse pas leur chance parce qu’ils ne sont pas connus. C’est une vraie problématique, j’en suis conscient, il faut essayer un moyen aux jeunes talent pour exercer leur métier.
Dans votre carrière vous avez produit des films de tous les genres. Comment voyez-vous l’évolution du marché, et les goûts du public tout au long de votre carrière ?
La place du cinéma en Corée est très importante, malheureusement cette industrialisation du cinéma devient de plus en plus forte. On voit ailleurs que le cinéma chinois est en pleine évolution et on prévoit que dans quelques années il va dépasser le cinéma hollywoodien. Les producteurs coréens veulent maintenant faire des co-productions avec la Chine pour suivre cette tendance internationale.
Comment les nouvelles technologies ont elles modifié la façon de travailler ?
La digitalisation a bien changé la donne. Autrefois en raison des coups de matériels et de production, la réalisation de films n’était pas à la portée du grand public. Aujourd’hui avec un smartphone et un ordinateur, on peut filmer, monter et diffuser un film. Le cinéma contemporain est représentatif d’un média démocratique et je trouve cela très bien.
Vous avez produit récemment Revivre d’Im Kwon-taek à qui la Cinémathèque française rend hommage en ce moment. Vous avez découvert de nombreux cinéastes. A présent vous produisez le dernier film du maître du cinéma moderne coréen. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Comment s’est déroulé votre collaboration ? Est-ce que son nom permet de monter plus facilement le projet ou les ventes à l’international ? Quel fut l’accueil du public local sur ce dernier avec ce sujet audacieux ? Et comptez-vous travailler de nouveau avec M. Im ?
Même avant de monter ma société de production, j’avais beaucoup de respect et d’admiration pour Im Kwon-taek. J’ai toujours été séduit par le côté humain de ses films. J’avais été très touché par son avant dernier film Hanji (2011), il avait eu de nombreuses difficultés à le faire produire. Et s’il souhaite en réaliser un nouveau, je l’aiderais. Il a souvent abordé des sujets similaires dans sa filmographie. J’ai souhaité qu’il change un peu. Nous sommes partis d’une nouvelle. Il n’était pas partant pour cette suggestion mais il a fini par accepter. Il savait que la maison de production n’était pas du genre à imposer sa vision et travaillait de manière très méthodique, il était très à l’aise, il nous à fait confiance et s’est consacré à la mise en scène du film. Il a toujours eu l’habitude de travailler avec sa propre équipe de tournage, il avait son directeur photo et son monteur attitré. Là c’était différent. Il a consenti à suivre les directives imposées par Myung Films et le tournage s’est bien passé. Même au cours du montage il nous a suggéré de donner notre avis, il était très ouvert d’esprit. J’ai fait 36 films dans ma carrière et pour ce film nous avons rajouté cette phrase dans le contrat : Travaillons ensemble et donnons le meilleur de nous-même. Au départ nous pensions être prêts pour le festival de Cannes, mais nous sommes finalement allés à Venise. Nous n’avions pas l’intention de bâtir le film sur la renommée internationale d’Im Kwon-taek. Je souhaitais plutôt lui rendre hommage, c’est un cinéaste que je respecte beaucoup, j’ai de l’estime pour lui et c’est ce qui m’a motivé à faire un film avec lui. Et le travail a été vraiment satisfaisant.
Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 04/02/2016.
Traduction : Ah-ram Kim.
Remerciements à l’équipe de Paris Images Cinéma