LE FILM DE LA SEMAINE : GRASS DE HONG SANG-SOO (EN SALLES LE 19/12/2018)

Posté le 18 décembre 2018 par

Grass est 22è long métrage du prolifique Hong Sang-soo, très en verve ces dernières années. Un film de Hong Sang-soo est devenu comme une nuit de Noël : on l’attend chaque année avec exaltation. On reçoit ce film comme un cadeau et on y retrouve la famille bien particulière du Coréen, sa fameuse comédie humaine, et ses anti-héros pleins de doutes, de tristesse et de panache. Noël arrive, Hong Sang-soo aussi.

Hong Sang-soo aime décidément la brièveté. 69 minutes pour La Caméra de Claire, 66 pour Grass. C’est amplement suffisant pour plonger dans cet univers que le réalisateur veut de plus en plus minimaliste, à base de huis clos. Un microcosme réunissant des êtres, principalement dans des cafés et des restaurants. Grass se déroule en majeure partie dans un café dans lequel Kim Min-hee (pour sa cinquième apparition en trois ans chez Hong Sang-soo), seule devant son ordinateur, se laisse écrire un roman en écoutant les conversations de ses voisins. Le spectateur assiste donc à une série de dialogues entre les consommateurs du café : un jeune couple dont on devine l’amour funeste qui a conduit au suicide d’une de leur amie, deux vieilles connaissances qui évoquent leurs tracas quotidiens (un dramaturge à la rue, sur le déclin, abandonné par sa famille), un acteur d’âge moyen hautain qui drague ostensiblement une jeune femme… Les conversations sont-elles réelles ou inventées, fantasmées par la romancière Kim Min-hee ? La fine frontière entre fiction et réalité est savamment entretenue, ce qui n’est pas nouveau chez Hong Sang-soo pour qui a vu plusieurs de ses films : les séquences de rêves dans Haewon et les hommes ou Seule sur la plage la nuit, le dispositif en miroir d’Un jour avec, un jour sans.

Les conversations alternent badinage et tragique, un tragique renforcé par une utilisation de la musique qu’on n’avait pas encore entendue chez Hong Sang-soo : le réalisateur, qui a pour habitude de ponctuer ses scènes avec des ritournelles de piano, passe allègrement du Wagner pendant les scènes de dialogues, quitte à en brouiller la compréhension (l’entendement pourrait-on écrire, en jouant sur les mots). Ce tragique de la première partie du film laisse peu à peu place à de l’espoir et, surtout, à de l’interaction entre les personnages. Kim Min-hee, la jeune romancière, prend peu à peu part aux discussions du café dans lequel les consommateurs sont plus liés les uns aux autres qu’on pouvait le penser de prime abord. L’alcool, qui délie les langues dans bien des films de Hong Sang-soo (avec parfois fracas !), apaise ici les personnages et permet de les réunir. Réunir les gens dans un café, c’est là tout l’intérêt social de l’alcool.

Au cœur de ce dispositif, un être est absent mais omniprésent : le patron du café, loué à plusieurs reprises par les protagonistes, avec malice (« C’est quelqu’un de très arrangeant, il est très gentil »), qu’on peut évidemment interpréter comme une personnification de Hong Sang-soo lui-même, remercié par ses acteurs pour les réunir film après film.

Outre l’utilisation de la musique pendant les scènes de dialogue, on note une nouveauté dans le dispositif de Hong Sang-soo. Si les zooms sont bien présents, on voit ici la caméra du coréen filmer les ombres des acteurs sur les murs, renforçant l’aspect surnaturel du café, peut-être imaginé entièrement par Kim Min-hee. Fantomatique vision qui renforce l’idée que ce café est un purgatoire pour ses protagonistes, tout comme le cinéma devient pour Hong Sang-soo son purgatoire personnel : c’est par sa relation amoureuse avec Kim Min-hee, rencontrée sur un tournage, que vient une partie de ses tracas personnels actuels. Du moins en Corée du Sud où certains des spectateurs ont littéralement pris en grippe ces Tristan et Yseult modernes (l’utilisation de la musique de Wagner ne serait pas si fortuite que ça !). On espère pour eux une issue moins tragique et beaucoup d’autres films, d’autres purgatoires, ce qui est sur la bonne voie car leur sixième film commun, Hotel by the River, a déjà été projeté en août dernier au Festival international de Toronto.

Marc L’Helgouac’h.

Grass de Hong Sang-soo. Corée. 2018. En salles le 19/12/2018.

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