Jang Joon-hwan était à Paris à l’occasion de la projection de son troisième long-métrage au Festival du Cinéma Coréen à Paris (FFCP), 1987: When The Day Comes, un film fleuve sur une période politique clef de l’histoire contemporaine de la Corée du Sud : l’assassinat de l’étudiant Park Jong-chul par la police anti-communiste, le 14 janvier 1987, alors que le pays est gouverné par la dictature militaire. Le meurtre de cet étudiant sera le point de départ d’un soulèvement des étudiants et d’une vague de manifestations organisées du 10 au 29 juin 1987, forçant le gouvernement à organiser des élections et à instituer des réformes démocratiques.
Le film, porté par une pléiades d’acteurs à succès (Kim Yoon-seok, Ha Jung-woo, Kim Tae-ri, Kang Dong-won, Park Hee-soon) retrace l’enquête des journalistes, l’organisation de réseaux démocrates (notamment l’Association des prêtres catholiques pour la justice) et la mobilisation des étudiants face aux exactions de la police anti-communiste. 1987: When The Day Comes a été l’un des grands succès de 2017, avec plus de 7 millions d’entrées en Corée du Sud.
À l’époque, vous aviez 17 ans. Comment avez-vous vécu ces événements ?
En effet, à l’époque j’avais 17 ans, j’étais en terminale et à Jeonju, la ville dans laquelle j’ai grandi, il y a eu énormément de manifestations qui ont mobilisé des étudiants. Ils avaient quelques années de plus que moi et je les voyais quand j’allais au lycée mais je ne savais pas du tout pourquoi ils manifestaient. On n’en parlait pas du tout. Au lycée, nos professeurs nous disaient de ne pas aller aux manifestations. Au plus profond de moi-même, je me demandais pourquoi tout cela se passait. À cette époque, une église de mon quartier a organisé une projection clandestine : il s’agissait du reportage vidéo du journaliste allemand Jürgen Hinzpeter durant le soulèvement de Gwangju de 1980, événement relaté dans la film A Taxi Driver de Jang Hoon. Je suis ressorti de la projection complètement abasourdi et choqué, terrorisé de comprendre que les adultes nous cachaient cela. C’était un sujet tabou. J’ai d’ailleurs incorporé la projection de cette vidéo clandestine par un club universitaire dans le film 1987: When The Day Comes.
Dans 1987, on voit que la presse et le système judiciaire étaient muselés par les autorités politiques. Était-ce aussi le cas pour l’industrie cinématographique ? Quels films voyiez-vous à l’époque ?
En 1987, le pays était dirigé par le gouvernement du Président Chun Doo-hwan qui prônait la politique du “3 S” : “sport, sex, screen”. Il existait encore un contrôle du gouvernement, même s’il était moindre que dans les années 70. On produisait énormément de comédies avec des femmes sexy, ce qu’on appelle le “film à hôtesses”. Il y avait aussi des films d’auteur, mais très peu. C’était une période assez morose pour le cinéma sud-coréen. Quand j’ai décidé de faire du cinéma dans les années 90, dans mon entourage, tout le monde était surpris et me le déconseillait.
À la fin des années 90, une nouvelle vague du cinéma coréen est arrivée. Comment avez-vous vécu cette émulation ?
Je ne fais pas partie des cinéastes comme Park Chan-wook, Ryoo Seung-wan ou Bong Joon-ho qui sont des cinéastes “cinéphiles” qui se sont demandé très jeunes pourquoi les Coréens ne faisaient pas de bons films. Ce sont eux qui ont fait exploser l’industrie du cinéma coréen à la fin des années 90. Quand j’étais jeune, je ne pensais pas du tout devenir réalisateur, j’ai étudié la littérature anglaise à l’université. C’est plus tard que j’ai décidé de faire du cinéma en entrant à l’Académie coréenne des arts du film (KAFA). Je connaissais bien sûr des réalisateurs comme Jang Sun-woo ou d’autres, et j’avais envie de faire quelque chose de plus expérimental, comme un défi.
Comment a évolué l’industrie sud-coréenne depuis votre premier film, Save the Green Planet!, en 2003 ?
Grâce à la nouvelle vague de la fin des années 90 et des années 2000, l’industrie a connu une ascension fulgurante et a développé un cinéma commercial. On a maintenant un vrai système de production bien huilé. Par rapport à ce que je voulais faire au début de ma carrière, j’avais beaucoup de conflits envers l’industrie de l’époque. J’étais partisan de faire des films plus expérimentaux, avec des histoires qui sortaient de l’ordinaire, d’où mon premier long-métrage Save the Green Planet! qui a connu un gros flop en Corée. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai mis dix ans à réaliser mon deuxième long-métrage, Hwayi: A Monster Boy. Pendant cette période, j’ai écrit des histoires que je voulais réaliser, j’ai réussi à trouver peu à peu un point d’équilibre entre ce je voulais et ce que l’industrie permettait de faire. Aujourd’hui, on constate qu’il y a deux cinémas coréens : d’un côté, les films d’auteur à petit budget, et de l’autre, les films commerciaux à très grand budget. C’est dommage d’arriver un tel écart. C’est une industrie complètement bancale, il n’y a pas de films à moyen budget. Les films à très grand budget racontent souvent des histoires banales déjà connues. Je me demande comment l’industrie va évoluer et dépasser ce clivage.
Nous demandons à chaque cinéaste que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Me vient à l’esprit Toto le Héros de Jaco van Dormael. Quand j’ai vu ce film, je me suis dit : c’est ça le cinéma. Ce film partage beaucoup de sentiments. Dans une des scènes, la mère de Toto cache sous son chapeau un steak alors qu’elle fait ses courses dans un supermarché. Quand elle arrive à la caisse, du sang perle sur son visage et on découvre qu’elle avait caché un steak sous son chapeau.
Propos recueillis par Marc L’Helgoualc’h à Paris le 02/11/2018.
Traduction : Ah-ram Kim.
Remerciement : Maxime Laurent, Marion Delmas, ainsi que toute l’équipe du FFCP.
1987: When The Day Comes de Jang Joon-hwan (2017). Projeté lors de la 13e édition du Festival du Cinéma Coréen à Paris.