VOD – Sukiyaki Western Django de Miike Takashi

Posté le 27 avril 2020 par

Sukiyaki Western Django est disponible en VOD, nous offrant l’occasion de nous repencher sur le projet le plus américain de Miike Takashi, le réalisateur d’Audition, Dead or Alive ou de Gozu.

Sorti en 2007, Sukiyaki Western Django est un remake du film Django de l’Italien Sergio Corbucci, remontant à 1966. Ce projet, supervisé par Quentin Tarantino, producteur exclusif du film, lui a d’ailleurs servi d’inspiration pour créer sa propre version du remake avec Django Unchained, en 2012.

Sukiyaki Western Django doit bien évidemment son existence au film de Corbucci mais pas uniquement, l’histoire de création du scénario adapté étant relativement tortueuse. La paternité du personnage de Django remonte au film Yojimbo de Kurosawa Akira, sorti en 1961, mettant en scène un samouraï fraîchement arrivé dans une petite ville et courtisé par deux chefs de clans ennemis, souhaitant chacun en faire leur garde du corps. Yojimbo avait lui-même servi d’inspiration et donné lieu à Pour une poignée de dollars du réalisateur phare de westerns spaghetti Sergio Leone. Ces deux films, respectivement japonais et américain, ont alors mené Corbucci à créer Django. Quant à ce Django originel, il a déblayé la voie à d’autres westerns spaghetti jusqu’à la fin des années 70 (dont certains reprennent même le nom du personnage comme Viva ! Django d’Edoardo Mulargia en 1971). La frénésie des westerns finit par décliner dans les années 80 et Django doit attendre le début des années 2000 avant de ressortir de l’ombre grâce à Miike et Tarantino. Nous retrouvons alors le fruit de nombreux échanges internationaux pour aboutir au film de Miike, qui tout en s’inspirant du film de Corbucci, revendique la volonté de rendre une adaptation très japonaise de Django en créant le terme de « western sukiyaki », version nippone du western spaghetti.

Miike Takashi, dans Sukiyaki Western Django, garde le principe de l’intrigue du Django originel de 1966, à quelques exceptions près. Nous suivons ainsi un étranger sans nom interprété par Ito Hideaki (que l’on peut voir dans quelques autres films de Miike comme Lesson of the Evil ainsi que dans Terra Formars) arrivant dans une petite ville japonaise au sein de laquelle deux clans samouraïs s’affrontent pour s’approprier un trésor caché de prospecteurs d’or. Nous retrouvons alors le sujet de cet homme inconnu qui crée un affrontement entre les deux clans en catalysant des tensions déjà présentes. Miike insère également des références au Django de 1966 comme la mitrailleuse cachée dans un cercueil ou l’intérêt amoureux du héros incarné par une prostituée maltraitée par les deux clans.

Toutefois, les similarités dans l’intrigue s’arrêtent ici. En effet, Corbucci proposait avec son Django une histoire très américanisée avec un affrontement entre membres du Ku Klux Klan et immigrés mexicains. Miike, lui, décide de baser ses deux gangs ennemis sur deux clans samouraïs rivaux, les Genji et les Heike, ayant tous deux réellement existé au Japon durant l’ère Heian, au Moyen-Âge. Dans Sukiyaki Western Django, Miike transpose l’objet du conflit d’une question raciale à une reconquête de pouvoir entre clans rivaux, dans la continuité d’une guerre séculaire. Miike crée également une sous-intrigue inédite autour de la prostituée qui se trouve dans le clan Genji et de sa famille. Il introduit notamment de nouveaux personnages, comme la mère de celle-ci, qui se révèle être une ancienne tueuse à gages forcée de reprendre du service au vu de la tension grandissant dans la ville. Quant au fils de la prostituée, unique villageois à appartenir simultanément aux deux clans, étant le fruit de l’amour de sa mère du clan Heike et son père du clan Genji, il est même présenté à la fin du film comme étant le futur Django du film de Corbucci.

Cette confusion entre remake et prequel est à l’image du film, tant Miike s’amuse à multiplier les anachronismes et les anomalies. L’introduction du film se passe en studio, rendu très évident par l’apparence picturale du décor ainsi que par les effusions de sang venant se projeter contre le mur du fond alors que la scène est tournée en extérieur. De même, lorsque nous rejoignons la petite ville où l’intrigue se déroule, les personnages, tous japonais si l’on exempte Quentin Tarantino, se parlent en anglais, à l’exception de rares fulgurances. Miike mélange également de multiples influences temporelles entre elles : l’intrigue du film tourne autour de la ruée vers l’or mais les samouraïs portent des vestes en jean et arborent des mèches colorées dans leurs cheveux ainsi que des piercings et le personnage incarné par Tarantino indique avoir appelé son fils Akira en référence au manga d’Otomo Katsuhiro. Miike mêle également l’histoire de la guerre des clans Genji et Heike à celle de la guerre des Roses ayant eu lieu en Angleterre au XVeme siècle. Le chef de clan Heike, passionné par Henry VI de Shakespeare traitant de ce conflit, demande même à ses sbires de l’appeler « Henry » tant il se reconnaît dans le destin du monarque anglais. Miike multiplie également les médias dans le film, la biographie de la tueuse à gage, mère de la prostituée, étant représentée en anime. Ces éléments pourraient constituer l’écueil du film de par leur profusion et leur dissonance mais Miike, habitué des histoires à tiroir et des références multiples aux cultures tant populaires que « nobles », réussit à garder le cap de l’intrigue en fournissant un bilan davantage rythmé que confus.

Dans la filmographie extrêmement prolifique du réalisateur, Sukiyaki Western Django peine à égaler certaines de ses œuvres plus abouties et recherchées sur le plan du scénario. Nous pouvons notamment regretter le fait que son histoire abandonne la représentation des tensions raciales présentes dans le Django de Corbucci. Miike, pourtant capable de présenter des œuvres en apparence absurdes dans lesquelles on peut trouver une profondeur et une réflexion certaine danse ici par moments sur le fil du rasoir et manque de finesse dans certaines parties du film. La scène de flashback racontant l’idylle de la prostituée avec son amant du clan ennemi et la mort de celui-ci aux mains des membres du clan Heike en témoigne. Nous ressentons devant ce passage une volonté de faire comprendre au spectateur le passé des personnages de façon efficace plutôt que subtile. Pourtant le film vaut le détour et a de quoi susciter la curiosité. Son parti pris initial d’adaptation de western par un réalisateur habitué à la représentation de milieux yakuza est parfaitement mené à complétion. De même, l’influence de Tarantino que l’on constate tout au long du film, se mêlant très facilement et intelligemment à la réalisation de Miike, en font une expérience de visionnage intéressante pour les amateurs des deux réalisateurs. On ressent notamment une inspiration du côté de Kill Bill, que ce soit dans la présentation de la tueuse à gages ainsi que dans son entraînement auprès de son maître incarné par Tarantino lui-même ou bien dans la scène de duel final, entre le chef du clan Genji et l’étranger, se déroulant sous la neige. Les deux réalisateurs friands de cinéma de genre et de structure filmique postmoderne se sont amusés à réaliser le film et partager leurs inspirations et cela se ressent dans le résultat. La collaboration a permis à Tarantino de trouver son nouveau projet et à l’épopée du personnage de Django de se poursuivre ainsi, 46 ans après sa création. Fin du voyage ou affaire à suivre ?

Elie Gardel.

Sukiyaki Western Django de Miike Takashi. Japon-Etats-Unis. 2007. Disponible sur les plateformes Orange, FilmoTV et Amazon Prime.

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