VIDEO – Typhoon de Pan Lei

Posté le 15 mars 2022 par

Durant les années 2010, le Taiwan Film Institute s’est lancé dans un long travail de restauration des classiques du cinéma taïwanais. Les filmographies de réalisateurs de l’ancienne génération, telles que celles de Chang Ying, Lee Hsing et Hsin Chi, ont été retravaillées en laboratoire. Parmi ces travaux autour des années 1960, on trouve l’étonnant Typhoon, réalisé par Pan Lei en 1962, disponible en Blu-ray et DVD chez Carlotta Films.

Un scientifique, qui étudie les rats en haute altitude, habite avec sa femme dans les montages d’Alishan. Son épouse s’ennuie passablement. Vivant mal sa vie à l’écart de tout et voyant son mari la délaisser pour son travail, elle se sent faner et frôle la dépression nerveuse. Un jour, un malfrat en fuite, accompagné d’une petite fille, frappe à la porte du couple et va bouleverser leur quotidien.

Bien qu’arborant une structure et une image somme toute classiques, Typhoon est pourtant difficile à classifier. Le film de Pan Lei est aux confins du film à suspense, du drame, et de l’étude du comportement humain, sans pour autant plonger directement dans les atours de l’un de ces trois registres. Son déroulé narratif peut d’ailleurs parfois paraître étrange : aux personnages du couple et de leurs deux invités viennent se greffer quelques autres protagonistes, notamment une aborigène, interprétée par la future star du réalisme sain Tang Bao-yun, qui ne fait ni plus ni moins qu’ouvrir l’œuvre à travers une séquence où elle gambade dans la forêt. Elle disparaît un long moment par la suite, avant qu’elle ne soit réintroduite dans l’intrigue de manière abrupte. D’une manière générale, le film semble avoir du mal à se mettre en route, puisqu’après la séquence de l’aborigène, deux longues phases d’exposition s’enchaînent, l’une présentant le couple et l’autre en deux sous-temps distincts, pour faire intervenir la petite fille puis le malfrat.

Le cœur de la narration démarre après ces trois phases. Le portrait de la cohabitation entre tous ces personnages se révèle de plus en plus subtil, les malentendus et les manipulations apportent leur lot de tension, un suspense en finesse qui finit par bénéficier de la longue phase d’introduction, car le profil psychologique des personnages est alors pleinement établi. La force de l’écriture des protagonistes s’en trouve décuplée. L’épouse, jouée par Hong Mu, qui se questionne sur son statut et ses désirs, est une figure étonnante pour un film du début des années 1960 venant d’un pays fortement confucéen et autoritaire. La psychologie du malfrat, interprété par Ching Tang, se révèle juste et toute en nuance. Il se montre débrouillard et réactif pour ce qui est de fuir vers une vie meilleure, loin de ceux qui le traquent, et derrière son apparente assurance, le masque se craquèle à maintes reprises pour montrer un être perdu sur tous les plans. Le mari, quant à lui, voit son regard d’observateur s’affiner au fur et à mesure de l’intrigue, instillant ainsi la possibilité de briser les tromperies, et donc, le calme apparent qui règne. La qualité de ce trio principal permet au scénario de briller par son rythme et ses péripéties, le tout dans une réalisation de qualité pour un film taïwanais du début des années 1960, avec un décor identifiable et bien exploré, ainsi que des acteurs aujourd’hui méconnus mais composant dans une nuance bienvenue. Le segment final ne se révèle pas particulièrement prévisible. À tout instant de ce quasi huis-clos, la situation semble pouvoir déraper, et la mise en scène est assez maline pour offrir aux spectateurs des possibilités narratives sans qu’il puisse réellement s’assurer de celle qui sera réellement choisie. D’après Wafa Ghermani, la censure qui régnait à l’époque a dû toutefois peser sur le choix de cette fin, car elle remet sur les rails ces personnages en perdition.

La qualité des acteurs et de la mise en scène, ainsi que l’intelligence du scénario, sont au rendez-vous. Par dessus tout cela, Typhoon évoque un Taïwan moderne dans lequel des habitants sont isolés, malheureux, veulent s’en aller loin, sans que la figure du patriarche ne le décèle même. La portée politique du film est là, même si elle est cryptée. Sorti en 1962, Typhoon, dont le questionnement sociétal est certain au vu du focus apporté sur une femme mûre insatisfaite et un bandit, est une curiosité étonnante à la vue de la forte censure qui s’exerçait à l’époque sur l’île de Formose.

Bonus

Présentation de Wafa Ghermani (26 min). Wafa Ghermani, spécialiste du cinéma taïwanais, présente dans le détail la vie du réalisateur Pan Lei, de tous les acteurs du films, y compris secondaires, et ce qu’ils représentaient dans l’industrie cinématographique de l’époque, et explique en quoi Typhoon est un film étonnant, une sorte d’anomalie en regard de la censure. Wafa Ghermani, en revenant sur la carrière de Pan Lei, apporte un éclairage sur son rôle dans le cinéma taïwanais, lui qui a été largement oublié puisqu’il s’est dirigé assez rapidement vers Hong Kong et la Shaw Brothers. Surtout, une explication est faite sur la place de Typhoon à la vue de son profil de film en mandarin, par opposition aux films en langue taïwanaise qui, pour des raisons historiques et commerciales, étaient tournés en des styles différents et pour lesquels la censure était plus dure. À ce titre, Typhoon est encore une fois un film étrange, car tourné en mandarin mais portant en lui une part du style et de la liberté de ton du cinéma en taïwanais. L’explication de Wafa Ghermani est claire et complète, et apporte un tour d’horizon de l’industrie du cinéma taïwanais à travers la lorgnette de la redécouverte du travail de Pan Lei.

Module de présentation du film de La Cinémathèque française par Wafa Ghermani (archive de 2019, 6 min). Cette courte vidéo a été produite par La Cinémathèque française pour présenter le film qui a été projeté dans le cadre de la rétrospective Cinéma de mauvais genre taïwanais. Elle condense l’explication précédente de Wafa Ghermani, mais a l’avantage de pointer plus directement les références de l’explication du film sur ses images.

Un module de comparaison des images du film avant et après la restauration.

Maxime Bauer.

Typhoon de Pan Lei. Taïwan. 1962. Disponible en Blu-Ray et DVD chez Carlotta Films le 15/03/2022.

Imprimer


Laissez un commentaire


*