RETROSPECTIVE SUZUKI SEIJUN EN 6 FILMS – La Marque du tueur (en salles le 28/03/2018)

Posté le 28 mars 2018 par

En partenariat avec Elephant Films, Splendor Films propose de redécouvrir sur grand écran 6 chefs-d’oeuvre de Suzuki Seijun en version restaurée : Detective Bureau 2-3La Jeunesse de la bêteLa Barrière de chairHistoire d’une prostituéeLe Vagabond de Tokyo et l’inclassable La Marque du tueur.

La Marque du tueur est le film de la rupture pour Suzuki Seijun, arrivé au bout de ses expérimentations narratives et formelles avec cette œuvre radical et qui signe sa dernière œuvre au sein de la Nikkatsu pour ce qui est la provocation de trop pour le studio. Suzuki s’était forgé une place particulière jusque-là en signant des commandes où la contrainte reposait sur des trames archétypales, tant dans le film de yakuza (Détective Bureau 2-3 (1963), La Jeunesse de la bête (1963), La Vie d’un tatoué (1965)) que le mélodrame féminin (La Barrière de chair (1964), Histoire d’une prostituée (1965)). A côté de cela, il disposait d’une liberté totale sur le plan formel et définissait ainsi progressivement un style partant des canons pop pour aller vers des audaces de plus en plus radicales tout en bénéficiant des moyens du studio. La Marque du tueur doit son existence à une pénurie passagère de projet au sein du studio qui permet à Suzuki de glisser son scénario original.

Le film semble fonctionner sur le même accord tacite que les précédents avec cette trame de polar classique se conjuguant au traitement formel singulier de Suzuki. La différence repose sur le scénario opaque et volontairement lâche dont les zones d’ombres permettent une déconstruction du genre. Cela se manifeste tout d’abord par le choix du noir et blanc aux antipodes des pétaradantes ambiances pop colorées habituelles et qui donne une atmosphère très différente. On pense naviguer en terrain connu durant les premières minutes où l’on suit Goro Hanada (Jo Shishido) tueur numéro 3 dans la hiérarchie d’une organisation criminelle. Jo Shishido arbore les attitudes viriles du personnage de dure à cuire façonné dans ses précédentes collaborations avec Suzuki. Ce sera dans l’action lors de différents « contrats » où son professionnalisme et sang-froid brillent, que ce soit pour convoyer un homme face à une horde d’assaillants, où abattre des cibles de façon aussi létale qu’inventive (dont un coup de feu à travers la tuyauterie d’un lavabo dont saura se souvenir Jim Jarmusch dans son Ghost Dog : La Voie du samouraï (1999)).  Même constat aussi dans la manifestation plus charnelle de cette virilité où son épouse Mami (Mariko Ogawa) se montre peu avare de ses charmes et du plaisir qu’il lui procure. Pourtant par la bizarrerie des situations, de sa mise en scène décalée et de ses personnages déphasés, Suzuki corrompt progressivement le propos. D’ordinaire Suzuki forgeait un univers flamboyant à la hauteur des exploits de ses personnages et à l’inverse jouera ici sur le retrait, l’abstraction. Le noir et blanc comme déjà dit dévitalise le panache habituel et contamine ainsi les protagonistes et l’intrigue. Le compagnon d’Hanada lors du contrat initial est un tueur déchu, apeuré et alcoolique qui ne sera d’aucune utilité – Suzuki hystérise les codes du film de sabre dans l’action pour le signifier – et qui annonce le futur du héros. Cette destinée tragique prend la forme d’un papillon qui le gêne dans le tir parfait qu’exige un périlleux contrat, et cet échec en fait la cible de l’organisation.

Ainsi menacé, Hanada voit tous les symboles de son pouvoir s’effondrer. Les costumes tirés à quatre épingles laissent place à une tenue plus débraillée (ou une mise à nu), l’attitude désinvolte s’estompe pour une fébrilité marquée et bien sûr l’interaction aux autres personnages n’est plus la même. La compagne cruche s’avère traitresse et la femme fatale Misako (Annu Mari) le domine de toute s beauté taciturne. Les balles visant Hanada atteignent désormais leur cible, l’impassibilité corporelle où les cadrages imposaient sa puissance sexuelle cède à un montage chaotique où il arrache avec désespoir les faveurs de Misako. L’environnement urbain bariolé des films précédents laissent place à une abstraction de béton dans les extérieurs, et à un onirisme tout aussi décharné pour les intérieurs avec cette pièce aux murs tapissés de papillons. Le film aurait néanmoins pu garder une certaine tension impliquante ainsi mais Suzuki tourne cette déconstruction vers le pastiche et la mise en abime. Les zones d’ombres du scénario se trouvent également dans le découpage du réalisateur où les transitions narratives et formelles semblent toujours sauter une étape, dissimuler une étape essentielle à la compréhension et cohérence de l’ensemble. On pense à cette fusillade sur les quais qui malmène la gestion de l’espace, l’omniscience du tueur numéro 1 et c’est finalement en prenant de la hauteur, en observant les évènements sur un écran que la détresse peut réellement se ressentir (Hanada assistant au calvaire filmé de Misako) comme pour faire comprendre au protagoniste leur statut de marionnettes. Le pastiche fonctionne dans les face à face grotesque entre Hanada et le numéro 1 et ses manifestations de supériorité, avant de prendre un tour plus pathétique et tragique en ridiculisant cette quête de puissance lors du duel final. Le résultat ne ressemble à rien d’autre et s’avère une des grandes réussites de Suzuki qui lui vaudra malheureusement une longue traversée du désert, les studios étant solidaires dans son rejet après son renvoi de la Nikkatsu – il ne reviendra à la mise en scène que 10 ns plus tard et rester cantonné au circuit indépendant.

Justin Kwedi.

Événement : Rétrospective Suzuki Seijun en 6 films. Plus d’informations ici.

La Marque du tueur. Japon. 1963. En salles le 28/03/2018.