Le saviez-vous ? Céline Tran (anciennement connue sous le pseudonyme de Katsuni) est une fan de cinéma asiatique, d’arts martiaux et de bandes dessinées. Son actualité 2017 est très riche puisqu’elle joue dans le film d’action cambodgien Jailbreak, publie le deuxième opus de la BD Heartbreaker et anime son blog Ma vie de ninja. Cet entretien est l’occasion de revenir sur cette actualité et de parler de cinéma asiatique, avec un focus sur le Japon et la Corée. Bonne lecture à tous !
On te voit souvent au Festival du Film Coréen à Paris. C’était encore le cas cette année. Quand t’est venu ce goût du cinéma sud-coréen ?
Oui, chaque année j’essaie d’être présente, ce festival fait partie de mes rendez-vous favoris à Paris avec le PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival). Je remercie Netflix car c’est grâce à cette plateforme que j’ai pu découvrir mes premiers films coréens ! Il y a quelques années, j’habitais à Los Angeles, je profitais donc de la version US qui propose un large choix de films internationaux, dont coréens. J’ai découvert les premières perles de cette manière et depuis je suis accro.
Quels sont été tes coups de cœur de l’édition du festival 2016 ?
J’ai bien aimé Tunnel de Kim Seong-hoon qui ne se prive pas de dénoncer l’hypocrisie des politiques mais aussi de tourner en dérision l’incompétence générale, une critique sociale qu’on retrouve souvent dans le cinéma coréen et que j’apprécie beaucoup. C’est un bon film pour le grand écran.
The Tiger de Park Hoon-jung est aussi à voir en salle, il offre des plans spectaculaires avec de belles ambiances qui peuvent rappeler The Revenant, je l’ai perçu comme un joli conte, épique et touchant.
J’ai énormément aimé le documentaire sur le cultissime Old Boy de Park Chan-wook. Il nous emmène dans les coulisses du film, de sa genèse, nous montrant les galères de tournage, les doutes, les contraintes de budget. Mais tout le monde se montre solidaire, tous unis derrière le grand chef d’orchestre Park Chan-wook. Leur détermination m’a vraiment bluffée. C’est une très belle leçon. On y trouve aussi des interviews de la maquilleuse, de la costumière, du chef opérateur. Chacun exprime une vision très personnelle du projet, de son ambiance et du personnage (incarné par Choi Min-sik qui par ailleurs est exemplaire dans son professionnalisme), et chacun se bat jusqu’au bout pour sa vision. C’est très inspirant. Old Boy n’est pas le film d’un seul homme mais la somme de talents qui ont su se coordonner pour produire une œuvre unique.
Asura, the City of Madness de Kim Sung-soo est mon vrai coup de cœur de ce festival. C’est un film d’action/policier haletant et efficace. Le personnage principal nous emmène littéralement dans sa folie, à en perdre le souffle. On y retrouve aussi plein de clichés jouissifs du cinéma asiatique : de l’humour décalé, une violence démesurée, aucune empathie. Le final est absolument tarantinesque.
Pour une question plus large, quelle a été ta première scène marquante de cinéma (en tant que spectatrice et en tant qu’actrice) ? Qu’est-ce qui t’a attirée dans le cinéma ?
Dans le cinéma en général, difficile de me souvenir de la toute première scène marquante et il y en a eu tant ! J’ai eu la chance de grandir avec des films cultes. Mais l’intégralité des Dents de la mer est probablement ce qui m’a le plus marquée/traumatisée ! La scène finale de Voyage au bout de l’enfer m’a aussi beaucoup marquée. Je l’ai vue gamine, je crois que pour la première fois j’ai ressenti le sentiment de deuil, j’étais profondément triste. Mais j’ai aussi envie de citer Gizmo qui sort de sa boîte [NDLR – dans Gremlins (1984) de Joe Dante]. Ça aussi c’est un grand moment de cinéma, il représente l’émerveillement de l’enfance. C’est le fait de ressentir et transmettre qui m’intéresse dans le cinéma, de raconter une histoire et de toucher le public, que ce soit à travers le rire ou la violence. C’est cela qui guide tous mes choix, quel que soit le domaine. J’aime partager et le cinéma est un merveilleux moyen de le faire.
Tu sembles particulièrement fan du cinéma asiatique : qu’y trouves-tu que tu ne trouves pas dans les autres cinémas ?
Oui, j’ai grandi avec les films de Bruce Lee, Jackie Chan, puis Jet Li et Donnie Yen. Je suis fan de films d’arts martiaux à la base.
Puis je me suis intéressée au cinéma japonais mais surtout coréen. Il se dégage une grande beauté du cinéma asiatique, une forme de poésie et bien souvent il y a un vrai mélange de genres. On peut tout aussi bien trouver de l’humour burlesque dans un drame, ou de la violence extrême dans une comédie – The Host est un parfait exemple. C’est très intense, parfois démesuré pour nous Occidentaux, mais il en ressort souvent une forme de délicatesse. J’aime beaucoup le cinéma coréen pour la critique sociale qui s’en dégage. Je me délecte de l’humour souvent associé à un côté impitoyable, ce côté excessif a tendance à m’amuser. Enfin, j’aime le fait qu’il n’y ait pas de justice. Contrairement au cinéma américain baigné de bons sentiments où le gentil et le brave doivent nécessairement mériter de vivre, il n’y a pas de rédemption dans le cinéma asiatique (de ce que j’ai pu voir en tout cas). Pas d’empathie, pas de happy end garantie, en tout cas on ne ressort jamais indemne. Ça touche là où ça fait mal, du coup rien n’est prévisible.
Quels sont les réalisateurs qui t’ont marquée pour te donner envie de faire du cinéma ?
Je dirais Tarantino pour sa créativité, sa démesure et son style, Park Chan-wook pour sa délicatesse, son érotisme et sa noirceur, Nicolas Winding Refn (pas pour ses derniers films) pour son sens de l’esthétisme, Ridley Scott qui avec Blade Runner m’a emmenée dans un univers que je n’ai jamais pu retrouver ailleurs. Mais il y en a d’autres ! Il y a de l’inspiration dans chaque bon film ! Même un film raté à vrai dire peut aussi donner envie. Je suis aussi très friande de nanars.
Le film Jailbreak (lire ici) est sorti au Cambodge en 2017 : tu y joues un rôle. Comment se sont passés la prise de contact et le tournage ?
J’ai rencontré les producteurs de Jailbreak (Kongchak Pictures) alors que j’étais à Hong Kong pour des rendez-vous sur le marché du film, le Filmart. Une connaissance commune, Mike Leeder, qui est une figure incontournable du bis du cinéma asiatique, nous a présentés. Le timing était parfait ! Ils étaient en préparation de tournage et j’avais mon petit bagage de comédienne d’action puisque je m’étais entraînée et j’avais réalisé des vidéos de démo. Nous nous sommes très vite entendus et ils m’ont écrit un personnage sur mesure. L’une des conditions bien sûr étant que j’aie au moins une scène de combat. Le tournage a été assez difficile. Il faisait très chaud et humide, et je me suis blessée en m’entraînant, ce qui a été problématique pour tourner la scène de combat. Mais tout le monde s’est serré les coudes pour que le projet aboutisse. Un film de ce type est une première au Cambodge, l’enjeu était important et nous avons relevé le défi. Si c’est un film de genre avec un budget modeste, il constitue un vrai pas dans l’industrie du cinéma khmer et il ravira les amateurs de baston !
Souhaites-tu faire carrière au Cambodge ou à Hong Kong ? Quels sont tes projets cinématographiques ? La France est-elle exclue de tes projets ?
Comme toujours je ne me limite pas. Le Cambodge était une bonne expérience mais je suis plus tournée vers Hong Kong qui offre plus d’opportunités. J’y ai des projets en développement mais pour l’instant rien que je puisse annoncer. Contrairement au X, c’est une industrie complexe où tout prend du temps ! La France n’est pas exclue mais j’y développe plus des projets autour du web et des médias. D’ailleurs, je viens de lancer ma chaîne YouTube Ma Vie de Ninja, consacrée au sport.
Tu as débuté par le cinéma X : l’arrêt du cinéma X est souvent fatal aux actrices/acteurs, qui arrêtent toute carrière cinématographique, pourtant tu as continué. Est-ce difficile de passer du X au classique ? Comment s’est passée cette transition ?
Mais non voyons, il n’est pas fatal. Il est vrai que la reconversion professionnelle et personnelle est délicate mais il y a une vie après le X ! Pas mal de mes ex-collègues sont épanouies, ont fondé une famille et mènent avec succès leur nouvelle carrière. Quand on a eu du courage et l’envie de travailler, tout est possible. Pour ma part je n’ai pas souhaité me retirer de la vie médiatique. J’ai délaissé Katsuni pour reprendre mon vrai nom, Céline Tran, et ça m’a fait un bien fou même si j’aimais beaucoup ce « déguisement « ! J’ai ensuite arrêté de véhiculer une image uniquement basée sur le « sexy » mais j’ai eu envie de continuer à m’exprimer, que ce soit à travers le cinéma, le sport ou l’écriture. L’étiquette X est forte c’est vrai, il y a beaucoup de préjugés, et plus encore en France. Je mentirais si je disais qu’on ne m’a pas refusée au dernier moment des contrats en réalisant soudain d’où je venais. La lettre X fait peur. Mais le fait que quelque chose soit difficile lui donne aussi de la saveur. Rien n’est facile dans le monde du travail, quel que soit le domaine. Pour ma part j’ai effectué un arrêt radical par rapport au « sexy » pour reprendre à zéro, puis j’ai pris le temps d’explorer. Il est essentiel d’évoluer sur le plan personnel pour avancer sereinement professionnellement. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai diversifié mes activités. Pour moi, bosser est une manière de m’épanouir.
Quelles sont les différences majeures de tournage avec le cinéma dit « classique » ? Quelles sont les plus grandes similitudes et différences ?
Les différences sur le tournage résident dans le type de performance. Dans le X, il nous est demandé avant tout de réaliser un acte sexuel afin d’exciter le spectateur, c’est la finalité. Un film dit traditionnel est forcément plus riche, le but est de transmettre un éventail d’émotions beaucoup plus large, il y a du sens, un discours, une narration. Le but est a priori de toucher le cœur et l’esprit. C’est ce qu’on fuit dans les films X, où on préfère la légèreté et la facilité – quoique beaucoup de blockbusters aujourd’hui ne visent que le spectaculaire et la performance. Pour moi il y a beaucoup de similitudes entre films d’horreur et films X. Les codes sont simples, le but est être efficace. En termes de conditions de tournage tout dépend de la prod et de l’équipe ! C’est « l’humain » qui fait la différence. Dans les deux cas je pense vraiment que c’est l’énergie qui compte et à quel point on est sincère dans ce qu’on fait. C’est ainsi que je conçois mon rôle d’actrice. Quoi que je dise ou fasse, le défi est de transmettre.
Tu viens de sortir ton blog « Ma vie de Ninja ». En quoi cela consiste-t-il ? Tu fais beaucoup d’arts martiaux ?
C’est un blog personnel qui réunit mes centres d’intérêt. J’y parle donc de cinéma, BD, sport, voyages, sexualité. J’y propose également un courrier des lecteurs où je propose de donner quelques conseils. J’ai dû faire un break d’un an à cause de ma blessure suite au tournage de Jailbreak mais oui, depuis environ 3 ans je suis très assidue. Je pratique le karaté, le taekwondo, un peu de silat et bien sûr du combat scénique.
Tu es également auteure de manga. Peux-tu nous en parler ?
J’ai co-écrit avec Run la BD Heartbreaker qui est le 6ème volet de la collection Doggybags (Ankama/Label 619). Ce n’est pas un manga mais une BD d’inspiration Grindhouse, très tarantinesque, une histoire sanglante de vampires où le personnage principal Celyna (le Heartbreaker) est inspiré de mes traits. Heartbreaker 2 vient de sortir en librairies, j’y suis aussi auteure. J’ai d’autres projets de BD en développement, c’est quelque chose que j’aime énormément. J’y associe deux passions, l’écriture et le cinéma qui est ma première source d’inspiration.
Nous demandons à chaque personne interviewée de nous raconter une scène de cinéma qui l’a marquée : as-tu une scène clef à nous raconter et nous dire quelle émotion elle a provoqué chez toi ?
Cette question est terrible, beaucoup trop difficile. Il y a tant de scènes qui m’ont marquée et que j’ai regardées en boucle. Mais je citerai une séquence de La Fureur du Dragon, celle dans la cour intérieure derrière les cuisines du restaurant. Tout le personnel s’y entraîne et met Bruce Lee au défi de montrer ses capacités de combattant. C’est là qu’il fait son fameux coup de pied latéral dont la puissance expulse le pauvre cobaye dans les airs. Une scène à la fois drôle et impressionnante. Pas d’effets spéciaux ici. En voyant cette scène toute petite j’ai su que je voulais apprendre un jour les arts martiaux. Indirectement elle m’a encouragée à faire un pas vers le cinéma. En tournant Jailbreak, j’ai effleuré ce rêve de gamine. J’espère le réaliser totalement.
Tu peux répondre à la question que je ne t’ai pas posée !
Le riz gluant au coco et à la mangue ! C’est ça mon dessert asiatique préféré !
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Jailbreak de Jimmy Henderson est toujours inédit en France.