EN SALLES – Moneyboys de C. B. Yi

Posté le 16 mars 2022 par

Découvert au Festival de Cannes 2021 dans la sélection Un Certain Regard, Moneyboys, premier long-métrage du réalisateur sino-autrichien C. B. Yi sort en salles aujourd’hui.

Moneyboys raconte, sur plusieurs années, l’histoire de Fei, un jeune villageois chinois parti à Taïwan gagner de l’argent pour sa famille précaire. Les seules options se présentant aux paysans chinois sur place étant l’usine ou la prostitution, Fei se lance dans la commercialisation de son corps. Nous assistons alors à une plongée dans le monde illégal du travail du sexe homosexuel dans une société conservatrice et les conséquences d’un tel mode de vie en marge sur les individus.

Les thématiques qui se détachent le plus clairement de Moneyboys sont l’isolation et l’exclusion. Celles-ci se joue à deux échelles qui s’alimentent l’une et l’autre. La prostitution étant illégale, la moindre passe peut conduire à une arrestation et les travailleurs sont livrés à eux-mêmes sans protection ou droits. Quant à l’homosexualité, bien que dépénalisée, elle mène à une ostracisation dans des cercles familiaux toujours assez conservateurs et traditionalistes. Cette double peine est très finement traitée par C. B. Yi qui s’attache à montrer les liens quasi-indivisibles qu’entretiennent ces deux éléments détonants vis-à-vis de la société chinoise et taïwanaise. La seule échappatoire à la prostitution homosexuelle, pour deux des personnages de Moneyboys, consiste à se ranger dans un mariage hétérosexuel de façade. C. B. Yi fait d’ailleurs jouer leur femme respective par la même actrice, Chloe Maayan, illustrant assez ironiquement et intelligemment l’aspect factice des relations mais aussi le côté objectifiant de ce type d’attentes, en ce qui concerne les femmes. Peu importe le bonheur et l’amour ou même l’identité de l’épouse, tant que famille il y a et que la famille en question s’inscrit dans un cadre patriarcal et hétéronormé. Les parents s’inquiètent davantage pour leurs enfants approchant la trentaine et n’étant toujours ni mariés ni géniteurs, qu’ils ne cherchent à savoir comment ceux-ci gagnent leur vie et subviennent à leurs besoins. C. B. Yi montre que, dans une perspective aussi compliquée que  celle d’assumer son homosexualité au grand jour, la prostitution devient de facto une des seules options, en Chine et à Taïwan, pour avoir des relations homosexuelles. Parmi la diversité des clients qui nous sont présentés (plus ou moins violents, plus ou moins riches, plus ou moins jeunes, etc.), l’un d’eux, un vieil homme, demande à être embrassé car il n’a « jamais embrassé un homme de sa vie ». De même, Long, ami d’enfance de Fei, ne commence à lui témoigner son affection amoureuse qu’après avoir entrepris de se prostituer, comme si jusque-là, la relation entre les deux ne pouvait être que platonique.

Cette unique possibilité d’épanouissement homosexuel dans la prostitution est alors bien évidemment destructrice. La violence, qu’elle soit symbolique ou physique, omniprésente dans la vie des prostitués, empoisonne les sentiments amoureux et les relations. Le premier amour de Fei, Xiaolai, veut le venger d’un client violent car personne d’autre que lui ne lui viendra en aide. Il finit alors estropié après s’être battu et envoyé en prison pendant quelques années pour avoir fait usage de force. Après une telle première expérience de l’amour et un endurcissement progressif à force de n’avoir que des relations tarifiées, clandestines et potentiellement abusives, Fei n’arrive même plus à envisager de partager sa vie avec quelqu’un. On retrouve une logique semblable à celle de Mysterious Skin de Gregg Araki qui traitait de l’impact des traumatismes sur les relations ultérieures, à travers l’angle des survivants de violences pédophiles, cette fois sous le prisme de la prostitution. Fei est profondément aimé par Long, son ami d’enfance mais il ne peut retourner cette affection tant il est persuadé qu’il est déjà trop tard pour construire une relation saine et qu’il ne pourra que le blesser. Froid, distant, isolé au sein même des cadres visuels du film, Fei demeure muré dans la frustration et la certitude qu’il n’y a plus d’issue possible pour s’épanouir.

Malgré ce constat amer, le film refuse de sombrer dans le pathos et C. B. Yi s’attache à montrer ses personnages comme des victimes, certes, mais surtout comme des personnes méritant qu’on leur porte de l’affection et de l’intérêt. Les scènes montrant le groupe d’amis des prostitués sont très touchantes et permettent de replacer les personnages dans des cadres hors de leur exploitation. Soit dit en passant, ladite exploitation n’est pas la porte ouverte à des scènes extrêmes et C. B. Yi reste très modéré dans la mise en scène de violences ainsi que de relations sexuelles, ce qui contribue à éviter un résultat voyeuriste et complaisant. De plus, il est bienvenu de varier les points de vue et notamment de montrer celui de Long, pour qui la découverte de sa sexualité s’avère être salvatrice et libératrice, même dans l’adversité. Malgré son propre lot de désillusions à affronter, il ne perd pas foi en l’amour et renvoie Fei à ce que lui-même était avant que la vie ne le blesse trop profondément. C. B. Yi montre ainsi que les personnages peuvent être sauvés et qu’ils méritent mieux que leur traitement, davantage qu’il ne dresse un tableau cynique et nihiliste de la condition des homosexuels et des prostitués en Chine et à Taïwan. La dernière scène du film en est la preuve, le réalisateur choisit de n’exprimer que de l’espoir en guise de conclusion.

Moneyboys est un visionnage assez percutant mais réalisé avec suffisamment de subtilité pour que le propos soit clair et efficace, sans débordement superflu. La beauté plastique du film mérite également d’être soulignée, les plans étant tout aussi travaillés que les thématiques du scénario. Il est d’autant plus impressionnant d’assister à un résultat aussi fin dans ce qui constitue un premier long-métrage et il éveille certainement la curiosité pour la suite de la filmographie de C. B. Yi à venir.

Elie Gardel.

Moneyboys de C. B. Yi. 2021. Taïwan-Autriche-Belgique-France. En salles le 16/03/2022.

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