Dire que l’on attendait le nouveau film de Kim Seong-hoon avec impatience tenait de l’euphémisme, tant son précédent long métrage Hard Day nous avait enthousiasmés. Il était donc naturel de retrouver Tunnel à la programmation de cette nouvelle édition du FFCP (Festival du Film Coréen à Paris) qui débutait avec ce film de catastrophe sa deuxième décennie de projections. Une édition qui s’est ouverte sous les meilleures augures, et qui a autant ravi les membres de la rédaction d’East Asia que le public du festival. Rencontre avec le réalisateur !
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Pourquoi avoir choisi le film de catastrophe pour votre nouveau film ?
Tunnel est un roman à la base. J’étais très intéressé par cette histoire qui raconte la survie d’un homme enseveli sous les décombres d’un tunnel qui s’est effondré, mais aussi le travail des équipes de sauvetage et ce qui se passe à l’extérieur, autour de ce drame. C’est ce qui m’a vraiment plu dans ce livre. Nous nous sommes rapidement rendu compte des contraintes techniques qu’engendrait une telle histoire, mais ce qui m’a motivé était la façon dont je pouvais adapter un tel matériel à l’écran, en mélangeant à la fois du suspense, de l’effroi et de l’émotion. C’est apparu un peu comme un défi personnel.
En réalisant votre film, aviez-vous en tête des exemples de films de catastrophe ? Quels étaient les impératifs du genre et les pièges à éviter ?
Oui forcément, on pense à tous ces films hollywoodiens à grand spectacle sur des catastrophes gigantesques. C’est divertissant, mais c’est très loin de ce que je fais. Je ne voulais pas me focaliser sur le désastre mais sur les conséquences.
On pensait trouver dans votre film une satire des institutions, un peu comme le classique de Billy Wilder, Le Gouffre aux chimères (The Big Carnival -1951), mais vous réalisez plutôt un film de catastrophe à hauteur d’homme. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?
Je m’intéressais surtout aux équipes de sauvetage et à ce qui se passe autour de cette catastrophe. Imaginez la situation : des moyens considérables sont mis en œuvre pour sauver un seul individu. Si vous changez l’équation et vous vous retrouvez avec un groupe de personnes enfouis sous les décombres, les institutions, les politiques ou les sauveteurs se conduiraient sûrement très différemment face à un tel drame. Malheureusement, dans ce film il n’y a qu’un survivant, et la question se pose sur la nécessité de déployer tous ces moyens pour le tirer d’affaire. C’est un cas de conscience passionnant à traiter. Je me suis concentré sur l’humain et ces groupes d’hommes et de femmes qui se tuent à la tâche et qui, à mesure que le temps passe dans la mission de sauvetage, perdent espoir et motivation. Je voulais éviter l’approche hollywoodienne, sa débauche de moyens et sa dramaturgie artificielle.
Était-ce une façon pour vous d’aborder la tragédie du ferry Sewol ?
Tunnel fut tourné quand eut lieu cette terrible tragédie. On ne peut nier une certaine influence de ces événements, et je pense que de manière consciente et inconsciente, ils ont trouvé un certain écho dans l’histoire de mon film qui traite de l’importance d’une vie humaine.
Vous rentrez directement dans le vif du sujet. Pourquoi avoir choisi une mise en place aussi rapide ? C’est peu commun dans ce genre de films.
Il est vrai que dans les films de catastrophe, on a tendance à s’attarder sur le développement des personnages qui vont se retrouver au cœur du sinistre avant le climax. Mon choix de montrer la catastrophe au bout des cinq premières minutes d’un film qui dure un peu plus de deux heures était intentionnel. Cela me permettait de me concentrer sur ce qui se passe après et des conséquences, de l’évolution des personnages autour de ce drame.
Pour quelle raison avoir décidé de si peu caractériser votre personnage principal ? Au final, on ne sait rien de lui.
C’était voulu, cela me permettait de créer une identification plus facile de la part du spectateur. C’est Monsieur Tout Le Monde ! C’est un homme ordinaire qui se retrouve dans une situation critique. Cela sous-entend qu’une telle chose peut nous arriver à vous comme à moi.
Dans votre scénario, vous jouez des ruptures de tons. La première partie est plus légère malgré la gravité de l’histoire et la deuxième s’enfonce dans un sentiment désespéré. Pourquoi ?
Effectivement, je voulais mettre l’accent sur ce contraste entre cet homme coincé dans le tunnel suite à ce terrible accident et l’équipe au-dessus qui tente de le sortir de là. Tant qu’il a l’espoir que l’on va venir le sauver, il y a dans le film ce ton parsemé de légèreté et d’humour. Tandis qu’à l’extérieur, la réalité est toute autre, ils perdent pied à mesure que le temps passe, le moral faiblit, l’atmosphère devient alors pesante et le ton plus grave.
En termes de mise en scène, quelles étaient vos directives pour rendre le sentiment de claustrophobie aussi prégnant ?
C’était simple pour moi. Afin de restituer le plus justement ce sentiment de claustrophobie à l’écran, il fallait reconstituer la scène de l’accident à l’identique sur le plateau. Nous avions donc cette voiture encastrée sous un monceau de gravats. En raison du manque de place pour installer des caméras, nous avons mis quatre mini caméras dans la voiture, et l’acteur Ha Jung-woo était comme son personnage coincé à l’étroit dans la caraque du véhicule, et il pouvait jouer librement sans équipe technique autour de lui pour le filmer. Il n’y avait aucune source lumineuse additionnelle, les scènes étaient éclairées aux moyens des lampes, les voyants de la voiture et la torche électrique du personnage principal. Nous aurions très bien pu en studio avoir des parties amovibles qui nous auraient permis de faire des plans larges et de montrer clairement la situation. Mais j’ai opté pour une approche plus immersive avec des scènes filmées en gros plans.
Le film repose en partie sur les talents de vos trois acteurs principaux. Qu’est ce qui a motivé ces choix ?
Pour le personnage principal Jung-soo, qui se retrouve dans une situation très grave, j’ai voulu par contraste prendre pour acteur quelqu’un qui dégage une énergie très positive, une forme de fraîcheur juvénile. Ha Jung-woo est une personne optimiste, très drôle, c’est un petit blagueur ! Il a cette capacité de jeu très minimaliste. Et je pense que dans un contexte de claustrophobie, c’était l’approche idéale.
Concernant Se-hyun, le personnage de l’épouse revient à Bae Doona. C’est peut-être un rôle pour lequel on doit ressentir encore plus de peine que pour la personne prisonnière des décombres. Je ne voulais pas que cette femme dévoile ouvertement ses sentiments et sa détresse. Je ne voulais pas la montrer en train de pleurer à longueur de journée et se lamenter sur son propre sort. Je souhaitais qu’elle ait une certaine retenue dans ses émotions et qu’elle laisse transparaître malgré elle sa tristesse. Un tel rôle correspondait parfaitement aux talents de Bae Doona. Elle ne joue pas, elle n’essaie pas de montrer des émotions, quand elle interprète un personnage, elle l’incarne. Elle ressent ses sentiments. C’est une qualité assez extraordinaire. Je pense avoir eu une chance inouïe d’avoir pu travailler avec des acteurs aussi talentueux.
Était-ce intentionnel cette volonté de pudeur des sentiments ? Particulièrement pour un film coréen quand on sait à quel point le drame est un genre très populaire. Même la fille du personnage principal apparaît peu. Or dans ce genre de films, les petites filles sont souvent utilisées pour de grandes scènes de chantage affectif.
En effet je ne voulais pas jouer de l’exagération des sentiments, et surtout pas avancer avant les spectateurs. Je voulais qu’ils ressentent les choses par eux-mêmes, et non pas les forcer. Concernant le couple interprété par Ha Jung-woo et Bae Doona, ils sont déjà dans une situation très difficile, voire critique, qui leur fait ressentir de la peine et de la douleur. Je ne voulais pas grossir le trait de manière artificielle pour manipuler les spectateurs. C’était, il me semble, la bonne méthode à adopter.
Pour quelles raisons avez-vous mis en scène la presse TV traditionnelle mais sans évoquer du tout l’utilisation des réseaux sociaux par les Coréens ? On n’évoque que très peu les citoyens dans ce film. On reste dans un microcosme famille/sauveteurs/médias/politique. Pourquoi ?
Je voulais monter le spectre des médias coréens. Les réseaux sociaux ont en effet une grande importance, mais dans ce que je souhaitais raconter, ce n’était pas primordial. Je pense que l’on pouvait se concentrer sur les médias classiques de la presse et de la télévision. J’avais filmé des scènes sur la réaction du peuple face à cette catastrophe, mais je les ai supprimées au montage. Et puis je les vois plus comme des spectateurs, comme vous, les spectateurs du film, cela me semblait donc plus intéressant de les suggérer par l’entremise de votre point de vue. Dans le film, il y a cette scène durant laquelle le personnage de Bae Doona reçoit un contrat stipulant l’arrêt des recherches et la reprise de travaux du Tunnel n°2. Et devant ce dilemme, elle interpelle l’officiel en lui disant que si son mari était encore en vie, que faudrait-il faire. J’ai eu des retours de spectateurs qui se sont sentis mal à ce moment, et c’est ce que je voulais faire ressentir. Dans la scène précédente, on pouvait lire sur la une d’un journal le résultat d’un sondage qui indiquait la volonté de l’opinion publique favorable à 65% à la reprise des travaux. C’est de cette façon que j’ai voulu la représenter dans le film.
Quels sont vos futurs projets ?
Je suis sur un projet actuellement et cela va se concrétiser le mois prochain. Mais je ne peux en dire plus pour l’instant, j’ai signé un contrat de confidentialité. Je pense démarrer le tournage l’année prochaine.
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Propos recueillis le 27/10/2016 à Paris et retranscris par Martin Debat.
Photo : Martin Debat.
Traduction : Ah-Ram Kim.
Remerciements à Marion Delmas et à toute l’équipe du FFCP.
Tunnel de Kim Seong-hoon, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2016. Sortie française le 3 mai 2017.