Rencontre avec Jang Jin, venu présenter au Forum des Images son étonnant Man on High Heels – Le Flic aux talons hauts en ouverture du cycle Séoul Hypnotique en septembre 2015, alors que son film sort dans les salles françaises le 20 juillet. Interview réalisée en partenariat avec Kpop Life Magazine.
Figure majeure de la Nouvelle Vague coréenne et pourtant quasi inconnu en dehors de son pays, Jang Jin a construit au long de sa carrière une filmographie riche, jonchée de succès populaires et de bides au box office. Dramaturge à succès, il se voit confier après quelques essais pour la télévision, l’écriture d’un scénario pour le cinéma : la comédie féministe A Hot Roof. Depuis il ne lâchera plus le 7ème art, passant allègrement des scènes de théâtre aux plateaux de cinéma et adaptant même certaines de ses pièces en films. Véritable touche-à-tout, Jang Jin explore tous les genres sans distinction et applique avec plus ou moins de réussite sa recette miracle : une combinaison faite de sujets de société, de personnages à la fois réalistes et truculents qui se retrouvent dans des situations improbables, à laquelle il ajoute un traitement fait de militantisme décontracté et d’humour caustique. Jang Jin était en cette année 2015 à l’honneur au Forum des Images pour le cycle Séoul hypnotique dont l’une de ses récentes réalisations, Man on High Heels – L’Homme aux talons hauts, était projeté en ouverture. Alors que le film sort enfin en salles, nous avons pu juger un peu mieux de l’éclectisme et du talent de cet auteur populaire de cinéma coréen, et nous ne pouvons qu’espérer que cette découverte tardive n’aura pas été vaine !
Kpop Life Magazine : Qu’est ce qui a inspiré le scénario de Man On High Heels ?
Je voulais parler de gens qui, dans le monde dans lequel on vit, ne peuvent pas s’exprimer. Ils n’ont pas la parole car nos valeurs les excluent, ils se trouvent toujours un peu en marge et mènent des vies de grandes souffrances. Je ne parle d’ailleurs pas que des transsexuels, cela peut être d’autres minorités. C’est avant tout d’eux dont je voulais parler.
East Asia : Plus précisément, pourquoi ce choix d’un personnage central aussi atypique ?
C’est un film de divertissement, un film commercial. Il fallait donc aussi que je crée un certain type de personnage qui puisse attirer les spectateurs. Je me suis demandé quel était l’opposé absolu de quelqu’un qui ne peut parler d’un secret, qui cache des choses… Et pour moi, la façon la plus contradictoire d’en parler, c’était dans la forme d’avoir un flic très viril. C’est pour cela que l’on a ce contraste entre cet aspect du personnage et la partie féminine qu’il a en lui.
East Asia : Comment êtes-vous parvenu à faire accepter l’idée d’un personnage principal de flic homosexuel transgenre à une major comme Lotte ?
Il y a effectivement eu une sorte de résistance de leur part, sans aller jusqu’à une véritable opposition. Certains se demandaient si la Corée était prête à voir aborder ce genre de sujet, si cela valait le coup d’investir six millions de dollars pour ce film. Mais, même si c’est un conglomérat, les gens qui travaillent dans cette major sont quand même des cinéphiles : ils aiment le cinéma et ont travaillé longtemps dans le milieu. Nous nous sommes tous dit que l’on voulait faire ce film. Nous avions cette volonté commune de porter ce projet à l’écran.
Kpop Life Magazine : La communauté LGBT de Séoul est de plus en plus présente. Avez-vous eu des retours de leur part sur le film ?
Il n’y a pas vraiment eu de réception particulière ou de réaction de leur part, car l’on ne peut pas vraiment parler de communauté. Ils sont invisibles, dénués de parole, de représentants, de voix, comme je le montre dans le film. Je n’ai pas vraiment eu de retour spécifique. Mais je pense, d’après ce que j’ai pu entendre, qu’ils étaient contents que je puisse traiter de leurs problèmes de façon sérieuse et grave. Le revers de la médaille est que certains ont regretté que je ne puisse montrer qu’un aspect de leur vie, car derrière ça, il se cache beaucoup d’autres choses. Ce qui peut être un peu frustrant.
East Asia : Comment avez-vous développé la relation entre le flic Ji Wook et le gangster Heo-Gon et est-ce que le sentiment d’homosexualité latente entre les deux personnages était voulu ?
C’est une relation intéressante, mais je ne voulais pas vraiment évoquer de sentiment homosexuel à proprement parler. Même si ce personnage est un méchant, c’est un homme qui veut vraiment devenir macho. Quand il voit Ji Wook, il voit un flic avec un charme fou, qui a une aura, qui dégage vraiment quelque chose. Mais quand il comprend qu’il veut devenir une femme, il a ce sentiment de trahison car tout ce qu’il admirait en lui s’écroule.
East Asia : Est-ce selon vous plus facile de traiter des sujets de société à travers des films de genres populaires ?
Oui, c’est quelque chose de très intéressant, car c’est assez facile de montrer ce genre de sujet à une grande partie de la population. C’est quelque chose de très stimulant pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de la culture populaire.
East Asia : La scène d’ouverture dans la boîte de nuit rappelle celle de A Bittersweet Life de votre confrère et ami Kim Jee-woon. Était-ce intentionnel de votre part ?
(Il hésite) Dans A Bittersweet Life… à quel moment ?
East Asia : Au tout début du film, on voit le héros arriver dans la boîte…
Ha oui, je vois ! Je voulais vraiment montrer la toute-puissance de ce personnage sans foi ni loi à travers ce décors.
C’est assez drôle : si l’on considère l’itinéraire du personnage dans cette scène, on a une distance d’environ six mètres. Et cela a pris quatre jours à tourner ! C’est-à-dire que tous les jours, il avançait d’un mètre cinquante !
Kpop Life : Man on High Heels sera votre premier film à sortir en France. Suite à l’avant-première, comment avez-vous ressenti la réaction du public?
J’ai vraiment eu l’impression que le public était absorbé par le film et j’en suis très heureux et reconnaissant. Et tout d’un coup, je me suis dit que cela sera vraiment bien de venir tourner des films en France (rires).
Kpop Life : Vous avez déjà dirigé Cha Seung-Won dans le film My Son, pourquoi avoir collaboré de nouveau avec lui?
J’ai déjà tourné trois fois avec lui et il est vraiment comme un ami. Mais ce n’est pas parce que c’est un ami que cela a influencé le casting. Quand j’ai demandé conseil autour de moi pour trouver la personne idéal pour ce rôle, tout le monde ne voyait que lui pour l’interpréter.
Kpop Life : Comment avez-vous réussi à faire ressortir autant de sensibilité d’un homme aussi viril?
Je pense que c’est quelque chose qu’il avait déjà en lui. C’est parce qu’il avait ce talent enfoui qu’il a réussi à faire ressortir ce côté-là. C’est vraiment à travers nos propositions et nos discussions qu’il a pu réussir cela, car je ne pense pas qu’un réalisateur , aussi génial soit-il, puisse faire ressortir quelque chose d’inexistant chez un acteur. Pour moi, une bonne mise en scène, c’est justement faire ressortir le meilleur des capacités d’un acteur. Je ne pense pas qu’il s’agisse de magie et qu’un réalisateur puisse transformer un acteur soudainement par un coup de baguette magique si l’acteur n’avait rien en lui avant cela.
Kpop Life : Y a-t-il d’autres sujets sensibles de la société coréenne que vous souhaiteriez traiter dans vos prochains films?
Officiellement, je ne tournerai mon prochain film que dans deux ans. Ce sera une satire politique assez puissante qui fera vraiment penser au gouvernement (coréen – ndlr) actuel. C’est un sujet qui n’est peut-être pas si facile à faire par les temps qui courent. Mais je pense que finalement, une petite critique pour une présidente qui est sur le départ, cela ne fera pas de mal. Je ne devrais pas avoir trop de problèmes.
Kpop Life : Vous réalisez des films depuis presque 20 ans. Comment voyez-vous l’évolution du cinéma coréen à l’international?
Le cinéma coréen a vraiment beaucoup mûri. Il est devenu très bon alors qu’avant on montrait le cinéma coréen comme un cinéma du tiers monde. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de films populaires. C’était surtout des films philosophiques ou parlant de sujets difficiles qui étaient montrés au public étranger. Mais aujourd’hui, je pense que ce qui plaît au public coréen plaît également au public étranger. C’est vraiment quelque chose de bien et je pense vraiment que le cinéma coréen n’en deviendra que meilleur dans les années à venir.
East Asia : Martin Debat.
Kpop Life Magazine : Laura Bessa (interview) / Marion Martinez (questions).
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Traduction : Yejin Kim.
Propos recueillis à Paris (Forum des Images) le 16/09/2015. Merci à Diana-Odille Lestage et à Myriam Cahouch.
Man on High Heels – L’Homme aux talons hauts de Jang Jin. Corée. 2015. En salles le 20/07/2016.