Toujours là où on ne l’attend pas, Sion Sono, le punk hyper-actif du cinéma nippon nous est revenu avec pas moins de cinq longs métrages pour la seule année cinématographique 2015. Financé par deux grosses majors et inspiré d’un roman à succès, Tag a de quoi faire frémir, même les fans les plus enthousiastes du cinéaste! Nous ne pouvons qu’espérer qu’il parvienne à insuffler un sentiment de rébellion qui libèrerait ces jeunes adolescentes de leur moule industriel de lolita soumise ! Les spectateurs de la 34ème édition du Brussels International Fantastic Films Festival pourront en juger.
Seule rescapée d’un massacre ayant emporté toutes ses camarades de classe, la jeune Mitsuko se lance dans une course effrénée pour échapper à ce qui semble être un vent meurtrier dont les motivations belliqueuses restent inexpliquées.
Adapté du roman a succès Real Onigokko de Yusuke Yamada, déjà à l’origine de 6 longs métrages (The Chasing World) dont les retours désastreux ne laissent guère présager une œuvre de qualité, Tag bénéficie cette fois-ci du talent et de l’esprit subversif de Sion Sono pour dynamiter les codes et les intentions de cette œuvre de commande qui entendait bien surfer sur la vague des jeux de massacre très en vogue dans les mangas actuels.
Ne gardant qu’une vague partie du concept d’origine, Tag s’affiche dès sa scène d’ouverture comme une sorte de film miroir de Suicide Club, autre long métrage qui traite du mal-être des adolescents japonais et avait en 2002 projeté le cinéaste sur le devant de la scène internationale.
Toute aussi graphique et violente, cette entrée en matière aérienne adoptant le point de vue d’un mal (mâle!?) invisible qui chasse Mitsuko, unique survivante du massacre et héroïne toute désignée, comble d’entrée, de part sa nature choquante, un public en manque de sensations fortes.
Sion Sono embraye et développe son récit, un conte cruel à mi chemin entre un épisode de La Quatrième Dimension et une variation nippone d’Alice aux pays des merveilles se déroulant dans un monde au féminin. Lumineuse, naïve et éthérée, cette vision idyllique au doux parfum lesbien qui recycle allègrement les codes du Shôjo manga se retrouve secoué par des soubresauts d’extrême violence, durant lesquels la frêle Mitsuko va se faire des alliées de choix en la personne d’Aki (excellente Sakurai Yuki) et ses copines de classe qui font office de soutien moral et de guides spirituels dans cet univers où les identités et les règles sont fluctuantes.
Elles ont la tâche ardue de faire prendre conscience à Mitsuko, innocente créature adolescente en uniforme marin, de sa propre existence et de la libérer du joug d’une société patriarcale dont l’unique représentation masculine apparaît sous la forme d’un porc. Un monde dont les règles semblent dictées par des ados en pleine puberté, tant le comportement et les attitudes de ses habitantes répondent à des codes et des fantasmes libidineux issus de la culture pop nippone.
Il paraît évident que la révélation de l’intrigue ne semble guère intéresser Sion Sono, il lui importe plus d’exposer les travers de la société japonaise. Il y traite intelligemment de la place et de l’image de la femme au sein de celle-ci et comment elle peut se rebeller face à la représentation d’icône supra sexuée et inaccessible que les hommes japonais convoitent et ne parviennent à approcher qu’au travers d’avatar numériques. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il ait fait appel à Shinoda Mariko, ex pop idol membre des AKB 48, pour interpréter Keiko, l’une des incarnations de l’héroïne Mitsuko.
Moins clinquant que les précédents films du réalisateur, Tag surprend pour le cachet de sa production – non pas que l’on remette en cause les talents de cinéaste de Sion Sono mais, compte tenu de la rapidité de sa réalisation, il fait preuve d’une réelle virtuosité dans sa fabrication, notamment dans l’utilisation de drones pour filmer ses incroyables plans aériens qui donnent l’impression d’une caméra en constante lévitation. Sion Sono tient son sujet de bout en bout, structure son récit qu’il maintient tout du long d’un rythme haletant. Et si le film semble quelque peu s’essouffler dans un dénouement convenu, il parvient à conclure son histoire sur un plan magnifique, aussi poétique que pertinent.
Tag est la marque d’un grand cinéaste capable, dans un film de commande, de traiter en filigrane et avec une certaine insolence d’un sujet de société sans oublier d’offrir aux spectateurs le divertissement pop qu’ils sont venus voir. Sous son vernis « survival » adolescent au féminin se cache en fait un récit d’émancipation féministe et une critique corrosive du comportement misogyne des otakus.
Martin Debat.
Tag de Sono Sion, présenté au Brussels International Fantastic Films Festival 2016.