VIDEO – Odd Couple de Lau Kar-wing

Posté le 21 mars 2022 par

Spectrum Films sort, dans une belle édition DVD/Blu-Ray, Odd Couple de Lau Kar-wing, une véritable pépite de la kung fu comedy, aussi virtuose dans ses joutes martiales que joyeusement potache dans son humour.

Le maître du sabre et le maître de la lance sont rivaux depuis toujours mais aussi les meilleurs amis du monde. Ils s’affrontent régulièrement et finissent toujours ex-aequo. Les années passent et leurs duels mènent invariablement au match nul. Ils décident alors d’un commun accord de former chacun un élève et de les faire s’affronter dix ans plus tard.

Odd Couple est un des fleurons du genre alors naissant de la kung fu comedy. On doit la réalisation du film à Liu Chia-yung (ou Lau Kar-wing en cantonais) qui n’est rien moins que le frère cadet de l’illustre Liu Chia-liang, maître absolu du cinéma martial, tant comme chorégraphe que réalisateur. Liu Chia-yung a évolué dans l’ombre de son aîné, travaillant avec lui notamment au sein de la Shaw Brothers, mais également en faisant l’acteur et en passant à la réalisation sur 17 films. Si Liu Chia-Liang cherche dans ses films à démontrer une facette noble et didactique des arts martiaux, Liu Chia-yung est un électron plus libre. Cet héritage vient de leur père Liu Cham qui fut un disciple de Lin Shirong, le plus célèbre des élèves du maître Wong Fei-hung. D’une certaine manière, prolonger ce passif dans le monde du cinéma revient autant à l’honorer qu’à inévitablement le trahir.

Liu Chia-liang croise ainsi la notion d’apprentissage à une veine comique dans sa première réalisation The Spiritual Boxer (1975), et récidivera dans nombre de ses plus grandes réussites comme Retour à la 36e chambre (1980), Shaolin contre Ninja (1979) ou les deux volets de Drunken Master (1976 et 1994). Liu Chia-yung reprend ces adages par un mélange de déférence et de dérision dans Odd Couple. Le jiang-hu (le monde des arts martiaux) est une vaine affaire d’ego entre le maître du sabre (Sammo Hung) et le maître de la lance (Liu Chia-yung) dont la rivalité impressionne autant qu’elle amuse. Cependant, c’est avec la plus grande rigueur que l’introduction nous présente les vertus des différentes armes martiales et plus particulièrement la lance et le sabre. Le savoir et la tradition sont ancestraux mais ses pratiquants sont faillibles et imparfaits. Dans une logique d’éternel recommencement, c’est donc une belle idée que les disciples les suppléant dans leur continuelle concurrence soient joués également par Sammo Hung et Liu Chia-yung (sans postiches vieillissants).

Loin d’être des modèles, les sifu flattent avec roublardise les bas-instincts (vanité, colère, rancœur…) de leurs élèves pour les enrôler et les stimuler. En dehors de la pure compétence martiale, ce sera donc surtout l’affection contenue et l’héritage à perpétuer des maîtres qui compteront dans l’apprentissage et non pas une supposée sagesse. Le réalisateur sert à merveille cette délicieuse imperfection dans les joutes virtuoses où les adversaires déploient bottes secrètes et longs enchaînements avec limpidité et vélocité. Dans ce mariage de sérieux et de comédie, c’est également deux écoles de l’art martial cinématographique qui se rencontrent. Liu Chia-yung comme évoqué plus haut est issu d’une tradition martiale pure quand Sammo Hung vient lui de l’Opéra de Pékin (avec ses camarades célèbres Jackie Chan ou encore Yuen Biao ici chorégraphe) cherchant à rendre  les combats plus fantaisistes et décalés.

La noblesse martiale est ici bien présente dans l’exécution mais largement pastichée, et la kung fu comedy trouve un terrain de jeu parfait pour des dérapages plus farfelus. Certains combats se rapprochent davantage du western italien parodique à la Trinita (il y a même une presque citation de la cultissime scène des baffes de Mon nom est personne) et une scène place nos héros face à des adversaires issus de ce monde du spectacle, toujours à prendre la pose ridicule de trop pour mettre en valeur leur mouvement. Malgré un scénario parfois brinquebalant (quelques errances de comédie cantonaise grasse, un antagoniste arrivant comme un cheveu sur la soupe pour conclure), Odd Couple est un une pépite dont l’action vous impressionnera constamment, et dont l’humour haut en couleurs vous fera rire, souvent.

Bonus

Comme d’habitude dans la collection Spectrum, une présentation (11 mn) du spécialiste du cinéma asiatique Arnaud Lanuque. Il nous présente Liu Chia-yung, personnalité singulière et électron libre dans l’ombre de son grand frère Liu Chia-liang. Il explique la synthèse que représente Odd Couple dans le cinéma martial entre style réaliste et fantaisiste, hérité d’un côté de la tradition martiale et de l’autre de l’Opéra de Pékin. Il nous présente aussi le style novateur dans lequel s’inscrit Odd Couple à travers le genre de la kung fu comedy qui prendra son envol dans les années suivantes.

Une interview (25 mn) de Liu Chia-yung qui explique son apprentissage des arts martiaux, son arrivée dans l’industrie du cinéma par l’entremise de son père et de son frère.  Il raconte sa rencontre avec un jeune Sammo Hung avec lequel il deviendra ami et dont il suivra l’ascension. Tout cela mènera, grâce à la participation du producteur Karl Maka, à la création de Gar-Bo Films Company au sein de laquelle sera produit Odd Couple et d’autres kung fu comedies. Il explique les différences entre les styles de kung fu du nord et du sud à l’origine de l’idée du film et toute la réflexion pour les filmer de la meilleure façon possible. Les éléments humoristiques tels que la gestuelle comique se mariant aux arts martiaux et aux gags furent aussi sources d’émulation collective en amont puis improvisation sur le plateau. Un module très intéressant où le maître se montre didactique et amusé.

Une interview (21 mn) de Leung Kar-yan qui joue le méchant du film. Sportif accompli sans être spécialiste des arts martiaux, il se formera pour le cinéma et nous explique son apprentissage auprès de Liu Chia-liang, Sammo Hung et Yuen Woo-ping. Il détaille pour nous les différences entre les styles du nord et du sud, développe sur celles avec lesquelles il était le plus à l’aise. Il salue ses différents maîtres dont Liu Chia-yeung qui ont fait basculer le genre du style viriliste à la Chang Cheh et Bruce Lee vers celui de la kung fu comedy. Un bonus intéressant qui nous offre une pastille des coulisses et des mues de l’industrie cinématographiques hongkongaise d’alors.

Un commentaire audio de Bey Logan, expert du cinéma hongkongais et une bande-annonce d’époque.

Justin Kwedi

Odd Couple de Lau Kar Wing. Hong Kong. 1979. Disponible en Combo DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films le 28/02/2022

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