Kabukicho Love Hotel fait partie de ces petits films que l’on attendait avec impatience de découvrir en salles. Présenté à Toronto en 2014, le long métrage était arrivé trop tard pour intégrer la sélection de la précédente édition de Kinotayo. Le film de Hiroki Ryuichi a tout de même eu le temps de se faire une belle petite réputation dans les divers festivals où il fut sélectionné avant d’arriver chez nous en guise de cadeau de Noël. Clignotant tel un néon au milieu des centaines de films indépendants nippons, nous avons pénétré dans l’antre de ces lieux, alléchés par les promesses d’un bon divertissement et de la qualité de sa réjouissante distribution d’acteurs et d’actrices.
Quasiment inconnu du grand public, et des cinéphiles amateurs de cinéma japonais, Hiroki Ryuichi est un cinéaste qui compte pourtant une bonne quarantaine de films au compteur et a semble-t-il réalisé pas moins de trois longs métrages depuis la sortie de l’œuvre commentée dans ces lignes. Formé comme assistant réalisateur, il apprend les ficelles du métier auprès du réalisateur Nakamura Genji. Il débute ensuite sa carrière de cinéaste dans le pinku eiga (cinéma érotique japonais) avant de s’orienter vers le genre fantastique. Avec Kabukicho Love Hotel, il revient d’une certaine manière à ses fondamentaux et livre une comédie érotique douce amère sur les mœurs de la société japonaise contemporaine.
Le récit s’articule autour de trois couples de générations différentes dont les destins vont se croiser dans un hôtel pour rencontres amoureuses. Dès la mise en place de ses personnages, Hiroki Ryuichi parvient en l’espace de quelques plans à planter les divers enjeux personnels de l’intrigue. S’il dissémine, ici ou là, dans un élément de décor ou au détour d’une conversation des éléments de réponses, le cinéaste ne nous livre pas dès le début toutes les clés de l’histoire. Bien au contraire, il joue sur les a priori des spectateurs pour mieux les prendre à rebrousse-poil. L’histoire du film démarre alors que la caméra rentre dans les coulisses du love hotel. Ce lieu apparaît tel un microcosme, un catalyseur d’une expérience sociologique sur la relation qu’entretiennent les Japonais avec leurs propre sexualité.
Le cinéaste suit le jeune Toru interprété par Sometani Shota (Himizu) qui travaille comme responsable de l’établissement. Au gré de ses rencontres avec les clients, le cinéaste décrit aux travers de diverses scénettes quelques activités tournant autour du fuzoku (l’industrie du sexe au Japon). De l’équipe de tournage d’une vidéo pour adultes qui investit tout un étage, à l’escort girl d’origine coréenne qui économise pour ouvrir un commerce dans son pays, jusqu’aux couples adultères et autres cas de figure, le cinéaste traite chacun de ces exemples avec une juste distance, sans porter de jugement sur ses personnages. Si au départ on suppose que l’hôtel est un lieu de divertissement, une sorte de refuge pour échapper aux pressions sociales, c’est le plus souvent ces mêmes pressions qui poussent les personnages à faire le commerce de leurs charmes : des motivations le plus souvent financières, ou de promotion sociale que certaines ont encore du mal à assumer. Cependant, toutes ces jeunes femmes ne viennent pas dans ce milieu par plaisir ou pour améliorer leur quotidien et les plus faibles sont victimes de réseaux organisés en lien avec les yakuzas. Une réalité bien noire et cruelle qui donne pourtant l’une des plus belles et des plus émouvantes histoires du film, avec cette rencontre touchante entre une jeune fugueuse et un rabatteur.
De ces aléas dans les couloirs et les chambres de cet hôtel, certains de ces couples en sortent unis, satisfaits, et d’autres frustrés et malheureux. Et au milieu de ce lupanar organisé, Toru, personnage presque asexué, pour ne pas dire castré, vit dans la rancœur de ses ambitions ratées. Une amertume qu’il déverse au début du film sur la pauvre péripatéticienne en raison de son âge et de son statut. Une forme de rejet qui dénonce une certaine hypocrisie de la législation japonaise sur l’autorisation ces pratiques, ce qui conduit à une marginalisation d’une catégorie de travailleuses du sexe. Le cinéaste va encore plus loin avec le personnage de Saya, jeune artiste chanteuse qui souhaite percer dans l’industrie du disque. Son rendez-vous la conduira forcément dans l’établissement coquin. Cette scène prend une tournure d’autant plus subversive que la jeune femme est interprétée par la ravissante Maeda Atsuko, chanteuse à succès et ex-meneuse du groupe d’idoles, les AKB 48. En résulte une charge pour le moins virulente sur une société du spectacle sournoise qui exploite les rêves de gloire de jeunes filles tout en promouvant une image virginale factice de leurs artistes afin d’attirer un public de fans.
Outre le jeune couple d’acteurs qui font les beaux jours du cinéma indépendant nippon, Kabukicho Love Hotel accueille en ses lieux la très belle et toute aussi talentueuse Lee Eun-Woo, muse de Kim Ki-duk, dont la carrière semblait promise aux limbes du cinéma en raison de sa performance intense dans Moebius. A ses côtés nous trouvons la vétérane Kaho Minami, actrice découverte dans Angel Dust de Ishii Sogo et The Geisha House de Fukasaku Kinji, et qui est Madame Watanabe Ken à la ville. Et n’oublions pas Omori Nao découvert dans le rôle titre Ichi The Killer, qui nous a régalé de ses fantasmes pervers dans l’excellent R100 de Matsumoto Hitoshi.
Kabukicho Love Hotel ne dément pas sa bonne réputation. Hiroki Ryuichi livre un film drôle, sensible, qui scrute avec une certaine acuité l’évolution de la société japonaise et de ses mœurs. Le film ne se vautre jamais dans le voyeurisme complaisant et chaque scène de sexe, aussi explicite soit-elle, apparaît dans le récit dans le but d’enrichir son propos et non d’en détourner l’attention. L’une des bonnes surprises d’une 10ème édition qui s’annonce fort prometteuse du festival Kinotayo.
Martin Debat.
Kabukicho Love Hotel de Hiroki Ryuichi. Japon. 2015. Présenté à Kinotayo en 2015.
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