Entretien avec David Tredler pour le 10Ème anniversaire du Festival du Film Coréen à Paris

Posté le 10 octobre 2015 par

Pour fêter les 10 ans du Festival du Film Coréen à Paris, nous avons décidé d’interviewer David Tredler son chef programmateur. En plein bouclage, il a bien voulu répondre à nos questions et nous faire un petit historique de l’évènement, sans oublier nous donner un avant goût de cette édition 2015 qui s’annonce pour le moins colorée.

Depuis 10 ans déjà, durant les vacances de la Toussaint, se déroule dans la capitale le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Dix ans que les spectateurs parisiens férus de cinéma asiatique et de culture coréenne ont trouvé leurs rendez-vous. Pendant cette décennie, ce petit festival a connu bien des mutations, a changé de nom, a fait le tour du Quartier latin avant de s’installer confortablement dans les salles du Publicis Cinémas. Arrivé à point nommé, presque dix années après la naissance de la Nouvelle vague coréenne qui a porté le 7ème art coréen parmi les cinéphilies contemporaines incontournables, le FFCP a permis de dresser un premier bilan. Au fil de sa programmation, il a dessiné un panorama des auteurs qui comptent, des genres les plus populaires mais aussi des moins représentés, de faire la lumière sur le cinéma indépendant, et de soutenir les premiers longs comme les courts de jeunes cinéastes qui deviendront peut être les grands de demain. Durant tout ce temps, il a éclairé les spectateurs sur la culture du pays, son histoire, ses traditions et ses mœurs au travers de documentaires passionnants et de rétrospectives de films de patrimoine. Le FFCP, c’est aussi les masterclass animées par Bastian Meiresonne, des rencontres avec les cinéastes et les acteurs, et une proximité avec ceux qui produisent et diffusent cet art. Un événement qui réunit chaque année un public fidèle, autant séduit par la qualité de la sélection de films que par l’accueil chaleureux de l’équipe du festival et ses jeunes  bénévoles en sweats colorés. C’est pour toutes ces raisons et bien d’autres encore que nous sommes partenaires et soutenons ce festival. Pour marquer le coup et souffler en avance les bougies de ce dixième anniversaire, nous avons interrogé David Tredler, chef programmateur  du FFCP, qui a intégré l’équipe au cours de la huitième année. L’occasion pour nous de revenir avec lui sur le parcours du festival et d’avoir un aperçu de ce qui nous attend durant cette nouvelle édition.

Peux-tu nous refaire un historique du festival ?

Le festival a débuté en 2006 sous le nom du Festival Franco-Coréen du Film (FFCF). Il s’agissait d’un festival dont le but était de faire dialoguer le cinéma coréen et le cinéma français. Nous avons organisé des rétrospectives consacrées à des cinéastes tels que Bertrand Tavernier et Dominique Cabrera. Il y avait des compétition de longs et courts métrages coréens. Cela a un peu évolué par la suite : il y eut de moins en moins de longs métrages français, et nous avons commencé à projeter les courts métrages dans une section appelée Regard France/Corée qui était une section autour d’une thématique commune. En raison de la faible affluence pour les séances concernant les films français, le festival est devenu le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), centré uniquement sur la cinéphilie coréenne.

FFCF_LOGO

Comment s’est construit le festival et ses différentes sections ?

Cela s’est fait progressivement. Au début, le festival avait tendance à s’éparpiller, jonglant entre longs et courts métrages coréens et français, et la  première édition avait même accueilli une exposition photo.

La compétition de films coréens était récompensée au départ par un jury d’étudiants et, finalement, l’idée a été abandonnée au profit d’un panorama diversifié du cinéma coréen. Au cours des premières années, il n’était pas évident pour le festival d’obtenir dans sa programmation de gros films à succès, les films étaient trop chers compte tenu du budget restreint de l’événement. Du coup, nous concentrions notre attention sur les petits films qui étaient gratuits. Puisqu’il s’agissait de films du même niveau, les mettre en compétition avait du sens. Au fil du temps, il est devenu plus facile d’obtenir des films de plus grand standing. En effet, le festival s’était bien installé, le dialogue avec les distributeurs coréens était plus équitable, et nous avons pu montrer ainsi toute la diversité de ce cinéma, que ce soit des documentaires, des films de studios, des indépendants et des films expérimentaux. Garder une compétition entre des films si différents n’avait plus lieu d’être. Nous l’avons par contre maintenue pour les courts métrages. La case Focus avait plus vocation à faire le point sur des cinéastes ou acteurs confirmés, organiser des masterclass et mettre en avant leurs films. Dans cette case, nous avons accueilli des cinéastes comme Lee Myung-se (Sur la trace du serpent, Duelist) et Ryu Seung-wan (The Berlin File, Veteran). Ensuite, le festival a préféré mettre l’accent sur le cinéma coréen émergent. Nous avons donc créé en 2011 la section Portrait consacrée aux jeunes cinéastes qui venaient présenter leur premier long métrage. Nous avons projeté dans ce cadre des films comme Bleak Night de Yoon Sung-hyun, Stateless Thing de Kim Kyung-mook ou Suneung de Shin Su-won. Les gros films se sont finalement déportés sur les séances d’ouverture et de clôture qui s’apparentent plus à des projections de «gala».

Comment financez-vous votre festival ?

Le festival vit grâce aux partenariats et à ses sponsors. Le budget dépend des institutions, qu’elles  soient publiques ou privées. Parmi les partenaires publics, nous avons le KOFIC (Korean Film Council) qui est l’équivalent du CNC, et dans le domaine du privé, nous avons essentiellement des entreprises coréennes installées en France : Kia, Kumho et Asiana Airlines. Cette année, nous essayons de trouver des partenaires qui ne sont pas forcément des entreprises liées à la Corée mais ce n’est pas très évident de les aborder pour notre projet et de les y intéresser.

Depuis la création du festival comment observes-tu l’évolution du cinéma coréen?

Le festival est arrivé au moment où le cinéma coréen avait atteint son pic, avec les films de Bong Joon-ho et Park Chan-wook. Il arrivait à un stade de stagnation et les films coréens s’enfermaient peu à peu dans leurs propres stéréotypes. Ils étaient trop facilement identifiés au thriller crépusculaire, pessimiste avec ses scènes de violence graphique et ses combats à coups de marteau. Au départ, nous avons  décidé de mettre en valeur le cinéma indépendant, qui a des contraintes bien différentes. Moins visible, il a du mal à sortir de ce statut de «film indé» qui, contrairement en France, où un petit film a les moyens d’attirer les foules, en Corée c’est mission impossible, et si cela se produit, il s’agit plus d’une anomalie. Le cinéma coréen est au final très binaire : tu as d’un côté les grosses machines et de l’autre les petites productions, mais tu n’as que peu de place entre les deux. Les films de studio ont tendance à capter toute l’attention des spectateurs. C’est un peu l’ambition des jeunes auteurs aujourd’hui : se faire remarquer avec un premier long métrage, voire un deuxième et intégrer le giron d’un gros studio pour réaliser par la suite des films plus populaires. Ces jeunes réalisateurs ne voient pas d’avenir dans le cinéma indépendant à moins d’être reconnu comme un auteur à part entière, et hormis quelques cinéastes tels que Hong Sang-soo ou Kim Ki-duk, qui sont enfermés dans des niches et dont les films sont très demandés dans les festivals à l’étranger, c’est une impasse. On observe aussi qu’à l’époque où le cinéma coréen est arrivé en France, les distributeurs s’intéressaient aussi bien aux films d’auteurs qui rapportaient un beau succès grâce à des cinéastes comme Hong Sang-soo, Kim Ki-duk et Im Sang-soo, qu’aux films de genre et de studio qui sortaient régulièrement en salle. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, les films d’art et essais sont toujours présents sur les écrans mais les sorties sont plus discrètes, et les films populaires ont disparu et sortent directement sur supports numériques.

Depuis peu, un studio comme CJ Entertainment vient d’ouvrir un département indépendant au sein de sa structure, un peu sur le modèle américain avec des sociétés comme Fox Searchlight ou Focus.

En effet, deux des films présentés à Cannes cette année, Coin Locker Girl et The Shameless, qui sera présenté au FFCP cette année, ont été produits par Arthouse. Cela permet aux studios de mettre en avant des films qui ne dépasseront pas les 10 millions d’entrées, seuil qui, lorsqu’il n’est pas atteint, est considéré comme un échec au box office ! j’exagère, je parle uniquement là des très gros films et pas de tous les films de studio, il y a plein de films de studio qui sont considérés comme des succès en faisant 4 ou 5 films de studio aussi.

the shameless

Vous mettez aussi l’accent sur le cinéma de patrimoine….

Nous avons chaque année un cycle consacré aux classiques, que nous traitons au travers de diverses thématiques. Nous avons abordé l’évolution des mœurs en Corée dans les films érotiques allant des années 50 jusqu’aux années 90. L’année dernière, nous nous sommes consacrés aux films d’horreur, et dans d’autres cas, nous consacrons la sélection à un auteur méconnu comme  HA Gil-jong (La Marches des imbéciles), comme en 2013. Le cinéma de patrimoine coréen a encore moins le droit de cité en salle en France. Ce ne sont pas les séances qui remplissent le plus les salles, mais ce sont des films qui nous tiennent à cœur. C’est aussi une façon de mieux appréhender, de comprendre et apprécier le cinéma contemporain.

Que nous préparez-vous pour cette édition 2015 ?

L’année précédente, les films étaient particulièrement sombres, il y en aura encore quelques uns cette année, mais nous avons voulu trancher avec une sélection plus colorée. Il y aura tout de même des drames, mais les films sont teintés pour la majorité d’une certaine bonhommie,  se révèlent parfois bucoliques, et il y aura aussi de la pure comédie. Là, je fais référence à Twenty, film qui a eut un beau succès en Corée en ce début d’année. Il s’agit du deuxième long métrage du réalisateur Lee Byeong-heon, dont nous avions bien hésité, il y a deux ans, à projeter Cheer up Mr. Lee, film qui m’avait beaucoup plu. Il avait d’ailleurs gagné le Prix du Public au Festival du Film Indépendant de Séoul. Il racontait une fois de plus les affres de la création, thème récurrent dans les premiers longs des jeunes cinéastes. Lee Byeong-heon passe allègrement le cap du deuxième film en signant une comédie populaire bourrée d’humour, bien pensée avec des vrais moments de cinéma et évite au passage tout débordement lacrymal.

twenty6

La section Paysage est en effet plus légère, vous y verrez un film qui s’appelle Gi-hwa qui est un road movie avec deux personnages très truculents de quadragénaires célibataires issus d’une petite ville de province, ils forment un duo assez réjouissant. Il y a tout de même quelques films noirs comme Socialphobia ou The Shameless, et nous avons aussi un film assez atypique comme Alice in Earnestland. Sur le papier, il s’apparente à un drame mais s’avère être une comédie avec un humour noir teinté de drame, dont le traitement prend une forme de légèreté assez étrange. C’est un film étonnant !

Alice in Earnestland

Dans la sélection j’ai un coup de cœur et il s’agit d’un film qui va désarçonner plus d’un spectateur. Il s’appelle Island, c’est un film fantastique à la lisière de l’épouvante, sans vraiment franchir la ligne, un film à la fois très esthétique et très oppressant, ponctué par des moments de virtuosité de mise en scène qui crèvent l’écran. La lenteur de son rythme pourra malheureusement rebuter certains spectateurs.

Island

Le coté léger du festival va résonner à travers la section Focus consacrée cette année aux comédies romantiques, qui est peut être une réaction inconsciente à l’orientation de la sélection de l’an passée. C’est aussi bien pour une date anniversaire que d’avoir une programmation plus joyeuse. Nous avons fait en sorte de choisir des rom com qui ne versent pas trop dans les clichés du genre. Bien trop semblables, elles ont pour défauts communs d’être trop longues et trop convenues. Nous avons sélectionné des films qui renouvellent le genre : certains lorgnent vers le cinéma fantastique, d’autres vers le thriller et ces comédies intègrent parfaitement ces bonus à l’ADN de la comédie romantique. Parmi les classiques, cette année, les films musicaux et comédies musicales seront à l’honneur, une sélection qui va des années 50 jusqu’aux années 2000. Il y a aussi pas mal de disparités dans le traitement, certains tendent vers le drame, et d’autres, comme le plus récent Midnight Ballad for Ghost Theatre, est totalement délirant, c’est un peu une sorte de Rocky Horror Picture Show à la sauce coréenne. La section Portrait est consacrée, quant à elle, au cinéaste Kim Dae-hwan, et s’éloigne quelque peu du moule tel qu’on l’avait creusé. Cette section dont les thématiques tournaient en général autour des problèmes de la jeunesse coréenne, commençait à atteindre le point de rupture quant aux sujets abordés. Nous avons voulu partir sur de nouvelles bases en mettant en avant son premier long End Of Winter qui, au sein d’une structure familiale, traite des non-dits dans les relations et les conséquences que cela génère quand quelque chose sort enfin. Le sujet est traité avec beaucoup de délicatesse et de froideur, mais il s’agit d’une froideur qui se révèle très séduisante. Le cinéaste apporte quelque chose de neuf dans sa mise en scène avec une atmosphère si singulière. Un très joli film !

end of the winter

Ensuite nous avons le film d’ouverture qui va inaugurer le festival avec un grand Bang ! Veteran est un film d’action jubilatoire, drôle, intelligent, assez corrosif. Il traite des travers de la société coréenne et de ses chaebols, ces grands conglomérats qui se transmettent de génération en génération et se croient au-dessus des lois. Comme souvent chez Ryu Seung-wan la réalisation est très pêchue et les scènes d’action renversantes ! On retiendra la performance enthousiasmante de son acteur principal Hwang Jun-min. Et pour la clôture, nous allons montrer le spectre opposé du cinéma coréen, après le film d’action, on passe au cinéma intimiste avec Right Now, Wrong Then. Hong Sang-soo est un cinéaste incontournable qui divise. Si l’on oublie un de ses films, une partie du public râle et l’autre en fait autant si on le programme. Les spectateurs ne sont jamais satisfaits quand il est question de Hong Sang-soo (rires). Cette année, nous ravirons donc ses partisans, avec un bon cru dans lequel on retrouve l’excellent acteur Jung Jae-young que l’on a pu voir l’année dernière dans Broken et qui a remporté un prix d’interprétation mérité au Festival de Locarno pour le film sélectionné.

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Sinon, dans la section Paysage nous avons un autre grand film à succès : The Assassination de Choi Dong-hoon (The Thieves) qui est sorti cet été. Il est avec Veteran l’autre champion du box-office local, ils comptabilisent à eux deux quelques 26 millions d’entrées sur le territoire coréen. Il s’agit d’un film historique et d’aventure qui nous emmènent sur plusieurs décennies et voyages, de la Chine à la Corée. Le récit se déroule sous l’occupation japonaise et traite de la résistance du gouvernement provisoire coréen. C’est un film qui est facilement transposable dans le Paris occupé, il y a d’ailleurs de nombreuses références à la France, on entend beaucoup de chansons françaises. C’est vraiment l’exemple type du grand film populaire avec son cortège de stars.

Sur grand écran cela va être formidable ! Et pour terminer nous avons notre séance spécial OFNI (Objet Filmique Non Identifié) avec Scary House (lire ici). L’année dernière nous avions misé sur Roaring Currents qui était le plus gros succès de l’année. Cette fois-ci nous avons voulu faire un peu différent. Les blockbusters étant dans la section Paysage, nous donc choisi un film qui a fait le buzz dans les quelques salles où il est sorti cette année. Tout le monde été pris de court face à cet objet. Il est présenté comme un film d’horreur, mais s’avère à la vision, être une comédie involontaire tant il tient du grand n’importe quoi réjouissant. On se demande pendant toute la durée du métrage ce qui a bien pu passer par le tête du réalisateur pour accoucher d’une telle œuvre. Une expérience à vivre en salle avec des amis dans une ambiance bon enfant et un public hilare. Je pense que cela va être une grand moment de joie. N’oublions pas la section courts métrages et sa compétition avec trois prix décernés : meilleur film, meilleur scénario et meilleur film d’animation, genre très bien représenté dans la sélection de cette année. Il y aura aussi une séance jeune public, mercredi matin avec un bouquet de courts d’animation, c’est une séance faite en partenariat avec l’Agence du court métrage dans le cadre de la Fête du cinéma d’animation qui a lieu pendant tout le mois d’octobre.

Propos recueillis par Martin Debat le 29/09/205 à Paris.

Un grand merci à David Tredler, Dongsuk Yoo, Marion Delmas, et l’équipe du FFCP.

Le Festival du Film Coréen à Paris se tiendra au Publicis Cinémas du 27/10 au 03/11 2015. 

Plus d’informations ici. 

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